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Billet de blog 12 août 2023

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Non dissolution des SLT : Quel avenir pour les groupes de contestation écolos ?

Le Conseil d'État a suspendu le décret du 21 juin 2023 prononçant la dissolution du mouvement des Soulèvements de la Terre. Ainsi, il a émis de sérieux doutes sur la justesse de cette initiative lancée par le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, souhaitant dissoudre l’organisation en la faisant passer pour un « groupement de fait ».

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Illustration 1

Les groupements de fait et le statut juridique des SLT 

L’affaire des Soulèvements De La Terre a mis en lumière les difficultés de la justice française à définir ce qu’est un groupement de fait. Comme le rappelle cet article du site Previssima, un groupement de fait est « un groupement de plusieurs personnes physiques ou morales qui n'ont pas exprimé leur volonté de constituer une société, mais qui se comportent "de fait" comme des associés. ». Néanmoins, les Soulèvements De La Terre ne sont ni un groupe constitué, ni une association loi 1901, mais plutôt un mouvement anarchiste organique et horizontal.

Soulèvements de la Terre, Civitas : la dissolution, une arme politique ? - 28 Minutes - ARTE © 28 minutes - ARTE

Un retour des dissolutions de groupe

Les dissolutions de groupements de fait sont devenues plus rares depuis la loi de 1901 sur les associations et la jurisprudence sur la réalité de la personnalité morale des groupements. Néanmoins, un nombre conséquent d’organisations  comme XR, Nantes Révoltée ou Les SLT ne peuvent pas éviter les poursuites judiciaires en prétendant ne pas exister légalement. Le droit des procédures collectives fourmille de ces situations, car ces procédures peuvent être étendues à des sociétés de fait ou parce que la société prend fin par l’effet d’un décret ordonnant son interdiction. 

La légalité du décret de dissolution datant du 21 juin

Pourquoi le soulèvement de la Terre existe toujours?? © hanumanmusashi78

La journaliste Margaux Gable rappelait hier dans les colonnes du journal Libération que le Conseil d’État peut très bien, s’il trouve de nouveaux éléments, changer d’avis et laisser entendre que STL est un danger pour l’ordre public, voire un danger à l’égard des personnes. Il pourra donc appliquer plus tard la dissolution comme l'a demandé le ministre de l’Intérieur. « Surtout, disait-elle, qu’il ne faut pas oublier que le mouvement social peut aussi se radicaliser, aller vers des formes de plus en plus violentes et donc, d’une certaine manière, rentrer dans le cadre dans lequel le gouvernement tente de le mettre depuis plusieurs mois : celui de l’« écoterrorisme ». Néanmoins, la défense argue que si des violences surviennent lors d'un événement co-organisé par les Soulèvements de la terre, cela ne signifie pas nécessairement que le mouvement est directement responsable. Comme le révélaient hier des journalistes de Reporterre, la défense souligne que seulement six des trente-trois actions associées aux Soulèvements sont incriminées par le décret. Le débat a donc été marqué par des désaccords, notamment concernant le nombre exact d'actions violentes attribuées aux Soulèvements, avec Pascale Léglise citant un chiffre différent de celui du décret. Ainsi, Me Pascual a critiqué le ministère pour ne pas avoir intégré ces actions supplémentaires dans le décret, y voyant un potentiel manque de justification et une décision très politique de Gérald Darmanin. À l'issue de ces débats intenses, on peut conclure que le démantèlement de STL soulève des questions politiques et juridiques.

