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Billet de blog 14 mai 2023

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Les grandes réformes constitutionnelles de Recep Tayyip Erdoğan

Les réforme de la Constitution et la présidentialisation du régime turc ont été régulièrement débattues depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP en 2002. En effet, de nombreux projets ont été relancés après les élections législatives de 2007, de 2011 et de 2015. Ils ont abouti aux référendums du 21 Janvier et du 16 Avril 2017.

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Une première réforme à haut risque

Turquie : Coup d'État manqué, au moins 260 morts et 3000 arrestations * FRANCE 24 © FRANCE 24

En quête de stabilité, la Turquie navigue en eaux troubles depuis le cuisant échec du coup d'État d'octobre 2016. C'est dans ce contexte incertain que Recep Tayyip Erdoğan a fait une proposition audacieuse : réformer la constitution. Après l'annonce de cette réforme, une nouvelle donne se dessine au sein de l'opposition. Dans une atmosphère électrique, le Parlement adopte le projet de révision constitutionnelle, jetant ainsi les bases d'un bouleversement politique sans précédent. Cependant, la véritable épreuve de vérité approche à grands pas. Le 16 avril 2017, le sort de cette réforme sans concessions repose entre les mains du peuple, lors d'un référendum historique.

La révision constitutionnelle, pilier de cette lutte acharnée pour le pouvoir, dévoile son contenu explosif : elle accorde des pouvoirs considérablement accrus au président, lui octroyant des prérogatives étendues dans la gestion du budget, le droit de dissoudre le Parlement, la convocation de référendums et l'émission de décrets ayant force de loi. Mais ce n'est pas tout. Le chef de l'État se voit également attribuer la faculté de nommer et de révoquer directement les vice-présidents et les ministres, bouleversant ainsi l'équilibre des pouvoirs. L'ombre de l'autoritarisme plane sur les institutions, tandis que le président, devenant simultanément chef du gouvernement, exerce une influence directe sur le système judiciaire en collaborant avec le Parlement pour nommer les membres du Haut-Conseil des juges et procureurs. Cette emprise inédite sur la justice suscite des inquiétudes parmi les observateurs les plus avertis, notamment au sein de la Commission européenne et dans les milieux politiques occidentaux, attachés au respect d'un fondamental de la démocratie : la séparation des pouvoirs, telle que décrite à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ».

L’impact de la réforme d'Avril 2017 

Turquie : il y a un an, le tournant du référendum © Le Figaro

Les urnes ont rendu leur verdict le 16 avril 2017. Le résultat est serré : le "oui" l'emporte de justesse avec 51,41 %, un taux de participation massif atteignant 85 %. L'épilogue de cette saga politique, digne d'une saison d'House of Cards, se dessine avec l'élection présidentielle du 21 mai 2017. Recep Tayyip Erdoğan, tel un seul candidat en lice, triomphe en étant réélu à la tête de son parti, l'AKP. Le chef de l'État turc, revêtant désormais la double casquette de président et de chef du gouvernement, orchestre directement le fonctionnement de la justice en collaborant avec le Parlement pour désigner les membres éminents du Haut-Conseil des juges et procureurs. De plus, il conserve son statut de chef de l'AKP, autrefois dévolu au Premier ministre. Un véritable pas vers une concentration inégalée du pouvoir, que la diaspora turque bien implantée dans les pays européens va contester.

La diaspora européenne conteste la réforme

Philippe Mahoux sur la liste des critères de l`Etat de droit de la Commission de Venise © PACE

Au sein de l'Union européenne, cette diaspora, estimée à plusieurs millions et majoritairement conservatrice, constitue un enjeu électoral majeur. En mars 2017, la Commission de Venise du Conseil de l'Europe a qualifié le projet de réforme constitutionnelle de "dangereux pas en arrière" pour la démocratie, susceptible de favoriser un "régime personnel" et un "système présidentiel autoritaire". Quant aux eurodéputés, ils ont exprimé leurs préoccupations concernant l'organisation du référendum le 26 avril 2017, le jugeant "inéquitable". À ce moment, le Parlement européen appelle la Commission et les États membres à "suspendre formellement les négociations d'adhésion avec la Turquie sans plus attendre si le paquet de réformes constitutionnelles est mis en œuvre tel quel", considérant que la proposition de révision constitutionnelle ne "respecte pas les principes fondamentaux de la séparation des pouvoirs, n'offre pas suffisamment de contre-pouvoirs et n'est pas conforme aux critères de Copenhague". Malgré ces craintes, l'entrée en vigueur de la réforme constitutionnelle lors des élections présidentielle et législatives anticipées du 24 juin 2018 n'a pas entraîné la suspension des négociations. 

Bibliographie.

Fulya Özerkan, "Meetings annulés en Allemagne : Erdoğan parle de 'pratiques nazies'", AFP, 5 mars 2017. Lien

Fulya Özerkan, "Ministre refoulée par les Pays-Bas : Erdoğan dénonce 'le nazisme et racisme'", AFP, 12 mars 2017. Lien

Conseil de l'Europe, European Commission for Democracy through Law (Venice Commission), Turkey. Opinion on the Amendments to the Constitution Adopted by the Grand National Assembly on 21 January 2017 and to be Submitted to a National Referendum on 16 April 2017, Opinion n° 875/2017, 13 mars 2017. Lien

Thomas Wieder, "Visite tendue du président turc Recep Tayyip Erdoğan en Allemagne", Le Monde, 1er octobre 2018. Lien

Parlement européen, "Les députés veulent revoir les relations UE-Turquie et suspendre les négociations d'adhésion", communiqué de presse, 26 avril 2017. Lien

Parlement européen, Rapport 2016 sur la Turquie. Résolution du Parlement européen du 6 juillet 2017 sur le rapport 2016 de la Commission concernant la Turquie (2016/2308(INI)). Lien

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