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Billet de blog 20 juillet 2023

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Les électeurs d'extrême droite contribuent à la « ghettoïsation » des Asperger

L’étude des Asperger en société illustrent plusieurs types d’évolutions sociales pour les personnes ayant ce trouble. Néamoins, la majorité des discriminations qu'ils subissent se produisent dans les milieux où le vote RN/Zemmour reste fort.

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Illustration 1

L’émergence du concept de ghettoïsation

En France, le concept de ghettoïsation a été défini par l'économiste américain Thomas Schelling. Dans un article paru en 1978, le chercheur revient sur le thème central des ségrégations, voire de la ghettoïsation s'installant dans l'espace urbain. Il propose de construire un modèle simple pour simuler les choix et reconstituer le phénomène. Son grand résultat est le suivant : si les gens sont racistes, validistes, antisémites, xénophobes ou homophobes, il y aura bien sûr des ghettos. Mais de façon troublante, Schelling constate que dans les années 70, les ghettos existent déjà en France. Aujourd'hui, même s'ils sont souvent en contact avec des personnes ouvertes à l'altérité, prêtes à vivre dans un espace de grande mixité sociale, les autistes Asperger finissent souvent par déménager dans des structures comme les services de psychiatrie, les instituts médico-sociaux ou chez leurs parents s'ils ne sont pas entendus dans leurs quartiers. Un politologue spécialiste du handicap témoigne : « Dans beaucoup de villes, des Asperger ouverts aux autres se retrouvent regroupés contre leur gré entre des communautés de mêmes profils, dans des établissements médicaux où ils sont ghettoïsés, ou dans des associations où ils tentent de se structurer pour faire connaître leurs droits. Souvent, cette ghettoïsation est provoquée par les comportements virilistes et intolérants d'hommes ayant une sympathie pour les idées d'extrême-droite. » Pour appuyer son propos, le chercheur, souhaitant rester anonyme, s'appuie sur le chapitre 4 du livre de Thomas Schelling "La tyrannie des petites décisions" (PUF, 1980) intitulé « Intégration et ségrégation : race et sexe ». « En évoquant ces travaux, clame-t-il, on peut se demander si ce qui arrive aux Asperger en France n'est pas similaire à ce que vivent les immigrés ghettoïsés dans des quartiers prioritaires depuis les années 60. » Aujourd'hui, le chercheur souhaite mener une enquête minutieuse sur les types de quartiers où les personnes présentant ce trouble encore méconnu vivent, afin de montrer que l'ascenseur social et les programmes de réinsertion sociale qui leur sont proposés sont aussi chaotiques que ceux mis en place pour les jeunes ghettoïsés dans certains quartiers prioritaires. Néanmoins, il manque de sources pour terminer son étude. « Depuis plusieurs années, j'essaie d'établir une base de données afin de dresser un portrait-type des quartiers où les Asperger vivent. Mais je rencontre beaucoup de difficultés dans ce travail, puisque les caractéristiques des quartiers dans lesquels ils vivent et des personnes qu'ils côtoient sont souvent très diverses. » En effet, le chercheur n'a pas identifié de concentration des Asperger diagnostiqués dans des centres de ressources autisme (CRA) autour des établissements médico-sociaux des moyennes et grandes agglomérations, comme cela peut être le cas pour les jeunes issus des quartiers prioritaires ghettoïsés dans les banlieues. Ce constat souligne l'idée qu'un phénomène de ghettoïsation des Asperger dans des établissements inadaptés ne s'est pas réellement développé au fil des années. Néanmoins, le chercheur constate que la violence des comportements de sympathisants d'extrême droite à leur égard peut rapidement faciliter leur marginalisation. 

Une ghettoïsation tacitement organisée par les électeurs d'extrême-droite 

Dans son essai "La production des grands ensembles", le sociologue marxiste Edmond Preteceille soulignait déjà que le capital est à l'origine de nombreuses politiques publiques de développement d'un territoire. Cette étude sociologique, fortement marquée par l'analyse du lien entre les espaces occupés et les classes sociales résidentes (grands ensembles pour les prolétaires, les paysans en exode rural ou les immigrés qui arrivent ; pavillons pour les classes moyennes), ouvre peut-être une perspective d'étude sur les autistes Asperger. Lorsqu'il a élargi ses recherches sur les autistes présentant des troubles Asperger, le chercheur que nous avons rencontré a identifié de fortes disparités entre les Asperger selon les territoires où ils ont grandi : « On constate très rapidement qu'un Asperger sans déficience intellectuelle a dix fois plus de chances de réussir ses études et son insertion socio-professionnelle dans des grands centres urbains où il sera suivi par un personnel compétent. L'exemple d'une ville comme Neuilly, où l'adjoint du maire au handicap s'investit dans l'association Autisme Info Service, montre qu'il est plus facile pour une personne avec ce trouble de s'intégrer à Neuilly qu'à Angoulême ou Maçon. » En s'inspirant de plusieurs études de Michel Crozier, le sociologue a également constaté que les milieux où les Asperger restaient le plus en difficulté n'étaient pas forcément les plus précaires à la sortie de leurs études, mais qu'ils le devenaient au fil des années en raison des discriminations qu'ils subissent. « Dans le cadre de mes travaux, j'ai identifié que les publics moins sensibles aux troubles appartenaient souvent à une nouvelle classe moyenne parfois aisée votant pour Eric Zemmour et Marine Le Pen. En accédant à la propriété, cette partie de la population a cessé de voter à gauche, mais s'est très vite identifiée au discours du Rassemblement National sur le pouvoir d'achat et le travail. »

