Ce Lundi, l’étude du projet de loi de programmation de la Justice d’Éric Dupond-Moretti, garantissant une trajectoire de hausse des postes et du budget ministériel, montrera dans quelle mesure les contraintes matérielles, voire physique légitime, exercées sur un citoyen français par la police ou la justice connaitront des évolutions régulières lors des prochaines années.
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.
La modernité de Max Weber
Selon le sociologue allemand Max Weber, l'État est une entité politique institutionnelle qui revendique avec succès le monopole de la contrainte physique légitime dans l'application des règlements à l'intérieur d'un territoire déterminé. Cette définition politico-sociale de l'État doit être complétée par sa définition juridique. Selon ce point de vue, l'État doit répondre au critère de souveraineté, qui représente le caractère suprême et inconditionnel du pouvoir étatique. La souveraineté revêt une importance particulière car elle permet à l'État d'agir en tant que système juridique global. Pour répondre rapidement aux besoins de l'État, après les récentes nuits de violence et d'émeutes sanglantes que la France a connues, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti présentera deux textes à l'Assemblée nationale jusqu'au 11 juillet : la programmation budgétaire 2023-2027 de son ministère et un volet "organique" sur le statut des magistrats. Ce matin, les journalistes police-justice du Parisien ont révélé que l'ancien avocat promet une augmentation "sans précédent" du budget, fixé à près de 11 milliards d'euros en 2027, contre 9,6 milliards aujourd'hui, ainsi que le recrutement de 10 000 personnes, dont 1 500 magistrats d'ici cinq ans. "L'objectif est clair", a déclaré le garde des sceaux: "Je souhaite diviser par deux tous les délais de justice d'ici 2027". Le député et rapporteur général du texte, Jean Terlier (Renaissance), affirmait ce matin dans les colonnes du Parisien que c'est "ambitieux, mais réalisable" et souligne les progrès déjà accomplis en matière de justice pénale des mineurs, avec une réduction des délais de 18 mois à 8 mois grâce à une réforme entrée en vigueur fin septembre 2021.
Un autre député de la majorité perçoit dans ce texte une évolution positive de l'article L. 1111-1, qui énonce que "l'ensemble des politiques publiques concourt à la sécurité nationale". Selon lui, la stratégie de sécurité nationale de Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti est intéressante. Elle vise à identifier les menaces et les risques susceptibles d'affecter la Nation, en particulier en ce qui concerne la protection de la population, l'intégrité du territoire et la stabilité des institutions de la République. Convaincu que la terrible attaque à la voiture-bélier au domicile du maire de L'Haÿ-les-Roses dans la nuit de samedi à dimanche met en lumière un réel besoin de prendre de nouvelles mesures, le député de la majorité estime qu'il est essentiel de repenser le rôle de l'État dans ce contexte de violences urbaines inacceptables. Il espère que le texte défendu par le garde des Sceaux ce lundi à l'Assemblée nationale nous aidera à mieux identifier les menaces pesant sur la Nation, notamment celles qui visent la population. Il ne faut pas oublier que 1311 interpellations ont eu lieu dans la nuit de vendredi à samedi, et que depuis mardi, les unités judiciaires sont en plein régime, imposant un rythme infernal à un système déjà à bout de souffle.
