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Billet de blog 17 janvier 2024

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Polémique à Stanislas : Amélie Oudéa-Castéra face aux concepts bourdieusiens

La successeuse de Gabriel Attal, sous le feu des critiques depuis ses propos sur l’école publique vendredi, a annoncé ce matin des mesures sur France 2 à l’encontre de l’école privée, très réac, où la grande bourgeoisie catholique de Paris scolarise ses enfants.

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Quelques miraculés étudient à Stan

Hier, David Perrotin, journaliste au pôle société de Mediapart, a dévoilé un rapport révélant des "dérives" homophobes au sein de cette institution hautement estimée par la grande bourgeoisie industrielle et financière de Paris. L'école Stanislas, autrefois considérée comme un bastion de l'élite éducative, a été vivement critiquée pour ses pratiques et ses valeurs sexistes contraires aux principes d'égalité et d'inclusion. Face à cette controverse, Amélie Oudéa-Castéra, dont les enfants fréquentent l'école, a annoncé selon la journaliste de Libération Marie Piquemal un "plan d'action" comprenant environ 15 mesures pour rectifier ces graves problèmes. Dans ce contexte, les mots de Pierre Bourdieu, résonnent particulièrement. Dans ses écrits, le sociologue béarnais avait mis en avant le concept de "miraculé scolaire". Selon lui, ces miraculés sont des "individus issus de milieux sociaux défavorisés qui parviennent à accéder à des positions sociales privilégiées grâce à leur réussite scolaire." Cette notion trouve une résonance particulière dans le cas du lycée Stanislas. Lundi, la journaliste du pôle éducation Cécile Bourgneuf révélait que moins de 5% des élèves du lycée provenaient de milieux défavorisés. " Bien sûr, certains élèves viennent de familles aisées. Cependant, il existe également des efforts en faveur de la diversité sociale, notamment par le biais de bourses. Nous avions une élève dans notre classe issue d’une famille moins aisée, mais elle était la meilleure de sa classe l'année dernière", ont affirmé en juin des étudiants interrogés devant le lycée Stanislas, après la parution du premier article de David Perrotin sur le célèbre lycée parisien. Ainsi, il est essentiel d'examiner les conditions qui permettent cette transgression. Le concept de "conatus social", central dans l’œuvre de Pierre Bourdieu révèle que chaque individu a tendance à persévérer dans sa position sociale, en fonction des opportunités objectives d'accès à l'éducation dans son milieu d'origine. "Évidemment, à Stan les parents de certains élèves occupent des postes importants", a déclaré l'une des étudiantes interrogées en Juin devant le lycée. Ainsi, comme l'expliquait Bourdieu dans ses écrits, dans les classes sociales les plus favorisés d’une société   "la durabilité s'explique par l'idée que la reproduction de l'arbitraire culturel nécessite un processus d'inculcation qui s'étale sur une longue période." Cette notion souligne l'importance cruciale de la temporalité dans le processus de reproduction sociale au sein d'établissements comme Stanislas.

Oudéa-Castéra, lycée Stanislas : comment Mediapart a enquêté © Mediapart

Difficile de transgresser les codes à Stan

Appelée à la démission, Amélie Oudéa-Castéra demande la fin des "attaques personnelles" © Europe 1

