« Si les musulmans ont échoué par le passé, c'était parce qu'ils s'étaient éloignés des principes de leur religion, qu'il était donc nécessaire de réformer et de revitaliser »
Très structurés tant en France qu'en Europe, les Frères musulmans se rapprochent de la frange la plus jeune et la plus radicale d'une confrérie égyptienne qui demeure le fer de lance de l'action mondiale. Ils investissent également le domaine européen avec le Conseil des musulmans d'Europe, dans le but de créer un rapprochement entre les milieux religieux et politiques, rappelant fortement les régimes totalitaires. Cette "révolution religieuse" a été clairement expliquée dès 1982 par Daryush Shayegan. « L'idéologie frériste, précisait-il, est une fusion explosive de traditions (préceptes religieux archaïques, messianisme expansionniste, antijudaïsme et antichristianisme) et de modernité technologique (armement, transport, communication) ». Ainsi, comme toutes les idéologies totalitaires, celle des Frères musulmans comporte une dimension révolutionnaire au sens le plus fort du terme. Tout comme les fanatiques nazis rêvaient d'établir un "Reich de mille ans" en créant un "homme nouveau" façonné par une "germanité imaginaire", la mouvance frériste cherche à promouvoir une autre forme de modernité qui renouera avec les racines de l'islam pur et originel.
Leur idéologie s'oppose à la modernité occidentale et ne conçoit sa relation avec elle que dans une perspective de domination ultime, tôt ou tard. En attendant, ce musulman pratiquant, proche de la mouvance, que nous avons rencontré dans une cité de Trappes (78), précise que les défenseurs préconisent les échanges interculturels, tout en poursuivant en douceur leur projet d'islamisation à tous les niveaux de la société. "Notre objectif est d'agir pour diffuser nos idées au sein des familles, des mosquées et des écoles. Par exemple, nous souhaitons créer un établissement similaire au lycée Averroès de Lille, afin que nos sœurs puissent étudier."
Les Frères musulmans en France
Au cœur de l'hexagone, l'idéologie frériste s'est répandue de manière prépondérante par le biais de la Fédération Musulmans de France (anciennement Union des organisations islamiques de France). Fondée en 1983, cette organisation est loin de prôner, selon de nombreux chercheurs, l'islamisation de la France, l'établissement de tribunaux religieux pour les musulmans et les non-musulmans, voire même une République française islamique. Le chercheur que nous avons rencontré revient longuement sur ce point. « Malgré sa structuration solide et son ancrage territorial, la mouvance frériste reste minoritaire parmi les musulmans, croyants ou non, qui représentent approximativement entre quatre et six millions de personnes. De surcroît, les musulmans français se définissent avant tout comme des partisans de la légalité. Ils revendiquent leur attachement inconditionnel au principe de la laïcité et condamnant fermement les actes terroristes commis au nom de la religion musulmane en 2015 et 2020, lors des tragédies touchant Charlie Hebdo et le professeur d'Histoire Samuel Paty. » L’un de ses collègues islamologue souhaitant tient à peu près le même discours. « À ma connaissance, les frères musulmans n'ont jamais nourri de desseins subversifs en France. Par exemple, ils n'ont guère manifesté d'opposition à la loi de 2004, qui interdisait notamment le port du voile dans l'espace public. »
« Ils veulent substituer aux Français musulmans des musulmans français »
Ce matin, dans les colonnes du Figaro, Florence Bergeaud-Blackler, chargée de recherche au CNRS et spécialiste de l'islamisme, a exprimé une opinion divergente de celle du chercheur que nous avons précédemment rencontré. En effet, elle soutenait que le développement d'établissements tels que le lycée Averroès, où l'on étudie des ouvrages condamnant l'apostasie, doit être mis en relation avec l'influence effective du projet frériste. "Ils aspirent à substituer les Français musulmans par des musulmans français ». Elle précisait également qu'au fil de quatre décennies, les Frères musulmans ont essaimé le territoire avec des associations, des centres islamiques, ainsi que des activités sociales, sportives et éducatives destinées aux jeunes issus principalement de l'immigration maghrébine et africaine. « Les Frères, clame-elle, ont réussi à imposer leur vision légaliste, intégraliste et politique du religieux, souvent en rupture avec la religion de leurs parents. Ce sont les enfants qui sont chargés de ramener leurs parents à la "vraie religion". Le résultat est que de nombreux jeunes Français musulmans réislamisés se considèrent comme des ambassadeurs de l'islam en France. »
Vers le développement d’un islam de France intégriste ?
À l'heure actuelle, en France, de nombreux individus proches des Frères musulmans considèrent l'islam comme un système de pensée, d'action et de gouvernance globale des corps et des esprits, destiné à guider la vie privée et publique selon des interprétations orientées des traditions islamiques. Le chercheur, qui souhaite conserver l'anonymat et que nous avons rencontré à Paris, est catégorique à ce sujet. "La majorité des musulmans affiliés à la mouvance frériste défendent un projet politique islamiste où les actions religieuses et politiques sont intrinsèquement liées. Bien que des groupes tels qu'Al-Qaïda et ses dérivés, ou Daech (l'État islamique) et ses dérivés, soient plus l'exception que la règle, la plupart des partis politiques et des associations proches des Frères musulmans défendent un projet d'union du religieux et du politique très semblable à celui soutenu par les groupes terroristes."
Touchées de plein fouet par la multiplication des contrôles en France, les personnes proches des mouvements fréristes se disent désemparées à l'idée d'imaginer l'assèchement de leurs ressources financières. D'autres, fatalistes, assument leur illégalité. Enfin, certains réfléchissent déjà à la mise en place de nouveaux mécanismes. "Jusqu'à présent, précise le chercheur que nous avons rencontré, la confrérie, à travers ses diverses branches, a créé des fonds de dotation pour rendre opaques ses circuits de financement, selon un schéma reproduit à l'échelle nationale et décrypté par les services compétents. Pour des raisons fiscales, ces fonds sont liés à une ou plusieurs associations de type 1901." Tout cela fonctionne en boucle fermée : les revenus générés par les sociétés de gestion de fonds reviennent aux fonds de dotation, qui redistribuent ces sommes en toute illégalité aux associations 1901 qui gèrent les lieux de culte.