
L’enfermement des autistes
Dans le troisième chapitre de son ouvrage "Histoire de la folie à l'âge classique", Michel Foucault expose l'emprisonnement dont les individus atteints de troubles mentaux ont été victimes pendant des siècles. Tous ceux qui étaient accusés de déraison étaient systématiquement exclus du reste de la société, car ils présentaient des comportements similaires à ceux des autistes, considérés comme condamnables selon les normes morales de l'époque. Lorsqu'un journaliste de Mediapart l'a interrogée au sujet de son ancien alternant autiste, la fondatrice d'une agence de communication parisienne a déclaré : « J'ai constaté qu'il présentait des troubles physiques. Il se grattait, s'agitait, mangeait ses crayons et faisait de brèves somnolences, énumérait-elle ».
Des sources sûres utilisées par un journaliste de Mediapart affirment même que la fondatrice de l’agence aurait poussé son alternant à pleurer devant un médecin traitant en insistant sur son besoin d'un temps partiel thérapeutique, soulignant au passage que ces derniers s'en fichent car ils n'ont qu'un simple formulaire à remplir. Ces propos diffamatoires, énoncés par une personne clairement engagée en faveur des intérêts économiques et proche des grands noms du journalisme néolibéral tels que les rédacteurs en chef de Challenges ou de l'Opinion, illustrent de manière flagrante l'exclusion que subissent les personnes autistes dans notre société.
Sessad, CMP et CRA, tous dans le même bateau
En 2018, une autre journaliste de Mediapart évoquait la situation des autistes, pris au piège de cette vaste nébuleuse de la déraison. Beaucoup d'entre eux intègrent des structures qui appliquent la méthode ABA (Analyse Appliquée du Comportement) - enseignée à l'université de Lille 3 par la psychologue et chercheuse Vinca Rivière. Elle expliquait que certains parents d'enfants autistes ont déménagé près de Lille afin que leurs enfants puissent bénéficier de cette méthode préconisée par Vinca Rivière. "En moyenne, indique une employée de ces structures, on y dépense 54 000 euros par an et par enfant. C'est le double du coût d'une structure classique, c'est énorme." Bien que l'ABA puisse permettre à certains enfants de faire des progrès spectaculaires, cela ne fonctionne pas pour tous. "Certains ont présenté l'ABA comme une méthode qui guérissait un enfant sur deux, ajoutaient les personnes interrogées par Mediapart en 2018. Pourtant, ces soi-disant "experts" ont précisé que tout cela était mensonger : un autiste ne guérit pas, il apprend à gérer ses troubles pour gagner en autonomie. » Une situation grave, car des parents en détresse y ont cru.
Les pratiques excessives et punitives, mises en œuvre par un psychiatre chevronné travaillant à l'Hôpital Jacques Arnaud dans le Val d'Oise (95), suscitent également de nombreuses interrogations : ces méthodes permettent-elles aux autistes, qu'ils soient adultes ou enfants, de conserver leur dignité en tant qu'individus ? Probablement pas.
Pourquoi ce grand enfermement des autistes ?
Il s'explique, du moins en partie, par des motifs économiques. Comme l'a révélé la journaliste de France Culture en 2021, lors de la préparation de son podcast intitulé "Chroniques d'une vie d'Asperger", très peu de personnes - comme Josef Schovanec ou David Tammet, les plus connus - parviennent à accéder à un emploi parmi les 100 000 Asperger diagnostiqués (estimés à 400 000 en France). En effet, la France accuse un certain retard depuis les années 40 dans l'accompagnement des adultes Asperger par rapport à d'autres pays. Quelques rares cas d'intégration dans de grandes entreprises sont observés pour les Asperger les plus brillants, dont les particularités se révèlent rentables.
Lors de leur dernière réunion, les membres de l'association Clé Autiste IDF ont comparé toutes les structures subventionnées par l'État, chargées de représenter le handicap (CNSA et AGEFIPH, Auticon ou Autichance), à de véritables "machines à profit". "Elles sont là pour influencer les grands patrons passionnés par les autistes doués en informatique", a déclaré un membre de l'association que nous avons rencontré, soulignant que ces choix sont très paternalistes. "À titre d'exemple", a ajouté un autre membre, le projet Andros visant à intégrer des autistes dans une équipe de production ou d'emballage industriel est un échec." Ces mauvais choix économiques expliquent en grande partie pourquoi les autistes demeurent relativement précaires et sont souvent contraints de vivre chez leurs parents ou dans des foyers de vie, où ils se voient prescrire des neuroleptiques lorsqu'ils deviennent trop agités.
