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Billet de blog 3 octobre 2023

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Jurgen Habermas est au cœur des États généraux de l’information

Aujourd’hui, le penseur de l’école de Francfort s'impose tel un géant. Inventeur du concept d'Espace Public, ce philosophe allemand présente dans son œuvre la démocratie comme un lieu de débat, où les citoyens, libres et correctement informés, discutent de l'intérêt général. Pourtant, comme souvent en politique, le diable se cache dans les détails.

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États généraux de l'information, il faut éviter l'effet pschitt - L'édito médias © France Inter

Les espaces publics occidentaux en plein bouleversement

Ce matin, lors du lancement des États généraux de l’information à Aubervilliers, Emmanuel Macron a exprimé sa volonté de mettre l'opinion publique au cœur du processus de décision politique, avec une attention particulière accordée aux dispositifs de débat et à la démocratisation de l'action administrative. Cependant, le président de la République insiste sur le fait que le renouveau des pratiques démocratiques ne peut pas seulement être conditionné par ces échanges institutionnalisés, mais également par la diffusion d’information de qualité, par les médias, TV, radio, ou journaux, dans l’Espace Public. Ce concept, tel que le définit Jurgen Habermas, est une sorte de champ de bataille, où se mêlent le bruit des médias, les échos des discussions de citoyens correctement informés, et le murmure parfois inaudible de la vérité. Dans cet espace, les journaux jouent un rôle de gardien, de vigie, scrutant les zones d'ombre, éclairant les recoins les plus sombres. Et cette fonction est vitale : car si la démocratie repose sur des droits fondamentaux, des libertés un langage commun, elle requiert aussi des zones de dissensus, de débat, de confrontation. 

La démocratie délibérative, une alternative ? / Politikon #6 © Politikon

Juliette Demey, autrefois à la tête de la Société des journalistes du JDD, indiquait ce matin dans les colonnes de Libération qu'elle espère une unification de la profession autour de mesures phares. « Il est impératif d’agir légalement pour garantir l’indépendance des journalistes. » Une initiative législative a également été déposée le 18 juillet pour aider les médias dans leur mission d'information. Car comme l'a souligné Habermas, il ne suffit pas de partager une langue commune pour être d'accord. Et c'est précisément là que réside le rôle essentiel des médias : garantir que, dans cet Espace Public, toutes les voix puissent être entendues, toutes les opinions considérées sans que des magnats comme Serge Dassault ou Bernard Arnault rachètent un ensemble de journaux. En effet, l'information, ce sanctuaire démocratique, est menacée par des forces hétérogènes – Bolloré, Poutine, Elon Musk, même ChatGPT. Christophe Deloire, président de Reporters Sans Frontières, soulignait après consultations parlementaires, « l’importance de ces États généraux. » En amont de ces débats, Deloire aspire à une initiative « citoyenne ».

Médias, pouvoir et espace public 

Ce matin, un sondage révélait que seulement 63% des Français considèrent la presse comme indépendante. 82% voient les médias comme de simples instruments des empires financiers. Face à ce constat alarmant pour l'intégrité de l'Espace Public, concept central chez Habermas où le discours citoyen devrait primer sans entraves des pouvoirs économiques, Juliette Demey a commenté dans Libération : « Nous ne pouvons attendre des magnats des médias qu’ils prennent les devants. » Dans cette mêlée médiatique, Dov Alfon a également alerté dans un éditorial de Libération sur : « l'urgence de préserver le secret des sources, mise à mal par les actions visant Ariane Lavrilleux et des journalistes de Libération. Les Échos, pourtant dotés d’un droit d’agrément, refusent la nomination de François Vidal à cause, semble-t-il, de pressions de Bernard Arnault, après le départ soudain de Nicolas Barré. »

Ainsi, derrière ces turbulences financières et journalistiques, une lutte discrète se trame, dessinant les contours de notre Espace Public. Dans la vision d'Habermas, cet espace devrait permettre un échange authentique et transparent, hors de portée des manipulations. Mais comme il l'a évoqué, cet espace est aujourd'hui influencé par les agissements des barons des médias. Ces géants de l'information, bien au-delà de leur rôle de diffusion, façonnent une culture ultralibérale qui imprègne notre quotidien. Martin*, un militant Asperger de l'association Clé Autiste, souligne : « Sur le handicap, et l’autisme spécifiquement, le journalisme obéit à un rythme médiatique stéréotypé. Il façonne une vision de nous basée sur les discours des dirigeants d'entreprises, ce qui dénature la perception de notre condition. »

