Les partis de La Nupes se réconcilieront en lisant Karl Korsch

La faute de l'impasse revient à tous les partis de gauche 

Dans son essai "Marxisme et philosophie", Karl Korsch, ministre de la justice du land du Thuringe destitué par le chancelier Friedrich Ebert, souligne l'indissociabilité entre la théorie et la pratique socialiste, réfutant ainsi toute idée qui conférerait à l'idéal marxiste une existence autonome et indépendante du flux des événements sociaux. Il rejoint ainsi le philosophe Louis Althusser qui, dans son essai "Pour Marx", compare l'"interaction mutuelle" entre la base et la superstructure à une relation mécanique d'action-réaction. Cette remise en question incite également Karl Korsch à interroger la social-démocratie. Comme l’expliquait hier dans un long article Romaric Godin, journaliste économie pour Mediapart, Korsch critiquait les socialistes réformistes de son époque, incarnés par Karl Kautsky et le SPD, en déclarant : « Ce marxisme est devenu une interprétation codifiée de la société où l'on applique la "loi de la valeur" sans la remettre en question ». Ainsi, Romaric Godin met en exergue l'opinion de Korsch selon laquelle ce marxisme serait « réactionnaire », car il va à l'encontre du mouvement historique de la lutte des classes.

Aujourd’hui, les partis de la La Nupes doivent orchestrer rapidement cette lutte des classes s’ils aspirent à remporter les élections présidentielles de 2027. Néanmoins, tout parait si compliqué. Le 26 juillet, Jean-Luc Mélenchon, dans une note de blog, critiquait à juste titre les verts, les communistes et les socialistes qui privilégient leurs propres intérêts, en particulier dans le contexte des élections européennes, au risque d'oublier cette lutte des classes qui structure tous les projets socialistes depuis deux siècles. Il affirmait : « Ces partis favorisent leurs intérêts immédiats, cherchant à gagner plus de sièges par la division plutôt que par l'unité. ». Enfin, on peut laisser entendre qu’il sera extrêmement compliqué de construire une unité entre tous ces partis, anéantis par des querelles d’égo entre quelques élus plus ambitieux les uns que les autres, qui en a oublié ce qui a toujours structuré la gauche : la lutte des classes, contre la précarité, et pour les droits sociaux.

« Aucun programme disruptif sur le plan social et écologique pour la classe des travailleurs ne pourra émerger si les partenaires de LFI voient dans cette "dramatisation" un stratagème pour se débarrasser de La Nupes. » 

L’union de la gauche est la seule perspective politique à même d'unir tous les partis de gauche aujourd'hui. Olivier Faure, socialiste et allié crucial de Mélenchon au sein de La Nupes, a exprimé son désaccord avec les positions portées par l'ancien candidat Insoumis à la présidentielle dans son programme L’Avenir En Commun. Cependant, sans solutions concrètes, il peine à aborder des sujets sociaux aussi délicats que le handicap, domaine dans lequel Jean-Luc Mélenchon démontre une excellente maîtrise, comme l’ont révélaient des échanges sur l’autisme avec un journaliste stagiaire de La Croix dans une manifestation où Manuel Menal et d’autres membres du Cercle La Boétie étaient présents. Par conséquent, toute initiative visant à établir quatre listes distinctes de gauche pour les élections européennes est inévitablement vouée à l'échec. Si chaque parti de La Nupes entreprend une campagne isolée, cédant aux ambitions personnelles de quelques élus carriéristes en 2024, et oublie la lutte des classes ainsi que les intérêts des travailleurs, il mènera assurément le gauche droit dans le mur. Ainsi, il n'est pas question d'abandonner toute philosophie, mais plutôt de renoncer à toute théorie qui ne reflète pas simultanément l'état des luttes sociales autour de problématiques telles que l'autisme, la précarité, l'écologie ou le droit des femmes.