Un démantèlement impossible

Durant trois heures, les avocats de l’association ont battu en brèche les griefs du gouvernement. « Il ne s'agit pas d'un groupement de fait mais d'un mouvement composite et horizontal qu'on ne peut pas dissoudre », a expliqué Me Aïnoha Pascual. Elle a également nié l'appel à la violence contre les personnes : « C'est la désobéissance civile qui est valorisée ». Dans son essai Comment saboter un Pipeline (La Fabrique 2020), Andreas Malm dit : « La désobéissance civile est une tactique – une chose qu’on fait parce que ça marche, ce qui suppose qu’on puisse réévaluer régulièrement son efficacité. ». On devrait alors dire : certes, la violence a été employée dans la lutte contre l’esclavage, contre le monopole masculin sur le suffrage ; la lutte contre les combustibles fossiles et les mégabassines est d’une tout autre nature et elle ne triomphera que par des moyens absolument pacifiques. Y a-t-il donc des raisons convaincantes de tenir une telle position sur les questions écologiques ? Les dysfonctionnements environnementaux créés par les mégabassines ou les pipelines sont-ils si superficiels qu’on puisse les arracher avec moins d'effort que tous ces autres maux ? Ne sont-ils pas inextricablement mêlés à un pouvoir souverain et à des profits fabuleux ? Andreas Malm laisse entendre que si, et soutient la création de mouvements pour défendre un modèle de société écologique et juste. « Lorsque Reznicek et Montoya s’étaient engagées dans le mouvement contre le pipeline Dakota Access au moment de Standing Rock, rappelle le philosophe ; face à la défaite, elles ont choisi de passer à la vitesse supérieure plutôt que de capituler. Ainsi, après avoir examiné et épuisé toutes les formes d’action possibles, dont la participation à des réunions publiques, la collecte de signatures pour réclamer des études d’impact environnemental, les manifestations et les rassemblements, les boycotts et les campements, de nombreux membres des Soulèvements de La Terre nous indiquent qu’ils ont constaté l’incapacité évidente du gouvernement d’Emmanuel Macron, mis en cause pour son inaction climatique.

U.S. court orders shutdown of Dakota Access pipeline © Reuters

Quel avenir pour les groupements de désobéissance civile écolos en France ?

la désobéissance civile de Georgio Loiseau sur le handicap © France 3 Normandie

Une crise comme celle que nous venons de vivre avec Les Soulèvements De La Terre bouleverse tout, même nos boussoles morales. Comme sur d'autres questions comme le handicap ou l'autisme, les radicaux d'hier, comme Martin Luther King à la fin des années 50, sont les modérés demain. Quant à XR et Les SLT, eux, prennent la relève. Comme tout mouvement, ils évoluent, se font une place. Andreas Malm envisage déjà le jour où XR, en face-à-face avec le gouvernement britannique, bataillera sur les émissions à stopper : 2025 ou 2028, qui dit mieux ? (« Lorsque les représentants d’XR s’assiéront avec le gouvernement britannique pour négocier une transition vers un arrêt des émissions en 2025 – les ministres insisteront peut-être pour repousser à 2028 –, on pourra enfin parler d’une véritable politique d’atténuation. ») Mais pour s'asseoir à cette table de négociation, XR et Les SLT auront besoin de gagner en sagesse. Ils devront devenir moins radicaux. Comme Luther King, qui a lui aussi bénéficié d'alliés inattendus à partir du milieu des années 60. Ainsi, les radicaux, sont toujours là pour mettre le boxon à des évènements comme Sainte-Soline, tandis que les modérés font l'affaire. Bonne nouvelle pour les partis politiques de gauche écologistes, souvent réputés pour être moins radicaux ? Sûrement. Ce matin, des journalistes du Figaro expliquaient que les partis traditionnels comme le PS et le PCF continuent de s'appuyer sur leur réseau d'élus locaux et gagnent des adhérents en parlant d’écologie. Le PS, par exemple, vise à intégrer immédiatement les nouveaux membres dans leur section locale. Le Parti communiste, quant à lui, s'est renouvelé grâce à la visibilité de son leader, Fabien Roussel. Et les futurs militants radicaux ? Ils devront s'attendre à être les bêtes noires des traditionnels. Ils doivent même l'espérer. Sinon, ils seraient juste... un de plus dans la masse. Quant aux membres des Soulèvements De La Terre, pas la peine de les convertir tous à l'art du cocktail Molotov. Ce sera le boulot des futures factions. Rien de moins, rien de plus.

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