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Billet de blog 5 novembre 2023

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Nasrallah a poussé le cinéma égyptien au-delà des frontières arabes

Depuis le 7 Octobre 2023, Yousry Nasrallah, cinéaste de l'époque post-Infitah, est redevenu un cinéaste arabe extrêmement contemporain. Financement européen, récit transnational : comment ce marxiste a favorisé un tournant pour le cinéma égyptien?

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Un cinéaste au cœur du paysage transnational

La porte du soleil © BEZBAR VDOS

À mesure que l'Égypte s'intégrait dans le système néolibéral mondial au fil des années 70, elle a commencé à naviguer différemment dans son rôle dans les politiques et les économies internationales. Ce changement a eu diverses répercussions culturelles, y compris dans le cinéma égyptien, où l'on observe une transition vers des productions qui reflètent les nouvelles dynamiques géopolitiques et économiques. Yousry Nasrallah, cinéaste profondément enraciné dans les mouvements étudiants socialistes des années 1970, représente cette nouvelle génération de réalisateurs égyptiens qui a profité de ce système pour le contester. Son film "La Porte du Soleil" a non seulement remis en question les normes esthétiques dominantes, mais a également réinterprété les traditions narratives pour transmettre une histoire complexe et nuancée de la Nakba, vue à travers le prisme du présent contemporain. Ce film, adapté du roman d'Elias Khoury, retrace la Nakba et la vie dans le camp de réfugiés de Shatila à Beyrouth durant les années 1990. Il marque une déviation des productions cinématographiques égyptiennes traditionnellement nationalistes, proposant une approche transnationale de la narration. Ainsi, le travail de Nasrallah et la production de "La Porte du Soleil" signalent un tournant pour le cinéma égyptien sur la scène mondiale. Le récit intégré dans le tissu de ce film souligne la résilience du peuple palestinien et offre un message transcendant qui traverse les frontières nationales, tout comme la production du film elle-même, massivement financée par des studios de production occidentaux.

Un cinéaste au cœur du mouvement néo-réaliste

Yousry Nasrallah, cinéaste de l'époque post-Infitah, a défié les codes avec "La Porte du Soleil". Les cinéastes issus du mouvement étudiant auquel Nasrallah a participé sortent leurs premiers films au début des années 80. Les œuvres telles que "La Porte du Soleil" sont souvent regroupées sous l'appellation de "Nouveaux Réalistes". Cette génération de cinéastes arabes a marqué une transition dans le paysage cinématographique africain, caractérisée par une exploration de nouvelles voies de production et de financement, souvent en contraste avec les intérêts commerciaux des puissances du Golfe devenues hégémoniques. Yousry Nasrallah et Asma al-Bakri représentent cette génération de cinéastes privilégiant des arrangements de coproduction avec des entités gouvernementales européennes, incarnant ainsi une forme d'anti-normalisation par leurs choix de financement. Enfin, la méthode de financement de "La Porte du Soleil" reflète la nature changeante de la production cinématographique dans les années 90, de plus en plus dépendante des coproductions internationales en raison des conditions économiques imposées par les pays occidentaux et les institutions internationales telles que le FMI et la Banque mondiale.

Le Paradoxe du Soutien Européen au cinéma de Nasrallah

Lorsqu'il sort "La Porte du Soleil" au début des années 90, Nasrallah exprime rapidement une méfiance envers les intérêts propagandistes et largement commerciaux des puissances du Golfe, une réticence qui s'inscrit dans le cadre plus large de l'Infitah. La France, avec son soutien historique à la diversité culturelle et cinématographique, s'est révélée être un partenaire de choix pour Nasrallah, qui cherche à maintenir son indépendance créative et à défendre des valeurs qui transcendent le cinéma commercial. De plus, Nasrallah, connu pour son approche critique des normes sociales arabes et ses sujets politiquement sensibles comme le radicalisme de gauche et l'islam politique, trouve une résonance particulière avec le financement français, reflétant un désir de liberté esthétique. Ainsi, son œuvre s'est rapidement ouvert au-delà des frontières arabes, tant dans sa production que dans sa diffusion. Des chaînes européennes telles qu'ARTE et Canal+ ont joué un rôle clé, offrant de nouvelles sources de financement et de diffusion pour des films alternatifs, promouvant ainsi les identités culturelles diasporiques. Néanmoins, l’adoption du néolibéralisme et le rapprochement diplomatique de l'Égypte avec Israël posaient de nouveaux défis pour Nasrallah.  Dans ce contexte, "La Porte du Soleil" se présente comme une réponse exemplaire aux enjeux de production et de narration dans le cinéma égyptien. Le film adopte un mode de production collaboratif et une structure narrative dialogique, qui intègre des techniques de narration traditionnelles à des tropes de cinéma transnational, pour créer une histoire orale polyphonique et contre-hégémonique de la Nakba.

La question palestinienne aux portes du cinéma de Nasrallah

Deux décennies après les Accords de Camp David, "La Porte du Soleil" se dresse comme un témoignage vivant de l'importance persistante de la question palestinienne pour l'intelligentsia de gauche arabe. Malgré l'isolement diplomatique consécutif à Camp David, marqué notamment par la suspension temporaire de l'Égypte de la Ligue arabe et le boycott de ses produits, des intellectuels et artistes égyptiens, engagés aux côtés de Yousry Nasrallah dans les mouvements étudiants communistes égyptiens des années 70, ont mené leur propre forme de boycott culturel. Ce mouvement critique à la fois la normalisation des relations de l'Égypte avec Israël et l'adoption de l'Infitah (politique d'ouverture économique), incarnant une solidarité avec la lutte palestinienne en tant que combat parallèle marxiste à leur propre lutte contre la répression politique égyptienne et l'accumulation du capital.

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