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Billet de blog 20 novembre 2023

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Antisystème tu gagnes en sang-froid

L'élection de l'économiste Javier Milei à la présidence de l'Argentine avec 55,7 % des voix représente un tournant significatif dans l'histoire politique d'un pays qui continuera d'adopter des politiques économiques ultralibérales dans les années à veni

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Illustration 1

Un antipéroniste au pouvoir 

Victoire de Javier Milei : "La première fois qu'un président argentin arrive aussi seul au pouvoir" © FRANCE 24

La victoire de Javier Milei face à Sergio Massa, le candidat du péronisme, marque une rupture significative avec les forces politiques traditionnelles en Argentine. Historiquement dominées par des courants nationaux-populistes, ces forces voient désormais un changement de cap. Milei, issu de la coalition ultralibérale La Libertad Avanza, s'est distingué par ses propositions radicales. Il préconise notamment la dollarisation de l'économie, une réduction drastique des dépenses publiques, l'interdiction de l'avortement, la libéralisation de la vente d'armes, ainsi que la rupture des relations diplomatiques avec le Brésil et la Chine. Cette orientation politique et diplomatique diverge nettement de celle du péroniste Mauricio Macri. Le péronisme, loin de se résumer à un charisme fascinant, s'est historiquement appuyé sur des soutiens diversifiés et ancrés dans la société. La CGT argentine, syndicat unique et central, a longtemps été un pilier de cette structure. Un ouvrier métallurgiste de Buenos Aires témoigne : « C'est grâce à la CGT que nous avons pu défendre nos droits ».

De même, le Parti péroniste et sa branche féminine ont joué un rôle avant-gardiste dans l'engagement des femmes en politique. Ainsi, le mouvement, défait hier par Milei, était caractérisé par une culture politique argentine teintée de nationalisme et de valeurs sociales-chrétiennes. Cependant, le péronisme ne se limite pas à ces traits. À Buenos Aires, de nombreux historiens analysent la chute du péronisme en contestant l'idée d'un « dialogue direct avec les masses ». Ils soulignent plutôt le rôle crucial des intermédiaires tels que les syndicalistes, les militaires, les prêtres, les intellectuels et les dirigeants partisans. Cette perspective prend d'autant plus de sens face à l'évolution récente de la précarité en Argentine.

© Dani Espadafor

Antisystème tu gagnes en sang-froid

© Gabriela Oliva

Avec son discours anti-système et ses promesses de résoudre des problèmes majeurs tels que l'inflation et la pauvreté, Javier Milei a séduit une grande partie de l'électorat argentin déçues du péronisme, malgré les craintes et les controverses qu'il suscite. Milei a été célébrée par ses partisans comme le début d'une nouvelle ère pour l'Argentine, où il promet de mettre fin au modèle péroniste "appauvrissant" de la "caste" politique traditionnelle et de redonner à l'Argentine sa place de puissance mondiale. Après douze ans sous la gouvernance des Kirchner, l'ère Macri signalait déjà un léger éloignement du péronisme, qui avait marqué 70 ans d'histoire politique argentine. Le 15 Mai 2016, Dans son article "Otra Argentina",  le célèbre romancier et philosophe argentin Mario Vargas Llosa louait dans le grand quotidien hispanique El Pais les réformes courageuses de Macri, qui s'attaquaient à l'interventionnisme étatique et visaient à redresser l'une des nations les plus riches du monde. Néanmoins, le gouvernement Macri faisait face à des défis économiques conséquents lié à la pauvreté des Argentins. L'inflation, ce "véritable cancer" de l'économie argentine, persistait malgré les efforts de réforme, culminant à plus de 54 % fin 2019. "L'inflation nous touche tous. Chaque jour, c'est une lutte pour maintenir notre niveau de vie", confie un commerçant de Buenos Aires ayant été dans l’obligation d’augmenter tous ces prix, aux vues de ceux fixés par les grossistes.

