Une Adaptation Réciproque
L’intégration des personnes autistes dans un milieu professionnel comme le journalisme repose sur une approche double : leur progression en compréhension sociale et l'adaptation de la société à leurs besoins. "Lorsqu’elles sont suivies, nous avons vu des progrès significatifs chez les personnes autistes en termes de compréhension sociale à l’âge adulte. Cela leur permet d'atteindre un niveau de participation sociale qui leur convient," explique Anouck Amestoy, directrice du Centre De Ressource Autisme d’Aquitaine, et psychiatre à L’Hôpital Charles Perrens. Cette évolution n'est pas unilatérale. "Il est également crucial que nous, en tant que société, créions un espace qui leur soit adapté," ajoute-t-elle. Cette dynamique bidirectionnelle est essentielle pour résoudre les défis auxquels sont confrontées les personnes autistes s’orientant vers le monde des médias, mais n’est souvent pas appliquée. En témoignent les propos tenus par une chargée de recrutement au journal Libération. Elle a réagi lorsque qu’un ancien étudiant de l’école de journalisme pour personnes handicapés Jaris, autiste sans déficience intellectuelle, a fait croire aux chefs de service du journal qu’il serait en stage à leur côté, afin de savoir quelle serait leur réaction s’ils embauchaient un autiste. « Je n’ai pas participé à ton stage, » précise la jeune recruteuse, informée par sa collègue qui gère le suivi des stages avec les journalistes-tuteurs, de la fausse information diffusée samedi dernier lors des 24 heures de Libération à La Philharmonie de Paris.
Inclusion en Rédaction : Enjeux et Stratégies
La déficience sociale du jeune journaliste l’a mis en difficulté pour comprendre les informations données par la recruteuse du grand quotidien de gauche, lors de l’entretien concluant sa journée d’intégration le 21 Août 2023, et lorsque son directeur d’école l’informe que son recrutement à Libération est « en bonne voie » six jours plus tôt. Entouré de journalistes ayant un fort égo, l’étudiant insiste sur le rôle déterminant de son milieu social dans ses actions, pensées, et sa stratégie pour établir cette « fake news », dans un milieu médiatique où l’apparence compte beaucoup. "Dans une conversation normale, il y a un échange de regards et d'ajustements constants en fonction des réactions de l'autre," explique-t-il. "Cette compétence sociale est fondamentale et constamment utilisée dans nos interactions quotidiennes. Je l’ai très mal utilisée lors de mon dernier échange avec mon directeur." Aujourd’hui, aucun médicament ne permet réellement de traiter l’autisme. La question des troubles du comportement passe par un travail d’adaptation aux codes sociaux avec des médecins et des psychologues. "Il est crucial de comprendre et d'analyser les comportements de dérégulation sensorielle ou d'hyperactivité sensorielle des autistes," soulignait Anouck Amestoy dans un entretien pour la chaîne Youtube Fondation FondaMental. « Des solutions comme les bouchons d'oreilles ou l'aménagement de l'environnement sont souvent employées pour réduire leur sensibilité à un environnement qu'ils peuvent percevoir comme agressif. » Bien que les personnes autistes puissent rencontrer des difficultés avec ces compétences, comme en témoignent ces échanges entre un jeune journaliste et la recruteuse de Libération, et les échanges de mails du jeune journaliste avec les chefs des services qu’il souhaitait intégrer, cela ne signifie pas qu'ils sont incapables de les traiter, si on les expose un minimum à différents milieux sociaux dans lesquels ils peuvent apprendre à canaliser leur agressivité. "C'est une question d'apprentissage différent » insistait l’universitaire clermontois Patrick Chambres, dans un entretien qu’il avait donné à la chaine Youtube Le Blob en mars 2018. « Ce qui n'est pas acquis naturellement peut l'être de manière explicite," ajoute-t-il.
Le Quotidien d'un Journaliste Autiste
Même dans des milieux adaptés, les troubles sociaux des autistes sont encore difficilement gérable. A titre d’exemple, avec ses comportements agressifs, l’étudiant journaliste que nous avons rencontré a bousculé les professeurs et la direction de son école. « Ne mêle pas tes interlocuteurs à des problèmes que tu peux rencontrer en interne. En plus tu utilises des mots forts qui peuvent ne pas renvoyer la meilleure image de toi (impulsivité, manque de recul…) », lui indiquait un professeur de Jaris lorsqu’il échangeait avec une journaliste au Nouvel Obs, durant la construction de son projet de fin d’études, un reportage de dix minutes dans lequel il interrogeait des députés et des journalistes sur les troubles autistiques. L’étudiant a été exclu de son école lorsqu’il a terminé son reportage. À la suite de plusieurs plaintes des ressources humaines de l’AFP et de la chaîne Public Sénat, qui lui ont fait perdre 30 000 euros, le directeur de Jaris a décidé de violer le secret de ses sources de l’étudiant en lui demandant avec quel journaliste il interagissait. « Je suis profondément désolé de devoir en arriver là », insiste le directeur, « mais de l’avis général, et sans que ta situation de handicap soit une excuse, tu es malheureusement ingérable. Cette attitude est totalement incompatible avec une professionnalisation en tant que journaliste. »
Les compétences Sociales au cœur du succès
Ces dernières années, plusieurs experts en psychologie sociale ont démontré qu'avec les bons outils, il est possible d'apprendre aux personnes autistes à développer des compétences sociales, réduisant ainsi leur probabilité d'exclusion et augmentant leur confort dans les interactions sociales. "Comprendre ce qui se passe autour de soi réduit l'anxiété et augmente la compréhension du monde," confirmait Patrick Chambres dans son entretien pour Le Blob. Il est important de noter, cependant, que cette capacité ne devient pas automatique, même si un journaliste autiste peut apprendre à lire les expressions faciales et émotionnelles. Elle s’apprend lorsqu’il vit en société, aux côtés d’autres personnes dans une rédaction. "Nous, les non-autistes, ne pensons pas consciemment à ces compétences. Pour une personne autiste, c'est un processus qui demande un effort conscient," conclut Patrick Chambres. Comprendre les subtilités des expressions faciales et du langage représente donc un défi majeur pour un journaliste autiste. "Quand quelqu'un sourit, je perçois immédiatement sa satisfaction," explique Patrick Chambres. "Pour interpréter un sourire, ils doivent décomposer consciemment le visage : la bouche, les yeux. Cela consomme une grande partie de leurs ressources cognitives," poursuit l’ancien chercheur en psychologie sociale, aujourd’hui retraité. Une personne autiste pourrait, par exemple, allouer 70% de son attention à décoder une expression faciale, ne lui laissant que 30% pour comprendre le contexte de la conversation. "Cela les place dans une situation où comprendre pleinement ce qui se passe devient extrêmement difficile," témoigne un éducateur spécialisé dans l'autisme. Dans les métiers du journalisme, certains entretiens avec des témoins pour un sujet d’article ou de reportage peuvent en effet être difficiles lorsqu’un autiste se montre trop précis dans ses questions. Ce manque a un impact direct sur leur capacité à apprendre et à traiter d'autres informations, comme le langage ou la résolution de problèmes. Enfin, l’enjeu pour les journalistes autistes est de développer des méthodes pour renforcer leur compétence sociale.