L’émergence d’un spectacle public à cause des médias mainstream

L'Espace Public, tel qu'envisagé par Jürgen Habermas, représente une sphère publique et privé où les citoyens devraient pouvoir discuter librement des questions publiques, éloignés des contraintes du pouvoir et du marché. Habermas soutenait que cet espace était essentiel à la démocratie, permettant la formation de l'opinion publique par le biais de discussions rationnelles. Malheureusement, cet idéal semble s'être vu transformé : autrefois sanctuaire du discours citoyen, il est aujourd'hui dominé par le spectacle médiatique et les impératifs publicitaires. Les sentinelles traditionnelles de la véracité semblent s'estomper, cédant la scène à des figures médiatiques comme Éric Zemmour, Sandrine Rousseau ou Gabriel Attal.

Sandrine Rousseau, en vert et contre tous ! - Complément d'enquête © Complément d’enquête

Pourtant, avant de condamner cette mutation, il convient de rappeler l'importance des médias. En dépit des critiques, ils demeurent un pilier essentiel de cet Espace Public habermassien, servant de plateforme d'échange et de débat. Ceux-ci, même en relayant les « coups de comm » des célébrités, restent cruciaux dans cet Espace Public, dont l'essence est d'assurer la circulation libre et critique des idées. Il revient à nous, acteurs et observateurs, de démêler le vrai du faux. À ce propos, Christophe Deloire soulignait ce matin dans La Croix : « Seuls 57% des Français perçoivent un véritable effort des médias face à la désinformation. » De plus, nombreux sont ceux qui estiment que l'audimat prime sur la vérité. Ces signaux d'alarme sont palpables. Face à ces enjeux, quel est notre plan d'action ? Comment restaurer la confiance et redonner à cet Espace Public son rôle démocratique originel ? "Les états généraux ambitionnent d'identifier les lacunes de notre système médiatique," déclare Deloire. "Nous naviguons dans une ère numérique tumultueuse où l’indépendance de l’information est en jeu. Du contenu à la diffusion, tout mérite un examen minutieux."

Des États généraux pour apprendre à diffuser de l’information 

À l'ère de Tiktok et Twitter, l'information transcende le simple transfert de connaissances dans l'Espace Public tel qu'Habermas l'avait conceptualisé. Elle est marquée par des stratégies, souvent cachées, orientées par des logiques médiatiques qui, tout en se proclamant neutres, façonnent notre perception de la réalité. Cet entremêlement, palpable à l’Assemblée nationale ou lors d’évènements officiels, mélange spectacle et information, brouillant ainsi la ligne entre vérité et fiction. « La vérité de l’information, souligne Thierry, chercheur au Cevipof, est un art que médias et acteurs politiques manipulent habilement, gommant la frontière entre journalisme sincère et rhétorique promotionnelle.» * Thierry nous rappelle qu’Habermas lui-même avait exprimé sa préoccupation face à ce phénomène. 

Mais comment faire la part des choses dans cette avalanche d’informations ? Comme le relevait David Assouline, ancien sénateur de Paris, les Gafam se sont immiscées dans le domaine informatif, échappant aux cadres régulatoires existants en France. « C’est un double enjeu, confiait-il à La Croix : d'une part, la problématique des géants du numérique en elle-même et d'autre part, l'argument de grandes entreprises françaises souhaitant centraliser pour rivaliser avec elles. » Ainsi, dans cet âge des tweets et défis Tiktok, où chacun peut revendiquer le titre de « journaliste » sans accréditation, la distinction entre information et divertissement devient floue. Dans ce contexte, la conception de l'Espace Public par Jurgen Habermas est au cœur d'un débat vibrant : est-ce une structure formelle ou un lieu dynamique de création de sens alimenté par des médias qualitatifs ? Car, au-delà de la simple théorie, vivre en tant que citoyen dans cet espace public demande jugement, action proactive et, avant tout, audace.

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