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Billet de blog 1 juin 2023

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Le coup de gueule des AESH travaillant dans le privé

Ce jeudi, Pierre Moscovici dévoile le premier rapport public thématique consacré aux établissements privés, à 95 % catholiques. Néanmoins, un grand silence s’installe sur le sujet du handicap et des personnes accompagnant les élèves bénéficiant d’une AESH en classe.

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Illustration 1

Sans mixité sociale

© oscar tessonneau

Entièrement centré sur l'enseignement privé, le nouveau plan Moscovici ne propose tout d'abord pas de comparatif avec l'enseignement public et n'évalue pas, par exemple, les performances respectives des établissements publics et privés. Or, dans des villes comme Paris, les collèges privés sous contrat présentent presque systématiquement une meilleure valeur ajoutée que les collèges publics de même niveau attendu. Bien que certains collèges privés accueillent des classes spécifiques pour élèves en difficulté et affichent +1,2 point de valeur ajoutée sur la note à l'écrit au brevet, aucun chiffre n'est donné sur les accompagnements des élèves en situation de handicap dans les établissements privés. Une AESH ayant travaillé avec un enfant dyspraxique des beaux quartiers parisiens témoigne : « À Paris, aucune incitation n'est faite par le rectorat, le département et les principales associations pour la mise en œuvre d'un accompagnement sous cette forme. »

© oscar tessonneau

Très précaire et sans diplômes, cette femme de 24 ans vivant dans un petit appartement de Barbès-Rochechouart, qu'elle qualifie de « Taudis », ressent également un profond mépris pour la présidente de la principale association d'enfants dyspraxiques d'Île-de-France. « Ses mails sont truffés de fautes d'orthographe. Elle n'est pas claire lorsqu'elle s'exprime au téléphone et propose des solutions totalement inadaptées aux enfants que j'encadre dans des établissements privés parisiens. » Enfin, cette AESH souhaitant rester anonyme déplore le fait qu'elle n'entretienne aucune relation avec les députés parisiens par choix. « À Paris, et notamment à gauche, nous avons la chance d'avoir des élus et des militants ultra-sensibilisés à l'enfer que l'on vit au quotidien. À titre d'exemple, j'ai été sensible au fait que lors de leurs derniers congrès, les jeunes socialistes aient pris le temps d'échanger avec des AESH pour rédiger une contribution sur la dyspraxie. De plus, les suppléantes de Louis Boyard et François Ruffin occupent la même fonction que moi. J'aimerais également souligner le travail fait par l'ancien président de la FCPE, Rodrigo Arenas, depuis qu'il a gagné une circonscription dans le sud de la capitale ». Contactée, la responsable de DMF IDF n'a pas souhaité répondre à nos questions.

Echanges avec Jean-Michel Blanquer sur l'autisme et la dyspraxie © oscar tessonneau

Focus sur les IPS

Lorsqu'il a présenté ses actions pour la mixité sociale dans les colonnes de L'Express, Pap Ndiaye a parlé d'un IPS. Cet indicateur annuel extrêmement parlant permettra de mettre en lumière les évolutions sociales des établissements concernés. "Grâce à l'IPS, expliquait le ministre, on pourra vérifier la progression des objectifs fixés. Le dialogue entamé par ce biais va également nous permettre d'affiner la répartition des moyens en fonction des mesures qui seront prises en faveur de la mixité sociale et scolaire." Ainsi, Pap Ndiaye précisait que chaque année, les rectorats disposeront d'un volant de postes qu'ils répartiront entre les différents établissements privés sous contrat. Un recteur de l'académie de Paris témoigne : "Un établissement qui, par exemple, ouvrira une unité localisée pour l'inclusion scolaire ou une classe Segpa se verra ainsi favorisé par rapport à ceux qui ne le font pas. Le tout en respectant la règle des 20 % et 80 %, qui correspond aux pourcentages de moyens versés d'une part au privé sous contrat, d'autre part au public."

