Oscar Tessonneau (avatar)

Oscar Tessonneau

Fondateur de Rightbrain Media

Abonné·e de Mediapart

181 Billets

1 Éditions

Billet de blog 24 décembre 2023

Oscar Tessonneau (avatar)

Oscar Tessonneau

Fondateur de Rightbrain Media

Abonné·e de Mediapart

La critique du « choc des civilisations » aide à comprendre l’ultralibéralisme

Depuis le début des conflits en Ukraine et en Palestine, les idées de Samuel Huntington sont à nouveau vantées au service d’un idéal nationaliste et ultralibéral. Pourtant, le journaliste de Mediapart Fabien Escalona expliquait dans un article paru hier que ses thèses ont été largement démontées, au vu de leur impact sur les minorités.

Oscar Tessonneau (avatar)

Oscar Tessonneau

Fondateur de Rightbrain Media

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Un Discours Diviseur dans un Monde Multiculturel

Dans un monde globalisé et interconnecté, la théorie du "Choc des civilisations" de Samuel Huntington, conçue pour analyser les dynamiques de l'après-guerre froide, a été remise au goût du jour depuis l’invasion du Hamas le 7 octobre 2023. En 1996, dans un essai consacré au choc entre les civilisations, Huntington déclarait : "Le problème central pour l’Occident n’est pas le fondamentalisme islamique. C’est l’islam, civilisation différente dont les représentants sont convaincus de la supériorité de leur culture et obsédés par l’infériorité de leur puissance." Lorsqu’il publie cet essai en 1996, Samuel Huntington est déjà connu pour ses analyses ultraconservatrices sur l'évolution des sociétés démocratiques, notamment en réponse à l'émergence de ce qu'il appelait des « groupes sociaux marginaux » tels que les Noirs, les Indiens, les Chicanos, et les femmes. Dans La société ingouvernable, un ouvrage publié en 2018, le philosophe Grégoire Chamayou expliquait qu’Huntington, dans des essais tels que "Political Order in Changing Societies", exprimait sa préoccupation quant à la capacité des démocraties à gérer cette nouvelle dynamique sociale. Pour lui, ces mouvements entraînaient une surcharge du système politique avec des revendications qui étendaient ses fonctions et sapent son autorité: « Huntington soutenait que l'intensité de la vie démocratique, caractérisée par une multiplication des demandes et des attentes des citoyens, pouvait paradoxalement nuire à l'efficacité et à la stabilité de la démocratie. » Ainsi, Chamayou affirme que pour Huntington, l’État, loin d’être paralysé, répondait à ces défis par une hyperactivité, régulant, intervenant et dépensant de manière significative. 

Les échecs de la rhétorique anti-welfare

© NATO🇺🇸 VS KREMLIN🇷🇺

Partagée par de nombreux intellectuels célèbres de l’époque, comme Milton Friedman ou Friedrich Hayek, cette rhétorique anti-welfare a eu un impact significatif sur la perception publique de la pauvreté et du chômage des Américains. Les articles de Huntington, centrés sur la responsabilité individuelle, ont contribué à stigmatiser les bénéficiaires de l'aide sociale, tels que les migrants ou les handicapés physiques et mentaux, les présentant comme des « acteurs paresseux et dépendants », plutôt que comme des victimes de circonstances économiques hors de leur contrôle. En parallèle, sur le plan international, ces politiques ont également eu un impact. La promotion du néolibéralisme avec l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher ou Pinochet, et la réduction des dépenses publiques sont devenues des doctrines dominantes dans les institutions financières internationales, telles que le FMI et la Banque mondiale. Ces politiques soutenues par Huntington ont été appliquées dans de nombreux pays développés, souvent avec des conséquences désastreuses pour les populations, notamment les minorités de couleur ou les handicapés. À titre d’exemple, dans le long entretien qu’il a réalisé pour Blast, l’écrivain et journaliste handicapé Nicolas Houguet s’appuie sur de nombreux extraits de vidéo où des dirigeants américains pointent le manque de volonté d’élus comme le maire de New York de l’époque d’adapter le métro de la ville aux personnes en fauteuil, sous prétexte que cela coûterait « trop cher ». De même, dans les médias, où des grands journaux comme Le Figaro, Le Monde ou Libération, détenus par des milliardaires ayant toujours fait l’apologie de l’ultralibéralisme, voient les incitations à embaucher et représenter des travailleurs handicapés comme une contrainte, puisqu’en France, aucune rédaction ne respecte la règle des 6%, et seulement 0,8% du temps d’antenne dans l’audiovisuel est offert aux handicapés selon le dernier rapport de La CNCPH.

Interview de Sophie Cluzel, parle du handicap à la télé © HandiNews

Enfin, Huntington, dans sa critique constante de l’expansion de l'activité gouvernementale, puisqu’il ne faisait qu'exacerber le problème de la gouvernabilité engendrant selon lui « des attentes toujours plus grandes de la part des citoyens », va établir à la fin des années 90 une théorie selon laquelle les modèles économiques trop protecteurs créeraient un choc civilisationnel.

HANDICAP : "ON A TELLEMENT PARLÉ POUR MOI. IL FALLAIT QUE JE M'AVANCE" © BLAST, Le souffle de l'info

Vers un choc civilisationnel

© Kevin Bossuet

En cherchant à raviver les "vieilles peurs" du chômage et de la précarité, et en soutenant des dictatures ultralibérales comme celles de Pinochet aux côtés d’économistes comme Milton Friedman et Friedrich Hayek, Huntington en est venu à proposer en 1996 une vision où la survie de l’Occident dépend de la réaffirmation par les Américains de leur identité occidentale. « Les Occidentaux, affirmait Huntington, doivent admettre que leur civilisation est unique mais pas universelle et s’unir pour lui redonner vigueur contre les défis posés par les sociétés non occidentales. Nous éviterons [ainsi] une guerre généralisée entre civilisations. » Cette perspective est contestée pour son encouragement à une identité culturelle homogène, allant à l'encontre des valeurs de diversité et de multiculturalisme. En effet, Huntington suggère que "l’identité à quelque niveau que ce soit – personnel, tribal, racial, civilisationnel – se définit toujours par rapport à l’“autre”, une personne, une tribu, une race ou une civilisation différente : « Le “nous” civilisationnel et le “eux” extra-civilisationnel sont une constante dans l’histoire », remise en question dans un monde où les échanges culturels positifs sont de plus en plus fréquents. » Contrairement à la vision conflictuelle de Huntington, actuellement défendue par des éditorialistes ou des personnalités politiques françaises comme Eugénie Bastié ou Éric Zemmour, de nombreux travaux démontrent que c’est un système économique ultralibéral qui crée un « clash » entre les différentes communautés vivant au sein d’un État. En effet, la notion d'«occidentoxication » introduite par Huntington, implique une hostilité généralisée de l'islam envers l'Occident, mais peu de données sur les facteurs sociaux-économiques favorisant ce soi-disant « clash des civilisations » qu’Huntington commentait de façon assez simpliste : "Le conflit est universel. Haïr fait partie de l’humanité de l’homme. Pour nous définir et nous mobiliser, nous avons besoin d’ennemis : des concurrents en affaires, des rivaux dans notre carrière, des opposants en politique. Nous nous méfions de ceux qui sont différents et nous les considérons comme des menaces."

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.