Dans ce contexte de violence inouïe, où des commerces et des bâtiments publics sont détruits, l'État s'efforce de maîtriser sa propre puissance en combinant habilement des règles d'engagement, l'utilisation de la technologie et la gestion des ressources humaines. Son objectif est de rendre transparente l'utilisation de sa force afin de convaincre de sa légitimité. Depuis mardi, cette approche se concrétise par l'introduction de caméras dans les salles de garde à vue et lors des opérations sur le terrain. L'arrestation de deux individus d'une vingtaine d'années, soupçonnés d'avoir participé à un groupe d'une cinquantaine d'émeutiers ayant forcé et brisé les vitres de la mairie de Fontaine, dans l'Isère, avant de vandaliser l'intérieur, met bien en lumière cette augmentation des incivilités et autres délits. Les deux jeunes grenoblois qui ont pénétré une salle de spectacle avant de l'incendier ont été identifiés grâce aux caméras de vidéosurveillance, ce qui souligne l'importance de ces dispositifs. Un avocat pénaliste que nous avons rencontré ce matin dans un café de la Place Verdun à La Rochelle (Charente-Maritime) nous a expliqué que cette démarche s'inscrit dans le cadre de la loi du 3 août 2018 sur l'harmonisation de l'utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique. "Face aux préoccupations liées aux tirs d'armes non létales contre des policiers depuis mardi", nous a-t-il déclaré, "l'État répond en mettant en images".
Les mutations du droit applicable à la contrainte physique
Ces mutations se caractérisent par une utilisation de plus en plus importante des stratégies de prévention des violences par les forces de police. L'avocat rochelais que nous avons rencontré ce matin au Café Merling nous a confié que sur le plan juridique, l'application prolongée de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, de 2015 à 2017, combinée à son approfondissement législatif, a considérablement renforcé ce phénomène. "La diversité des pouvoirs conférés aux forces de l'ordre reflète l'intention du législateur de les transformer en un bras armé non pas de l'autorité judiciaire, mais de l'autorité administrative".
Tant dans le cadre judiciaire que dans celui de l'administration, la police française a profité des émeutes pour exploiter les possibilités offertes par la géolocalisation, la surveillance en temps réel et les algorithmes, ce qui conduit à des intrusions marquées dans la sphère privée. L'avocat que nous avons rencontré défend l'idée que la loi du 3 juin 2016 (2016-731) a considérablement élargi l'utilisation de ces techniques par la police judiciaire. "Aujourd'hui, cette loi permet aux forces de sécurité de franchir les frontières de l'intimité, non seulement a posteriori, mais également en temps réel, sans l'aval d'un juge."
Dans le même ordre d'idées, le développement des menaces immatérielles sur des plateformes comme les boucles Telegram utilisées par les jeunes musulmans de Brest dans le but de détruire un café homosexuel incite les juristes à se remettre en question. "Dans la mesure où les délinquants et l'État entretiennent une relation d'hostilité, explique-t-il, il est intéressant pour un pénaliste ou un fonctionnaire de police d'observer les conséquences de ce duel sur les tiers, qu'il s'agisse des Français ou des autres États." Néanmoins, indique le pénaliste rochelais, la première des interrogations reste celle de la part de contrainte ou d'opportunité que les violences urbaines se développant depuis la mort de Nael représentent pour l'État : est-il réellement mis en péril par ces violences urbaines ? L'avocat que nous avons rencontré en est convaincu A titre d'exemple, il souligne que l'utilisation inefficace de la force lors des opérations de maintien de l'ordre depuis mardi à Aubervilliers (93) le montre très bien. Une élue de la commune, Yonel Cohen-Hadria, accuse la maire UDI de sa commune d'avoir "tout misé sur sa police municipale", dont "elle a triplé les effectifs". Mais "quand ça pète dans nos quartiers", confiait l'élue hier à des journalistes de Mediapart, "la police municipale est invisible. Et elle ne connaît pas nos jeunes." Même si la maire de la commune assure avoir passé la soirée à se coordonner avec le préfet et le commissariat local, l'autorégulation du quartier par des animateurs et des bénévoles semble mieux se mettre en œuvre à Aubervilliers. Slim, un "grand" du quartier Jules-Vallès d'Aubervilliers interrogé par des journalistes de Mediapart, affirme avoir passé deux heures samedi soir avec des jeunes pour les raisonner. "Pas pour faire rentrer les jeunes chez eux", précisait-il à Mediapart, juste pour "faire en sorte qu'il ne se passe rien de trop grave".
.
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.