Un problème fréquent
Dans une étude réalisée par le Think tank Care dans quarante pays, 27 % des femmes interrogées ont déclaré faire face à des défis croissants en matière de santé mentale, contre seulement 10 % des hommes. Les femmes politiques ne font pas exception à cette tendance. Nombreuses sont celles qui reconnaissent ressentir un mal-être au travail, en particulier lorsqu'elles débutent leur carrière. La secrétaire générale de la CGT Collaborateurs Parlementaires décrit parfaitement le profil type de ces novices : « Elles ont souvent déjà fait leurs preuves. Toutefois, lorsqu'elles arrivent à l'Assemblée nationale, elles sont exposées, tout comme de nombreux jeunes salariés, à la violence du monde du travail ». La syndicaliste souligne également la violence du travail de nuit ainsi que celle exercée dans un même bureau, précisant que dans une société patriarcale, cet environnement professionnel expose énormément les femmes et les minorités.

Témoignage d’une jeune collaboratrice
Recrutée à la suite des législatives de 2022 en circonscription, Roxanne ( son prénom a été changé) explique que son député la sollicitait pour faire tout et n'importe quoi. "Mes tâches allaient de l'aide à la réservation du taxi aux textos pour indiquer à ses proches de le rejoindre à tel endroit." Au fil des semaines, la jeune diplômée en Science Politique, s'est transformée en "collaboratrice multitâche", jusqu'à ce qu'elle fasse une dépression. "Une grande partie de mon burn-out, explique-t-elle, était liée au fait que je ne savais pas tout faire. Je me sentais facilement inapte à effectuer de nombreuses choses, comme organiser un grand événement avec des centaines de personnes toute seule". Dans ces circonstances, ses tâches pouvait organiser l'installation des toilettes sèches ou la programmation des artistes jouant pour l'événement organisé par son député.
« Il nous parlait super mal et nous mobilisait énormément. On avait une pression constante »
Les collaboratrices que nous avons rencontrées recevaient des messages toute la nuit, d'autres expliquent qu'elles souffraient d'un manque de reconnaissance. "Mon député exigeait qu'on le vouvoie, mais il nous tutoyait. Cela renforçait le rapport de hiérarchie, notamment lorsque nous avions des repas à l'AN et qu'il me demandait de ne pas intervenir. Moins je parlais, mieux c'était." Manon Amirshahi brosse un portrait type très précis des députés à l'Assemblée nationale. La majorité d'entre eux, explique-t-elle, ont occupé des postes à responsabilité dans le secteur privé. Cependant, aucune initiative n'est prise pour rappeler les bases du droit du travail. "Les groupes politiques ne sont pas vigilants, explique-t-elle. À gauche, il est difficile de dénoncer les problèmes rencontrés par les femmes, car nous craignons les répercussions, étant donné que la précarité est accrue chez elles."
Aucune protection sociale
Bien que la parité soit plutôt respectée dans un lieu aussi crucial que l'Assemblée Nationale pour le fonctionnement de la vie politique française, la "charge mentale" des femmes, terme popularisé notamment par la dessinatrice Emma dans sa bande dessinée "Autre regard", demeure extrêmement lourde, car aucune convention collective ne protège les collaboratrices. "Nous n'avons pas de convention collective", précise Manon Amirshahi. "Il a fallu deux ans pour obtenir une fiche de poste, qui est transmise aux salariés lorsqu'ils postulent." La jeune syndicaliste ajoute qu'une case intitulée "autres" figure dans cette fiche de poste, devant être cochée par une collaboratrice lorsqu'elle doit aller chercher les enfants de son député ou des chemises au pressing. "Il est simplement mentionné, indique-elle, que toutes ces tâches doivent s'effectuer dans le cadre du travail de collaborateur parlementaire". De plus, la cellule de lutte et de prévention contre le harcèlement ne fonctionne pas régulièrement.
Bibliographie
Emma, Autre regard, Paris, Massot, 2017, p. 93.
2021 Report on gender equality in the EU", Commission européenne, 2021, p. 32.
3e état des lieux du sexisme en France : conséquences de la crise sanitaire sur les femmes, sexisme en entreprise, violences sexistes et sexuelles dans des secteurs variés et zoom sur la place des femmes dans la presse écrite", Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, 18 novembre 2021, p. 22