Contrairement à l'action politique, qui peut être éphémère et soumise aux changements de pouvoir, le travail pédagogique opère sur la durée dans certaines familles, telles que les Oudéa-Castéra, ou leurs cousins issus des familles Saint-Cricq et Duhamel, qui ont réussi, comme l’expliquaient hier les journalistes de Libération, à faire leur place dans les médias au fil des décennies. Au cœur de toute réflexion visant à expliquer la présence de proches d'Amélie Oudéa-Castéra dans le monde politique ou médiatique se trouve le concept clé de Bourdieu, l'habitus. "L'objet de cette transformation est bel et bien l'habitus, les dispositions incorporées des agents sociaux comprises également comme principes générateurs de pratiques." Une institution scolaire comme Stanislas, en raison de la nature de son enseignement, joue ici un rôle capital. "Nous avons décidé de retirer Vincent de l'école Littré, en raison du nombre d'heures de cours non dispensées dans l'établissement", a déclaré la ministre Vendredi en répondant à une question d'Ilyes Ramdani sur la scolarisation de ses enfants à Stanislas. Ainsi, dans des établissements comme Stanislas, il est possible d'assurer une "inculcation continue" grâce à un travail pédagogique minutieux. "En faisant travailler leurs élèves jusqu'à tard dans la nuit tous les soirs, ou en les encourageant à être constamment les meilleurs, les professeurs de Stanislas remodèlent chaque élève pour qu'il puisse reproduire les dispositions de cet arbitraire culturel, même après la fin de l'enseignement", a expliqué Charles*, un ancien élève de ce prestigieux établissement parisien, aujourd'hui étudiant à Sciences Po Paris. Selon lui, cela signifie que le travail pédagogique à Stanislas ne se limite pas à l'acquisition de connaissances académiques très poussées afin que chaque élève puisse intégrer une filière aussi prestigieuse que les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), mais qu'il fonctionne comme un investissement dans le temps, garantissant la conformité des individus à un ordre établi. "J'ai vu de nombreux anciens élèves ayant entendu des propos homophobes ou réactionnaires à Stan se rallier à des mouvements tels que Les Zouaves Paris pendant leurs études", a ajouté Charles. Ainsi, selon lui, le succès au Lycée Stanislas ne se mesure pas seulement à la formation de l'habitus, mais aussi à la capacité de l'élève à être "transposable" dans un large éventail de domaines sociaux, créant ainsi une "homologie des pratiques" autour de mœurs réactionnaires et ultraconservatrices. 

Un lycée où l'extrême-droite se réorganise

Pour que l'arbitraire culturel soit reproduit, un travail d'inculcation sur le long terme est nécessaire, comme le rappelle Pierre Bourdieu dans ses écrits. Ainsi, cette controverse autour du lycée Stanislas repose sur les allégations selon lesquelles l'établissement serait impliqué dans la perpétuation d'une culture catholique ultraconservatrice. Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, Pierre Bourdieu avait averti que l'institution scolaire avait la capacité d'assurer une inculcation continue des dispositions conformes à l'ordre établi. "L'objet de cette transformation est bel et bien l'habitus, les dispositions incorporées des agents sociaux comprises également comme principes générateurs de pratiques," a-t-il souligné. En d'autrestermes, un lycée comme Stanislas a le pouvoir de façonner l'habitus de ses élèves, en leur inculquant des comportements et des normes adaptés à s'intégrer harmonieusement dans les sphères sociales dominantes et ultra-réactionnaires, qui se manifestent ensuite au sein de groupes identitaires tels que Les Zouaves Paris. Cependant, les allégations portées contre Oudéa-Castéra et le lycée suggèrent que cette transformation est orientée de manière à servir les intérêts de quelques privilégiés, plutôt que de promouvoir une société plus égalitaire.

Ainsi, l'affaire Oudéa-Castéra liant le lycée Stanislas nous rappelle l'importance cruciale de réfléchir à la reproduction de l'arbitraire culturel au sein des institutions éducatives les plus élitistes de la capitale française. Comme le souligne Bourdieu dans ses écrits, le travail d'inculcation et d'incorporation de l'arbitraire culturel est un investissement dans le temps. Il est de notre devoir en tant que société de veiller à ce qu'il serve l'intérêt général plutôt que les intérêts des établissements où des théories homophobes et complotistes sont enseignées. Comme l'a souligné David Perrotin dans son enquête révélée hier soir, des catéchistes intervenant au sein de l'établissement expriment "des convictions personnelles qui dépassent les positions de l'Église catholique, par exemple sur l'IVG", ou "susceptibles d'être qualifiées pénalement sur l'homosexualité". Dans un monde où l'éducation est censée être un levier d'égalité et de justice sociale, il semble donc impératif de remettre en question toute institution qui semble échouer dans cette mission et de s'assurer que le travail pédagogique, comme l'a souligné Bourdieu, soit réellement productif pour l'ensemble de la société.

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