
Un dispositif aussi juste que complexe
En 2022, le nombre d'arrêts maladie prescrits par les médecins français a augmenté de 7,9%. La Sécurité sociale a consacré 16,3 milliards d'euros à ces arrêts, soit 8% de plus que l'année antérieure. Cette croissance est partiellement due à la hausse de la population active, au retard de l'âge de la retraite engendré par le système de bonus-malus incitant les travailleurs, tant publics que privés, à retarder leur départ, et aux tendances de l'emploi et des salaires amplifiant les indemnités journalières. Toutefois, ces éléments ne clarifient pas entièrement cette augmentation des arrêts maladie parmi les salariés français. En cas d'arrêt, un salarié continue de toucher une partie de son salaire durant cette interruption contractuelle. Le complément de salaire est versé dès le premier jour et ce jusqu’au huitième jour d'absence.
Quant à l’indemnisation, le salarié obtient 90% du salaire brut pour les 30 premiers jours, puis 2/3 pour les 30 jours suivants. Maryline*, juriste spécialisée en droit du travail à Paris, précise : « L'indemnisation s'allonge de 10 jours tous les 5 ans d'ancienneté, avec une limite de 90 jours. » De plus, elle mentionne que pour déterminer le montant des indemnités d'une période, il faut considérer les sommes déjà reçues par le salarié durant les 12 mois avant son absence. « Ainsi, souligne Maryline, l’entame d’une nouvelle année n’initie pas un nouveau cycle d'indemnisation. » Certains avantages comme une prime repas ou une allocation de transport, bien qu'ils soient forfaitaires, sont vus comme un défraiement et sont exclus du salaire de référence pour l'indemnisation.
Comment fonctionnent les contrôles des arrêts maladie ?
En France, le Code du travail et plusieurs conventions collectives offrent à l'employeur la faculté de solliciter une contre-visite médicale pour les arrêts de travail. Avec les récentes dispositions prévues dans le futur projet de financement de la Sécurité sociale, face à un doute sur un éventuel "faux arrêt", les employeurs pourront requérir un médecin agréé pour vérifier la légitimité de cet arrêt maladie. Bien que cette démarche fût déjà disponible, elle était limitée par des freins administratifs. Maryline témoigne. « À présent, les examens seront simplifiés, et si le praticien mandaté par l'employeur estime qu'il y a fraude, il aura le droit d'annuler directement l'arrêt de travail et de stopper les indemnisations. » L’avocate admet que certains abus ont été constatés, comme des arrêts de complaisance, des téléconsultations les utilisant à des fins malhonnêtes, voire des faux arrêts vendus sur les plateformes numériques.
Par ailleurs, des journalistes du Monde indiquaient ce matin que l'État a instauré des procédures pour encadrer la délivrance des arrêts maladie, y compris des "entretiens confraternels" pour les docteurs qui prescrivent de façon excessive en téléconsultation. Quoique suscitant des interrogations, les téléconsultations ne forment qu'une minorité des consultations médicales totales. Les services de téléconsultation représentent seulement 4% de l'ensemble des consultations, et moins de 5% des arrêts sont émis par ce biais, d'après la Caisse nationale d’arrêt maladie (CNAM). Il demeure incertain comment le Conseil constitutionnel percevra cette nouvelle restriction, lui ayant déjà rejeté une proposition analogue en 2022. D'autres directives restreignent aussi les prescriptions en téléconsultation à trois jours, sauf accord avec le médecin référent. Un échange vidéo sera également requis, évitant les arrêts délivrés uniquement par message ou SMS.
Les syndicats restent sceptiques
Dès sa première heure d’absence, un salarié en arrêt maladie est susceptible d'être contrôlé sans être forcément prévenu de ce contrôle. Maryline, avocate spécialisée, indique : « Il relève de la responsabilité du salarié d'indiquer à l'employeur les horaires et le lieu où ce contrôle pourra se dérouler. ». En situation de litige, l’expertise juridique stipule que c'est à l'employeur de démontrer qu'il n'a pas pu réaliser la contre-visite du fait du salarié, tandis que le salarié est tenu d'expliquer toute non-présence lors de celle-ci. L'employeur dispose du droit de sélectionner le médecin contrôleur. Cependant, si ce dernier omet de présenter ses qualifications professionnelles ou sa mission durant la visite, le salarié est en droit de s'opposer à ce contrôle. A moins d'une disposition spécifique, le salarié n'est pas autorisé à demander la présence d'une autre personne lors de cette vérification. Si, à l'issue de ce contrôle, le médecin conclut à une invalidité de l'arrêt ou à une impossibilité de le vérifier, il se doit d'en notifier l'employeur et de transmettre un rapport détaillé à la caisse d'assurance maladie. « Les retombées d'une telle conclusion peuvent varier », souligne Maryline. " Si le contrôle médical considère l'arrêt injustifié, le salarié est sommé de reprendre son activité."
Toutefois, un médecin du travail ne peut se baser sur l'avis contradictoire du médecin-conseil de la sécurité sociale. Il a néanmoins la latitude de solliciter une nouvelle évaluation et éventuellement une expertise judiciaire. En cas de divergence entre l'avis de cette expertise et celui du médecin-contrôleur, l'employeur doit s'acquitter des indemnisations complémentaires liées à l'arrêt maladie. Selon les informations recueillies ce matin par nos confrères du Monde, Jocelyne Cabanal, secrétaire nationale de la CFDT, a émis des inquiétudes, affirmant que cette démarche pourrait être perçue comme une stigmatisation des salariés. Elle plaide pour une intensification des contrôles des services de téléconsultation. Des plateformes telles que Livi, Medadom ou Qare sont particulièrement dans le viseur des autorités en raison des possibles dérives.
Un versement très organisé des indemnités du salarié malade
Face à ces défis contemporains en matière de santé au travail, Olivier, médecin du travail à Blois indique qu’il devient impératif de penser à une synergie entre syndicats, employeurs et professionnels de la santé. « Adopter une approche holistique, clame-il, c'est-à-dire une vision globale, permettrait non seulement d'identifier mais aussi d'adresser les causes profondes des malaises et des stress en milieu professionnel. » Selon Olivier, ces causes sont souvent multifactorielles et peuvent inclure une charge de travail excessive, un manque de reconnaissance, des conflits interpersonnels ou encore des conditions de travail inadéquates. Enfin, il indique que cette sensibilisation aux risques psychosociaux peut avoir des retombées bénéfiques sur plusieurs plans. « Améliorer la satisfaction générale des employés est un autre avantage non négligeable » souligne le médecin du travail. « Un salarié épanoui se met moins en arrêt maladie. Il est généralement plus loyal, plus investi dans son travail et moins susceptible de quitter son emploi, ce qui réduit le taux de turnover et les coûts y afférents pour l'entreprise. » Les entreprises, qu'elles soient petites ou grandes, ont donc tout à gagner à investir activement dans des initiatives et programmes favorisant un environnement de travail sain, équilibré et respectueux. Cela pourrait se traduire par des formations régulières sur la gestion du stress, la mise en place d'espaces de détente, l'encouragement à des activités physiques ou encore la création de groupes de discussion où les salariés pourraient exprimer leurs préoccupations.