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Billet de blog 9 novembre 2023

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RN : Mathilde Paris avoue enfin les liens du parti avec l’antisémitisme

Effacer l'étiquette de l'antisémitisme pour conquérir le pouvoir. Une mission impossible pour un parti crée par des proches de François Brigneau et Jean-Marie Le Pen.

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Un détail important de l’histoire du RN

Le mercredi 8 novembre 2023, il est 17h26 lorsqu’Alain Marshall, journaliste à BFM TV, interroge directement la députée de Blois Mathilde Paris dans l’émission BFM Story : « Vous pensez que Jean-Marie Le Pen était antisémite ? ». Face à cette question délicate, après un silence pesant, la députée RN, issue d’une famille d'enseignants de gauche, répond par l’affirmative avec hésitation. Ainsi, Mathilde Paris semble faire écho aux évènements de septembre 1987, où, sur le plateau de RTL/Le Monde, Jean-Marie Le Pen formulait des assertions qui allaient chambouler son parti et inscrire une fissure durable dans le paysage politique français, présentant les Le Pen comme des politiciens infréquentables. L'affaire des "chambres à gaz, un détail de la guerre", loin de s'inscrire comme un épilogue, se transforme en prélude à une chronique politique qui se prolonge jusqu'à ce dimanche récent, où Jordan Bardella concédait que, selon lui, Jean-Marie Le Pen n'était pas antisémite. Le récit détaillé de l'impact de ces paroles persistantes va être dévoilé, des mots de Jean-Marie Le Pen qui soutenait : « Ce que j’ai dit correspondait à ma pensée, que les chambres à gaz étaient un détail de la guerre, à moins d’admettre que c’est la guerre qui était un détail des chambres à gaz », tend à démontrer, comme l’a bien expliqué Mathilde Paris, que le président du RN ment sur le passé antisémite de l’ancien leader d’extrême-droite.

Rebelote 30 ans plus tard

Quand le journaliste Jean-Jacques Bourdin le confronte des années plus tard, la réponse de Jean-Marie Le Pen résonne avec la même assurance « Oui absolument, je les maintiens, parce que je crois que c’est la vérité et que ça ne devrait choquer personne », malgré la tentative de disculpation de tout antisémitisme « on a instrumentalisé cette affaire contre moi en y induisant un soupçon d’antisémitisme, alors que je mets au défi quiconque de citer une phrase antisémite dans ma vie politique ». Cette déclaration était-elle une stratégie calculée pour reprendre la main au sein du parti ? Les réactions au sein du FN, où le "grand malaise" était palpable, et le calcul politique de Jean-Marie Le Pen visant à clasher en comparant le système politique français à une « Ripoublique »dans le journal antisémite Rivarol pour conserver son influence a encore des effets aujourd’hui. Lorsque Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement National, prend la parole le 8 novembre 2023, pour un appel vibrant à la cohésion nationale face à la montée des actes antisémites, tout le monde à gauche et au centre, de Fabien Roussel en passant Stéphane Séjourné à Jean-Luc Mélenchon la juge peu crédible. Ainsi, Marine Le Pen a beau orchestrer depuis plus de dix ans, et le congrès de Tours, une symphonie de changement politique et personnel, rien ne se passe.

Quel impact a eu ce détail ?  

En 1987, une phrase lâchée par Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front National, devient une tache indélébile dans l'histoire politique française : les chambres à gaz, réduites au rang de "point de détail" de la Seconde Guerre mondiale, provoquent un tremblement de terre dont l'épicentre se trouve au cœur même de l'extrême droite. Ce qui n'était qu'un murmure à la suite d'une couverture médiatique initialement partielle avec Jean-Jacques Bourdin, devient un cri d'indignation en moins de deux jours. Ce récit, n'est pas juste une chronique des faits ; c'est la dissection minutieuse d'une tempête politique et d'un séisme idéologique. L'impact de ces mots est mesurable : une fracture s'opère au sein du FN, aboutissant à la défection de 1 500 à 2 000 militants horrifiés, citant les chiffres de Jean-François Touzé. Les dissensions internes s'accentuent, et la débandade des cadres, illustrée par le départ d'Olivier d'Ormesson, ébranle la structure du parti.

 Sur le terrain politique, l'influence du FN est ébréchée, ses bastions régionaux vacillent face à la réprobation grandissante.Charles Pasqua, alors figure éminente de la droite classique, voit dans ce scandale une opportunité : il met en œuvre une stratégie d'étouffement politique, cherchant à asphyxier le FN avant les élections de 1988. Cet épisode est emblématique des tensions qui traversent le spectre politique français : il révèle les manœuvres et les alliances tacites visant à redéfinir les contours de l'acceptable et de l’inacceptable dans le débat public. Un cheminement narratif riche et nuancé, retraçant l'écho long et persistant d'une phrase devenue synonyme de l'inacceptable, et d'une politique française en quête constante de rédemption.

 Dédiaboliser un parti infréquentable

Sous l'égide de Marine Le Pen, nommée à la tête du parti lors du congrès de Tours en 2011, la formation d’extrême-droite s'emploie à se défaire de son héritage controversé pour adopter une stratégie de dédiabolisation. L'ambition est précise : transformer le potentiel électoral en mandats et en influence, un changement qui pourrait se concrétiser par un succès lors de l'élection présidentielle de 2027. Le 16 décembre 2013, un tournant stratégique est dévoilé lorsque Louis Aliot confie à la journaliste Valérie Igounet : "La dédiabolisation ne porte que sur l’antisémitisme […] C'est ce qui empêche les gens de voter pour nous". Ces mots révèlent un calcul tactique plutôt qu'une véritable rupture idéologique, visant à faire échoir de la mémoire collective les déclarations infâmes de Jean-Marie Le Pen sur les chambres à gaz.

Enfin, la réorientation s'incarne pleinement en 2015, lorsque Marine Le Pen, dans un geste hautement symbolique, exclut de la formation son propre père, figure jadis imperturbable du Front National. Le jour où Jean-Marie Le Pen part définitivement, il initie sans le mesurer une grande transformation radicale de son mouvement et, par extension, de l'échiquier politique d’extrême-droite français. Néanmoins, le parti à la flamme, crée en 1972 par l’ancien milicien François Brigneau, peine à achever sa mue 50 ans après sa création, lorsque des micro partis sont rassemblés autour du FN. Récemment, Tristan Berteloot, journaliste à Libération spécialiste de l'extrême droite, analysait deux clichés émergés en 2014, capturant Axel Loustau, bras levé en un angle qui évoque le « salut fasciste » lors d'un rassemblement privé. La portée de cette image dépasse le geste lui-même : alors que les magistrats de la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris s'apprêtent à juger si Mediapart a diffusé le cliché d'un salut fasciste par Axel Loustau, ils doivent également trancher sur la réputation présumée antisémite du trésorier du micro-parti « Jeanne », organe de financement de Marine Le Pen. Malgré un contrôle renforcé de son image et une apparente tempérance, le RN ne réussit pas à effacer entièrement les ombres de son passé. Dans cette quête de renouveau, le Rassemblement National se heurte au défi de réécrire son histoire sans occulter ses pages sombres.

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