Néanmoins, plusieurs acteurs du monde associatif se montrent sceptiques. "Il va y avoir une attractivité extrêmement forte de ces contrats où l'on accompagne au-delà de l'école, car cela rapproche les AESH du temps plein. Or c'est le temps partiel qui fait la grande précarité." Comme le révélait la journaliste de Mediapart Mathilde Goannec dans un article paru en 2022, la ville de Paris pré-recrute des AESH dans la capitale par le biais d'associations agréées. Elles passent ensuite un entretien avec les services du rectorat, "comme pour un recrutement ordinaire", expliquent les services académiques, qui payent intégralement les heures d'accompagnement scolaire. Les associations assurent également une formation à ces personnels et un suivi régulier des enfants, y compris dans les classes. Les familles peuvent compléter le salaire de l'AESH pour des temps extrascolaires ou des temps de trajet de la maison à l'école. Néanmoins, nous n'avons aucune garantie que ce travail sera suffisant pour permettre à un enfant faisant sa scolarité dans le privé de suivre un parcours normal.

Aucun contrôle

Bien qu'ils se montrent légèrement plus souples que les établissements publics, les collèges privés rechignent encore nettement à recourir à des AESH payées par les établissements. Hormis les écoles privées hors contrat comme Edeys près de Bordeaux, dont certaines sont carrément spécialisées dans le handicap, voire dans l'autisme, les établissements catholiques réputés pour leur élitisme ne sont soumis à aucune règle en la matière et accueillent à bras ouverts et moyennant finances les enfants et leurs accompagnantes. Afin de mieux faire participer le privé à cet objectif politique fixé par le ministre Pap Ndiaye, les magistrats proposent de réarmer l'État, dans une logique proche de celle du Protocole mixité signé le 11 mai entre le ministère de l'éducation et le secrétariat général de l'enseignement catholique. Le SGEC, qui représente plus de 90 % des établissements sous contrat, a signé le mercredi 17 mai. L'objectif vise d'abord à accentuer le partage d'informations afin que le ministère de l'éducation nationale ait un meilleur accès à certaines données, comme le taux d'enfants aidés par une AESH dans chaque établissement. "Nous incitons l'enseignement catholique à accueillir davantage d'enfants ayant des fragilités sur le plan scolaire, y compris par l'ouverture de classes Segpa. Je pense également à ceux en situation de handicap, aujourd'hui bien moins nombreux dans l'enseignement privé sous contrat que dans les établissements publics."

Cependant, plusieurs témoignages sur un groupe Facebook d'environ 5 000 membres racontent l'enfer que vivent les AESH dans ces établissements où le personnel éducatif redouble d'exigence. "Il y a deux cas de figure", témoigne une ingénieure dans le nucléaire. N'ayant pas le temps d'assister aux rendez-vous de son fils chez la psychométricienne et l'ergothérapeute, cette polytechnicienne n'a jamais réussi à bien comprendre les troubles dys de son fils scolarisé dans un établissement parisien catholique réputé (plus pour longtemps, nous dit-elle en souriant). Bien qu'elle manque cruellement de temps, cette grande brune en tailleur Dior continue de faire de nombreux efforts pour qu'il suive une scolarité ordinaire. "Le premier, c'est celui où l'AESH n'arrive jamais. Lorsque mon fils a été diagnostiqué en CM2 dysgraphique sans déficience intellectuelle, nous avons décidé avec mon mari de le maintenir dans l'établissement catholique où toute ma famille a toujours étudié. Néanmoins, les absurdités bureaucratiques nous ont mis dans une grande difficulté lorsqu'on a fait une demande d'AESH à la MDPH de Paris." À partir de ce moment, la mère ingénieure et son mari se sont retrouvés dans une situation épouvantable. "En classe de sixième, notre fils s'est retrouvé au premier trimestre avec une moyenne catastrophique de 6,78. Il n’écoutait plus en classe. Ses cours étaient illisibles. De plus, ses professeurs ont été très vite eu du mal à gérer ses prises de parole anarchiques en classe.» Totalement consciente que le personnel de l’Éducation nationale est « peu reconnu, peu valorisé, peu formé et logiquement peu motivé par l’accompagnement d’enfant dysgraphiques », la mère de famille vivant dans un grand appartement Rue Raynouard, dans le XVIème arrondissement, s'est tournée vers une AESH privé. « Ce n’est pourtant pas la bonne réponse, car c’est une réponse seulement pour les familles parisiennes comme nous gagnant des salaires à cinq ou six chiffres qui le peuvent. »

© oscar tessonneau

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