
Qui sont les électeurs du RN ? Ont-ils varié à chaque élection ?
Selon le démographe Jean-François Léger, les zones où Marine Le Pen fait les meilleurs scores sont des départements comme l'Eure ou La Moselle: des lieux où le taux de chômage est le plus élevé, et le manque de médecins souvent conséquent. Cette corrélation peut également s'expliquer par la méfiance accrue de ces populations envers des partis de gouvernement à la suite de scandales comme celui de l’ancien maire socialiste d’Hénin-Beaumont qui, malgré de nombreuses promesses, n'ont pas réussi à réduire les taux de chômage. Indéniablement, la situation sociale des électeurs du Rassemblement National est prégnante. Donc, le modèle de l’électeur RN type, c'est le rond-point, deux vieilles voitures diesel, l'autoroute, un supermarché et un collège pour les deux enfants. Cette part du peuple, qui se vivait en promotion sociale depuis les Trente Glorieuses, a été cassée par la remise en cause des mobilités par la voiture. Et par l'isolement social et politique, culturel, affectif souvent. "Ce sont des citoyens de l'extérieur dont le territoire est la mobilité, et qui ne votent pas, car ils habitent cet extérieur et pas une commune particulière." expliquait Antoine Biristelle dans une étude intitulée Que Veulent les Français?
Les néo-électeurs du RN
A la différence des électeurs "classiques" du Front national, ont grandi dans une France où l'immigration et l'insécurité ont toujours été inscrites à l'agenda politique, et où le FN/RN a toujours été un acteur à part entière de la scène politique. Un sondage Ipsos/Sopra Steria datant d'octobre 2021 mené pour la Fondation Jean-Jaurès, Le Monde et le Cevipof de Sciences Po en témoigne : la délinquance (27 %) et l'immigration (29 %) font partie des enjeux les plus préoccupants pour les Français. Donc, les électeurs du parti n'assimilent plus le Rassemblement national à un parti ouvertement antisémite et raciste, mais plutôt à un parti anti-élite et anti-mondialisation, pour qui l'immigration est à la fois la conséquence des politiques d'ouverture des frontières de l'Europe, d'un côté, et la promesse d'un traitement favorisant les travailleurs français au détriment des travailleurs étrangers, de l'autre.
Une évolution du langage RN
Dans un ouvrage récent, le politologue Antoine Biristelle parle d'un "toilettage idéologique" du RN, du moins cosmétique, avec un déplacement des idées liées à l'immigration et à la délinquance. Cet attrait pour le RN pour les questions de sécurité peut sûrement s'expliquer par la prégnance des sujets historiquement défendus par le FN/RN à l'agenda politique des campagnes, désormais traités par tous les partis, comme l'a récemment montré le débat à l'Assemblée Nationale de la loi des Républicains sur l'Immigration, où la récente interview d'Edouard Philippe dans L'Express. ,car ils font désormais partie des questions qui préoccupent le plus les électeurs français. Comme de nombreux autres partis d'extrême droite d'Europe de l'Ouest enchainant une kyrielle d'alliance que les journalistes du Monde ont analysé ce matin, le Rassemblement National utilise désormais l'argument "civilisationnel" pour convaincre les électeurs, en désignant l'islam ou l'étranger comme ennemi, et non plus les femmes, les juifs ou encore les homosexuels.
Le rapport du RN aux étrangers et à l'immigration
Il est tout d'abord absolument essentiel de mentionner à quel point les Français sont fermés sur cette question de l'immigration. Deux tiers des Français considèrent ainsi à l'heure actuelle qu'il y a trop d'étrangers en France et 55 % sont d'accord pour dire que, de manière générale, les immigrés ne font pas d'effort pour s'intégrer en France.
Ce n'est donc pas une surprise si, dans ces conditions, les candidats d'extrême droite ont obtenu plus de 32 % des suffrages lors du premier tour de la présidentielle. Le rejet de l'immigration, ou tout du moins les craintes suscitées par celle-ci, est partagé par bon nombre de Français. Il faut par ailleurs se défaire d'une vision qui consisterait à expliquer ces prises de position par la seule question économique : dans un contexte de précarité et d'inquiétudes pour l'emploi et le pouvoir d'achat, l'immigration.
Le RN et le pouvoir d’achat
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Le désarroi de cette population à l'ascension sociale brisée par des dirigeants qui pensent vivre dans des villes dominantes - vélos, transports collectifs, culture - est profond. Rappelons que l'on compte en France 16 millions de maisons individuelles pour 12 millions d'appartements et que près de la moitié des habitants d'appartements ont l'usage d'un deuxième logement à la campagne ou en bord de mer, voire possèdent un des 580 000 camping-cars du pays. A titre d’exemple, Antoine Biristelle rappelait qu'en Bourgogne-Franche-Comté, par exemple, seulement 34,6% des locaux étaient éligibles au très haut débit en 2016, contre près de 75% en Île-de-France (voir Rapport sur la cohésion des territoires, Commissariat général à l'égalité des territoires, juillet 2018). Là où périt la République et l'outil n'étant pas aisément manié par tous. L'accompagnement social laisse à désirer et l'insertion professionnelle ne suffit plus, elle est même longue et inefficace. "Je ne fais pas face à un service, je fais face à un problème", lui confiait l'un des témoins de son enquête.