Oscar Tessonneau (avatar)

Oscar Tessonneau

Fondateur de Rightbrain Media

Abonné·e de Mediapart

181 Billets

1 Éditions

Billet de blog 18 août 2023

Oscar Tessonneau (avatar)

Oscar Tessonneau

Fondateur de Rightbrain Media

Abonné·e de Mediapart

Des réformes néolibérales ont transformé nos artistes en salariés précaires

En France, pour bénéficier d’un régime spécifique d'assurance chômage, plus de 200000 intermittents du spectacle doivent annuellement accomplir 507 heures. Néanmoins, ce régime financé par une cotisation des artistes les plonge souvent dans la grande précarité.

Oscar Tessonneau (avatar)

Oscar Tessonneau

Fondateur de Rightbrain Media

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Quel statut social pour les intermittents ?

Initialement conçu pour garantir une couverture chômage aux artistes après un quota d’heures travaillées, le régime d'intermittence demeure crucial pour ne pas plonger les artistes dans la précarité. Un jeune rockeur bordelais ayant décidé de vivre de sa passion grâce à ce statut témoigne. « Lorsque je suis sorti de mon école de musique, le Ciam de Bordeaux, les débuts étaient durs. J’ai dû continuer à servir des bières dans un bar lors des deux années où je composais avec mes divers groupes. Puis, j’ai obtenu cette intermittence me permettant de faire de la musique à plein temps. » Comme le souligne l’Unedic dans un document officiel, la date de fin du dernier contrat de travail fixe la « date anniversaire » de fin de droit. Ainsi, un intermittent ayant validé ses 507 heures sur l'année antérieure bénéficie d'une indemnisation pendant un an à partir de cette date. Les artistes intermittents relèvent alors d'un régime spécifique, celui de la Sécurité sociale des artistes-auteurs. Un conseiller Pôle Emploi nous indique que leur allocation journalière, régie par l’Unedic, elle diffère du régime général. « Elle se base, clame-il, sur des critères tels que le salaire de référence, les heures travaillées et l’annexe concernée. A titre d’exemple, l’allocation plancher s'établit à 38€ pour les techniciens (annexe 8) et 44€ pour les artistes (annexe 10). » Un syndicaliste de la CGT spectacle, préférant l'anonymat, a également décidé de nous éclairer cette situation : « Les intermittents se voient allouer 365 jours d'indemnisation, mais les montants peuvent parfois être dérisoires, en particulier pour ceux relevant des annexes VIII et X. » Néanmoins, cette configuration pousse certains artistes à délaisser leur création au profit de multiples contrats courts pour assurer leur stabilité financière."

Souvent précaires, les artistes deviennent disponibles pour les patrons 

En signant un contrat à durée déterminée (CDD) avec une entreprise, les artistes accèdent à l'assurance chômage spécifiquement dédiée aux intermittents du spectacle, comme le stipule l'annexe X du décret 2019-797 du 26 juillet 2019. Une disposition similaire s'applique aux ouvriers et techniciens du monde cinématographique et audiovisuel. Un avocat spécialisé dans le domaine confirme : « L'affiliation à cet organisme est incontournable. Ainsi, même en travaillant depuis chez lui sur des musiques de dessins animés ou des montages via un logiciel spécialisé, l'artiste reste affilié à cet organisme, indépendamment de sa possible classification en tant que travailleur à domicile. » Toutefois, il est essentiel de souligner que ces intermittents évoluent sous un lien de subordination. Comme le font par exemple les ingénieurs du son au sein d'entreprises offrant des services lors de divers festivals, les intermittents restent rattachés au régime général des intermittents en tant que salariés. De ce fait, avec ce statut de salarié en CDD, ils bénéficient des prestations standards. L’un d’entre eux souhaitant rester anonyme témoigne. « Afin de ne pas tomber dans la grande précarité, ou d’éviter d’aller jouer du Jean-Jacques Goldman dans des mariages, j’ai fait le choix de devenir ingénieur du son dans des studios de cinéma. ». Aujourd’hui, son CDD à 40h par semaine lui permet d’avoir une couverture maladie, invalidité, ainsi que des assurances décès. Il déclare : « Pour bénéficier de ces cotisations, je dois attester de revenus artistiques annuels équivalents à 600 fois le Smic, soit avoir contribué sur une base forfaitaire égale à cette somme grâce aux activités que j’effectue dans le studio de cinéma m’embauchant en CDD. »