Empêcher toute rupture du socialisme avec le terrain

Hier, Romaric Godin soulignait dans son article l'opposition ferme de Karl Korsch aux "marxistes orthodoxes" de son époque. Ces derniers auraient, selon lui, dissocié la lecture de Marx de la réalité des luttes sociales et l'auraient ancrée dans les "fétiches" bourgeois tels que l'État ou l'économie. De nos jours, l'absence de connaissance et d'intérêt des élus socialistes et écologistes sur des sujets tels que les SESSAD et les IME illustre parfaitement une problématique semblable. Un spécialistes des socialismes modernes souhaitant rester anonyme témoigne. « Depuis quelques années, nous observons l'émergence d'une gauche qui a négligé trop de mouvements authentiques et de revendications liées à des luttes sociales aussi dignes que celle sur le handicap. » Ainsi, l’éminent chercheur en conclue que lorsque le socialisme, qu'il soit écologique, anticapitaliste ou communiste, perd le contact avec l'évolution sociale pour privilégier les ambitions individuelles de quelques élus, il se rigidifie et devient une "idéologie" pour des partis gouvernementaux tels que EELV, le PS ou le SPD à l'époque de Korsch. Dès les années 20, le ministre de la Justice de Thuring destitué par Ebert concluait que le communisme russe et la social-démocratie étaient des formes de capitalisme d'État et que le léninisme était un facteur de la lutte interne bourgeoise pour la gestion du capitalisme. 100 ans après, en 2023, peu de choses ont changé. Comme le révélait hier Nathalie Schuck, journaliste au Point, les dirigeants de La Nupes ne sont pas encore prêts à conclure un accord électoral pouvant unifier ceux désirant combattre le capitalisme d'État instauré par Emmanuel Macron. Les journalistes du Point révélaient également qu'Olivier Faure communique de moins en moins avec les Insoumis, et que la coordination de LFI a subi d'importantes modifications depuis l'arrivée de Manuel Bompard. En effet, Olivier Faure soupçonnerait Bompard d'être « un ennemi de l'intérieur », particulièrement après une conférence éclairante de 2 heures qui a suivi une première - avec un changement d'agenda vers un débat sur les résultats des législatives, la capacité d'adaptation au modèle social, etc. La gestion de cette situation a été particulièrement éprouvante pour Olivier Faure.

Vers un nouveau matérialisme dialectique 

Dans le climat actuel, la philosophie de Karl Korsch retrouve une pertinence renouvelée. Ses écrits sur les illusions socialistes, prétendant atteindre un socialisme démocratique via la protection du consommateur et la régulation du capitalisme, font écho aux préoccupations actuelles des partis de La Nupes, à condition que leurs dirigeants ne soient pas submergés par des tractations électorales et les aspirations carriéristes de leurs représentants. Comme le soulignait judicieusement hier Romaric Godin, l'examen critique de Korsch cible aussi des formes plus exacerbées de capitalisme, telles que le capitalisme d'État. Selon Korsch, cela mène à l'inertie des luttes sociales, qui peinent à saisir leur rôle historique. Romaric Godin disait. « En France, expliquait le journaliste économique de Mediapart, le mouvement des "gilets jaunes" et les contestations contre les réformes des retraites de 2019 et 2023 incarnent cette inertie. ».  Ces mouvements, parmi lesquels figurent également La Voix des Handi-Visibles de Georgio Loiseau pour les personnes handicapées, n'ont pas, malgré une mobilisation impressionnante, réussi à dépasser le cadre idéologique capitaliste et ont donc échoué. Leur tournant politique vers le fascisme, actuellement incarné par Le Rassemblement National qui se positionne de plus en plus sur des enjeux sociaux tels que la trisomie et le handicap, est donc logique. Il est donc temps pour les dirigeants de La Nupes de redécouvrir Karl Korsch, non pas comme un guide stratégique, ce qui serait en opposition avec sa philosophie, mais parce qu'il propose un cadre pour comprendre nos impasses actuelles et, ainsi, mieux les surmonter. La pensée historique de Korsch peut nous aider à cerner les limites et les erreurs des débats politiques contemporains, ainsi qu'à envisager de nouvelles orientations pour le futur.