L’Échec de Macri dans sa quête d’équilibre 

© Lucho

Les engagements de Javier Milei visant à réduire l'implication de l'État dans les secteurs de la santé et de l'éducation, ainsi que sa proposition de supprimer progressivement les aides sociales, font écho à l'une des promesses non tenues de Mauricio Macri : rééquilibrer les comptes nationaux. Malgré une réduction modeste de la dépense publique de 2 % en trois ans, et des mesures telles que la diminution du nombre de ministères de 23 à 13 et l'augmentation des taxes sur les exportations, les efforts de l'ex-président n'ont pas suffi à redresser l'économie. 'On avait promis de couper dans le vif, mais les changements ont été trop timides pour être efficaces', critique un économiste argentin péroniste, enseignant aux États-Unis. En 2016, le Fonds Monétaire International (FMI) approuvait la direction libérale prise par Macri, levant la censure mise en place en 2013 à la suite de manipulations des statistiques économiques. Le FMI reconnaissait également les 'efforts extraordinaires' du gouvernement pour attirer l'investissement et restaurer l'image de l'Argentine, soulignant notamment un virage libéral marqué et des coupes budgétaires importantes.

Grâce à un soutien financier substantiel du FMI en 2016 et 2019, totalisant 57 milliards de dollars, l'Argentine a pu alléger la pression sur le peso. Toutefois, la situation financière demeurait précaire, le peso ayant perdu la moitié de sa valeur en 2018. 'L'instabilité de notre monnaie est un cauchemar quotidien. C’est l'une des raisons pour lesquelles le projet économique de Milei, centré sur le dollar, est bien accueilli ici', déclare un petit commerçant de Buenos Aires. Bien que l'une des premières décisions de Macri ait été de rembourser les dettes envers les créanciers, l'élite financière et bancaire argentine reste méfiante face à l'incertitude persistante, réticente à proposer des taux avantageux pour de nouveaux crédits.

La Pandémie et ses Répercussions sur la pauvreté 

Dans l'Argentine de Macri, marquée par l'héritage péroniste, l'épidémie de COVID-19 a exacerbé les inégalités sociales et creusé un fossé éducatif considérable. D'après les données de l'UNICEF, à la fin de 2021, environ 8,3 millions d'enfants argentins, représentant 62,9 % de la population infantile, vivaient sous le seuil de pauvreté. Cette pauvreté généralisée a ouvert la voie aux candidats antisystème comme Javier Milei. En outre, une part alarmante de 18,7 % de ces enfants et adolescents, désormais jeunes électeurs, vivaient dans des conditions de pauvreté extrême, soit près de 2,4 millions de personnes. La situation était particulièrement grave dans les quartiers défavorisés, où presque la moitié des enfants (49 %) allaient vivre dans une pauvreté extrême à la fin de 2020, et 92 % d'entre eux dans des conditions de pauvreté. "Voter pour Milei pourrait nous aider à mener un autre combat pour survivre", confie Maria, mère veuve de trois enfants résidant dans un quartier populaire de Buenos Aires.

Un système éducatif exsangue 

Parallèlement, Milei a saisi l'opportunité créée par les ravages de la pandémie sur le système scolaire argentin pour proposer un nouveau projet éducatif. Avec la suspension des cours en présentiel pour limiter la propagation du virus, plus de 10 millions d'étudiants et près de 900 000 enseignants se sont retrouvés écartés des salles de classe. Face à cette situation inédite, le système éducatif, peu préparé pour l'enseignement à distance, a dû rapidement adopter des méthodes virtuelles. Cependant, cette transition s'est heurtée à des défis. Parmi eux, 18 % des adolescents issus de milieux plutôt voire très défavorisés dans certains cas. Agés de 13 à 17 ans n'avaient pas d'accès à Internet à domicile, et 37 % ne disposaient pas d'appareils électroniques adéquats pour les travaux scolaires. Cette proportion monte à 44 % parmi les élèves des écoles publiques. Ces inégalités dans l'accès aux ressources numériques ont aggravé les difficultés d'apprentissage pour les élèves déjà désavantagés. "Sans ordinateur, mes enfants ne peuvent pas suivre les cours en ligne, c'est frustrant" , déplore Carlos, père de deux enfants scolarisés dans une école publique.

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