Des cotisations sociales plus avantageuses dans le privé

Quand les intermittents accèdent au statut de salariés, ils intègrent un mécanisme où l'employeur doit s'acquitter de la taxe forfaitaire sur les cdd d'usage classique, complétée d'une contribution additionnelle propre au régime intermittent, fixée à 7,40 % (5 % à la charge de l'employeur, 2,40 % pour le salarié). Le gérant d’une société embauchant des ingénieurs du son en cdd témoigne : « Les CDD d'usage inférieurs à trois mois signés avec un intermittent voient la contribution patronale standard, plus couramment appelée contribution AGS, s’accroître de 0,5 %, la portant ainsi à 4,55 %. » Ce cadre, en apparence favorable, conduit néanmoins de nombreux artistes à embrasser le salariat en contrat à durée indéterminée, s'inscrivant ainsi dans une logique économique définie par les employeurs. De plus, les intermittents restent soumis aux cotisations gérées par le Guichet Unique du Spectacle Occasionnel (Guso). Un salarié d’une agence Pôle Emploi située rue Daviel témoigne. « La gestion administrative de leurs cotisations est assurée par Pôle emploi services via le centre de recouvrement cinéma spectacle. » Ainsi, une déclaration mensuelle à Pôle Emploi des revenus touchés par chaque intermittent via la DSN est de mise. Néanmoins, un avocat en droit du travail que nous rencontré nous rappelle que dans ce contexte, où la majorité des intermittents sont souvent salariés d’une entreprise en cdd ou artistes précaires, le régime d’intermittence du spectacle perd de son intérêt. « Lorsqu’elle fut créé, clame ce dernier, l’intermittence du spectacle avait pour vocation première de libérer du temps de création aux artistes en les éloignant du salariat classique, et des contraintes économiques qu’il crée. Habitué des salles de concerts rock parisiennes comme Le Supersonic depuis de nombreuses années, l’avocat se dit très inquiet. « Comment la France entend-elle concrétiser une réelle politique d'insertion professionnelle des artistes, en partenariat avec les collectivités, si ces derniers en viennent à animer des mariages pour compléter leurs revenus ? » s'interroge-t-il. Par ailleurs, ce mélomane, nostalgique de la scène rock anglaise des années 80, se dit attristé de voir tant de jeunes talents se résigner à des performances de variétés lors de mariages. « Ils devraient plutôt s'épanouir dans des smac, telle La Cigale, en livrant leurs propres compositions », insiste l'avocat, évoquant avec passion des groupes mythiques tels que The Cure ou The Clash, et critique les logiques de rentabilité auxquelles sont soumis les artistes. « Aujourd’hui, le coût de la vie dans les métropoles où les groupes peuvent plus facilement émerger est devenu démentiel. Expliquez-moi comment un chanteur souhaitant vivre de ses compositions et écrire son album peut vivre dans une ville dans une ville comme Paris où un T1 ne se loue jamais en-dessous de 900 euros?  ».

Un régime de retraite peu avantageux pour les artistes

En France, les artistes bénéficient d'un accès aux prestations liées à la retraite et à la famille. Ils dépendent principalement de la Caisse nationale de retraite complémentaire des artistes-auteurs (Ircec), garante de trois régimes spécifiques : RAAP, RACD, et RACL. Un professionnel du secteur cinématographique, familier des enjeux liés au travail artistique, précise : « Le financement de ce régime provient à la fois des cotisations des artistes, alignées sur la part salariale des cotisations vieillesse du régime général, et d'une contribution des organismes diffuseurs. Pour la retraite complémentaire, l'affiliation de l'artiste-auteur dépend intrinsèquement de la nature de ses activités. C'est l’Urssaf qui se charge du recouvrement des contributions, département par département. » Outre ce mécanisme, la CSG, la CRDS et des spécificités liées au financement de la formation professionnelle jouent également un rôle. Néanmoins, ce dispositif, en l'état actuel, contraint bon nombre d'artistes à prolonger leur activité pour envisager une retraite sereine. 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.