L'envol des prix a replongé des millions de français dans la grande précarité
Dotés d’une épargne conséquente lors de la crise covid où leurs dépenses étaient souvent faibles, de nombreux français souffrent actuellement de la hausse des prix. Ils cherchent des solutions pour moins dépenser afin de ne pas sombrer dans la grande précarité.
En 2021, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, mettait en avant la création de millions d'emplois et l'augmentation considérable de l'épargne des ménages sur deux ans. Le professeur du lycée Jean Dautet que nous avons rencontré confirme cette analyse : « Entre 2021 et le début de la crise inflationniste, Bruno Le Maire était persuadé que le niveau d'épargne des ménages les protégeait de la précarité. »Effectivement, le taux d'épargne a grimpé à 27 % au deuxième trimestre 2020, alors que généralement, il représente 15 % du revenu des individus. De plus, entre 2020 et 2021, l'INSEE a estimé l'épargne brute des Français à 580 milliards d'euros, soit une hausse de 200 milliards par rapport à 2018-2019. Toutefois, les personnes à faibles revenus, qui n'avaient pas l'habitude d'épargner, ont été durement touchées lorsque la crise inflationniste a aggravé leur situation de précarité. L'économiste agrégé de La Rochelle que nous avons interrogé note une baisse significative du niveau de vie des ménages : -0,3 % en 2022 et -0,6 % début 2023. Il évoque également des chiffres mis en avant par Mathias Thépot, journaliste économique chez Mediapart : « Régulièrement, mentionne le professeur, mes élèves et moi analysons les statistiques révélant une hausse de 16 % des inscriptions au fichier de la Banque de France pour incidents de paiement entre janvier et juillet 2023, comparé à la même période l'an dernier. En France, la plupart des pauvres ne travaillent pas ou occupent des emplois très précaires. » Ainsi, au début de l’année 2022, 9 millions de français vivaient dans une situation de précarité matérielle et sociale. Ces derniers sont souvent sans emploi, ou insérés à temps partiel via des contrats précaires. Une salarié de Ouihelp, l’une des sociétés d’aide à la personne ubérisant les tâches d’aide à la personne pour les personnes âgées ou handicapés témoigne. « Comme beaucoup de travailleurs ubérisés, mon nombre d’heures par semaine est très variable, je ne gagne pas assez. Donc, j'ai demandé une allocation enfant handicapé à la MDPH de Seine Saint-Denis, parce que mon fils est hyperactif. Je sais que cette allocation ne servira pas à lui payer un psy, mais à remplir mon frigo qui est déjà vide au dix du mois. »
Dans son essai "Les grands mécanismes de l’économie en clair", Raphael Didier, ATER en économie à l'Université de Lorraine, définit l'inflation comme une montée des prix due à divers facteurs : « Elle survient notamment à cause d'une fiscalité élevée et d'une dévaluation monétaire, rendant les importations plus coûteuses. » Cette situation engendre, selon lui, une boucle salaire-prix : « Les hausses salariales se répercutent sur les prix, entraînant des revendications salariales constantes. » Vue sous cet angle, l'inflation est un phénomène à dimension sociale. Le professeur du lycée Jean Dautet que nous avons interrogé souligne que le non-ajustement des salaires à cette montée des prix est l'une des raisons de l'appauvrissement des Français. « Depuis 2021, face au retour de l'inflation, la capacité d'épargne des Français s'est érodée », affirme-t-il. Raphael Didier évoque également dans son essai ce qu'il nomme l'"inflation prix-profits". Il précise ce concept essentiel : « Dans une économie de marché, l'inflation produit-prix se manifeste lorsque les entreprises augmentent le coût des biens, comme la moutarde ou l'essence, pour maintenir leurs marges, diminuant du coup le pouvoir d'achat. »Le professeur du lycée Jean Dautet conclut donc que l'inflation importante trouble la stabilité des prix, créant une incertitude pour les consommateurs qui ne peuvent déterminer la valeur réelle d'un produit. Ces doutes inhibent les transactions à long terme, diminuent les investissements, et poussent les Français vers des alternatives de consommation. À ce sujet, Cécile Hautefeuille, journaliste chez Mediapart et enseignante à l’ESJ Montpellier, a documenté les modèles alternatifs de consommation, en prenant pour exemple une épicerie solidaire à Gigean. « Avec la récente envolée de l'indice des prix à la consommation, de nombreux travailleurs en difficulté financière se tournent vers cette épicerie », note-t-elle. Ses interviews à l'épicerie témoignent du désarroi des Français face à l'escalade des prix. Les clients viennent de tout l'Hérault, et même de départements limitrophes.
Vers une perte de compétivité ?
Dans son essai "Les grands mécanismes de l’économie", Raphael Didier illustre comment, en période d'inflation, un pays peut basculer vers la récession ou la dépression, engendrant chômage et troubles politiques. « Si un pays subit une inflation supérieure à celle de ses partenaires commerciaux, sa compétitivité diminue », précise-t-il. Face à cette situation, Raphael Didier postule que des mesures de relance pourraient intensifier les importations, car d'autres nations voudraient booster leurs exportations. Toutefois, il met en garde : « Focaliser uniquement sur la maîtrise de l'inflation, sans chercher la croissance ou le plein emploi, risque de freiner la demande, provoquant récession et chômage. » Dans ce contexte concurrentiel, il serait ardu pour des initiatives visant à assurer un revenu décent aux travailleurs modestes, comme les éleveurs laitiers salariés de "De nous à vous", de se développer. Fabrice Hégron, fondateur de ce projet, confiait récemment à La Croix : « Après un investissement de 8,5 millions d'euros, ma laiterie moderne a une capacité de 10 millions de litres par an. » Bien qu'ambitionnant de concurrencer les géants du secteur laitier tels que Lactalis et Bel, Hégron admet qu'il lui sera difficile d'assurer un salaire équitable à ses éleveurs, actuellement rémunérés à partir de 1 700€ mensuels, ou de commercialiser son lait estampillé "bleu blanc cœur" à 1,15€ le litre en supermarché, surtout dans un climat inflationniste.
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