Enfants handicapés : Eric Zemmour est-il allé trop loin ? © RMC

Ainsi, le chercheur conclut que les quartiers où les discriminations contre les Asperger subsistent le plus sont des banlieues gentrifiées où vivent des ouvriers d'usine qualifiés, des fonctionnaires occupant une fonction régalienne dans l'armée et la police, des commerçants ou des cadres souvent propriétaires qui ne comprennent pas qu'une personne ne puisse pas travailler dans un milieu ordinaire sans bénéficier d'une aide apportée par une mission handicap. Un ancien salarié Asperger du site de production de Sanofi à Tours témoigne : « J'ai intégré le groupe pharmaceutique en septembre 2020, dans le cadre d'un contrat d'alternance. Très vite, mes troubles praxiques et mes difficultés sociales ont fait l'objet de discriminations assez violentes au travail et dans mon cercle social plus intime et amical, où le vote à gauche s'est massivement transformé en vote RN ces dernières années, comme dans beaucoup d'usines, notamment chez les jeunes ». Le choc fut très rude pour l'étudiant lorsqu'il s'est retrouvé face à des collègues ne sachant ni ce qu'était une mission handicap, ni ce qu'était un chargé de mission RSE. « Dans ces groupes industrialisés ou tertiarisés des villes moyennes, où la majorité des salariés votent RN et habitent souvent à plus de vingt kilomètres de leur travail dans des communes rurales, on fait toujours du management à l'ancienne en glissant quelques infos sur les salariés en catimini à la pause-café. » Le délégué départemental du Rassemblement National en Savoie, proche de la députée du Var et maman d'une enfant trisomique, Laure Lavalette, partage également ce constat : « Depuis 2017, la classe moyenne et populaire vote pour le RN. Ensuite, sur la question du handicap, la sensibilisation est mauvaise. Un travail doit être effectué avec le grand public, les écoles et les mairies sur ce sujet encore méconnu. » Néanmoins, il souligne à juste titre que leurs rivaux de gauche ne connaissent pas mieux ces questions. « Aujourd'hui, la gauche défend des minorités sexuelles ou racisées et oublie la question du handicap. » Il en conclut que les publics urbains adhérant à l'idéologie Woke ne sont pas sensibles à ces questions.

Comment éviter cette ghettoïsation des Asperger ?

Selon la Cour des Comptes, la France souffrirait d'une mauvaise gestion de son parc locatif. Ainsi, les nombreux organismes, leur gestion "sans risque" et leur hésitation à résilier des baux consentis à des bénéficiaires qui ne sont plus en situation critique, conduiraient au maintien d’autistes dont la situation économique ou sociale a évolué dans des environnements peu adaptés. La question de l'attribution de logements sociaux peut entrer en jeu lorsque qu'un Asperger gagne un peu plus que le SMIC. Dans de nombreux départements, les listes d'attente s'allongent tandis que certains bénéficiaires, comme le député Carlos Martins Bilongo, maintiennent leur occupation d'un logement familial en HLM et refusent de le libérer. Cependant, il existe également des Asperger occupant des postes de cadre qui souhaiteraient quitter les ghettos où ils vivent et se rapprocher de milieux sociaux plus aisés où leurs troubles seraient mieux acceptés. Néanmoins, le coût de la construction est limité en pratique par les dépôts d'épargne de proximité des Français (tout argent placé sur le Livret A sert à le financer) ; la disponibilité des terrains, car il ne s'agit pas de construire là où il n'y a pas de besoins ; et les coûts d'entretien des logements restent encore trop élevés pour beaucoup d'entre eux. Un jeune informaticien diplômé d'une grande école qui souhaite quitter Angers pour s'installer à Paris témoigne : « Le coût d'entretien d'un logement locatif dans le centre de Paris, où une ville de la banlieue ouest dans laquelle mon trouble pourra enfin être compris par des médecins et des amis bienveillants, reste encore un peu trop élevé pour moi. De plus, je ne me vois pas vivre en couple ou en colocation avec une personne qui devra gérer mes crises et mes moments d'absence. »

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