Un enseignant en philosophie, maître de conférences à Paris IV (qui souhaite conserver l'anonymat), établit un lien entre la discrimination subie par les autistes et les concepts défendus par Foucault dans son ouvrage "Histoire de la folie à l'âge classique". "Pour faire face à l'explosion de la pauvreté et du chômage parmi les autistes", affirme-t-il, "on les parque dans des centres médico-psychologiques (CMP) où les aides-soignants ne tiennent même pas compte de leur hypersensibilité tactile lors des prises de sang, tout en précisant qu’ils ne connaissent pas l’autisme pour ne pas dire qu’ils s’en foutent du trouble. On les exploite pour une rémunération dérisoire dans des Établissements et Services d'Aide par le Travail (ESAT) ou des cafés inclusifs lorsque l'économie se porte plutôt bien. Ensuite, on les renvoie vers les prestations sociales minimales lorsque leur insertion professionnelle se solde par un échec, car ils sont souvent trop introvertis ou maladroits dans leurs propos."
Autisme et capitalisme
Convaincu que cette gestion ultralibérale du trouble autistique ne fait qu'aggraver la situation, ce philosophe marxiste souligne que toute une frange de la société est exclue au nom d'une logique économique défaillante depuis 250 ans, depuis l'avènement du capitalisme industriel en Occident. Selon lui, "dans une société capitaliste, l'esprit des individus est aliéné par ce que Marx appelait les superstructures. On érige des superstructures qui étouffent le prolétariat." Le jeune philosophe précise que les révélations d'un journaliste de Mediapart sur une agence de communication mettent parfaitement en lumière la lutte des classes à laquelle les autistes sont confrontés. "Lorsqu'elle déclare à son stagiaire 'Je ne suis pas socialiste, tu es à mi-temps, mais tu es payé à mi-temps', la fondatrice montre qu'elle adhère à un projet politique et économique thatchérien et ultralibéral qui n'a pas fait ses preuves. Moi, je ne travaille pas au PS, on n'est pas payé à mi-temps pour un temps plein. Ça n'existe pas."
À ces analyses politiques bancales de la communicante, estimant que le PS tend à se radicaliser depuis la création de La Nupes en mai 2022, s'ajoute, selon le maître de conférences de Paris IV, une considération éthique. "Le travail est considéré comme la solution à tous les problèmes matériels et moraux. L'inactivité des autistes, souvent exclus du monde professionnel, est un mal profond qu'il faut combattre. En enfermant les autistes dans des structures psychiatriques et en les soumettant à des neuroleptiques, on les détourne du péché", précise le philosophe. Ainsi, dans ces structures psychiatriques, les autistes sont constamment observés et soumis à un discours qui les maintient à distance et les réduit à des objets. Ils demeurent exclus et enfermés, et subissent un jugement perpétuel, semblable à celui infligé par les infirmières et les aides-soignantes du centre Jacques-Arnaud de Bouffémont (95) lorsqu'elles ont accueilli un patient autiste entre janvier et juillet 2022. "Lorsque j'étais dans cette structure, explique un autiste anonyme de 19 ans, on m'imposait des règles pour me discipliner. On m'obligeait à manger à heures fixes tous les jours. Les infirmières m'obligeaient à sortir de ma chambre ou à jouer de la guitare devant les autres patients lorsque je voulais rester seul. En bref, c'était un véritable enfer."
Bibliographie.
Article : "Autisme : un établissement de Roubaix mis en cause pour ses pratiques punitives"
Auteur : Caroline Coq-Chodorge
Date de publication : 5 avril 2018
Source : Mediapart
Lien : https://www.mediapart.fr/journal/france/050418/autisme-un-etablissement-de-roubaix-mis-en-cause-pour-ses-pratiques-punitives
Article : "Vous nous avez baisés sec : des troubles autistiques valent un jeune apprenti d'être poussé dehors"
Auteur : David Perrotin
Date de publication : 24 mars 2023
Source : Mediapart
Lien : https://www.mediapart.fr/journal/france/240323/vous-nous-avez-baises-sec-des-troubles-autistiques-valent-un-jeune-apprenti-d-etre-pousse-dehors