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Billet de blog 25 mai 2023

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Nos collectivités territoriales sont à bout de souffle

Les nombreuses confusions dans la répartition des responsabilités entre les villes, les départements et les régions, et la tentative de créer un bloc départements-régions n'a pas abouti aux résultats escomptés. Aujourd'hui, ces difficultés laissent les collectivités seuls face à un millefeuille administratif incompréhensible.

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Un pays malade de sa fonction publique

Les fonctionnaires : trop chers, absents, trop nombreux ? © Investigations et Enquêtes

Selon les analyses économiques récentes du politologue Jérôme Fourquet, publiées dans L'Express, la France est confrontée à une conjonction de problèmes économiques. Alors que le pays se désindustrialise, il envoie 80 % de sa population d'une classe d'âge obtenir le baccalauréat. Cette surdiplômation a entraîné une explosion du nombre de diplômés, tandis que le secteur productif perdait de sa vitalité et de son attractivité, notamment en comparaison avec la fonction publique. Dans cette phase de désindustrialisation, l'encadrement administratif est devenu une alternative pour ces diplômés, ce qui a conduit à la multiplication d'institutions régionales d'administration, d'Instituts d'Études Politiques (IEP) en province et de masters en management public, entre autres.

Ce phénomène a abouti à une superposition de strates administratives et à la création de postes pour des diplômés qui ne disposaient guère d'autres débouchés. Dans ce contexte, l'exercice de la liberté et le goût de la responsabilité ne peuvent trouver une réalité concrète et devenir une pratique quotidienne qu'au niveau local, notamment au niveau communal. Un maire d'une commune rurale près de Ruffec témoigne de cette réalité : « Aujourd'hui, l'administration française est si envahissante que dans un village de 500 habitants, un maire est contraint de prévoir des places de parking réservées aux personnes handicapées pour chaque bâtiment situé au centre, sans possibilité de mutualisation de ces emplacements ». À partir de cet exemple, cet élu rural, proche des Républicains, conclut que la surtransposition des normes européennes a engendré des distorsions et des inégalités, tentant d'imposer le principe de libre concurrence dans certains territoires, démontrant ainsi les lacunes de l'élaboration des lois.

Dans ce contexte, repenser la décentralisation en France devient crucial pour faire face à ces défis. Il est nécessaire de trouver un équilibre entre les compétences des différentes collectivités territoriales, de rationaliser les financements et de remédier aux problèmes inhérents au bloc départements-régions. Une réflexion transpartisane est en cours, notamment avec la création d'une mission d'information visant à étudier l'avenir des finances publiques dans les communes. 

Il devient difficile de définir les compétences d’action de nos collectivités territoriales

Collectivités territoriales, où en sommes-nous ? © Université de Strasbourg

En 1982, une loi promulguée le 2 mars a instauré une nouvelle répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales. Les principes des lois n° 83-8 du 7 janvier et n° 83-663 du 22 juillet 1983 stipulent que chaque collectivité doit recevoir intégralement les compétences relatives aux domaines transférés. Un élu du Snes en Île-de-France, membre du groupe socialiste et travaillant sur les lycées, témoigne : « Pour les bâtiments d'enseignement tels que les écoles primaires, les collèges et les lycées, la répartition des compétences semble claire. Nous savons qui est responsable de la construction, de l'entretien et du fonctionnement des écoles primaires dans les communes. En étudiant les compétences attribuées à différentes collectivités, il est donc possible d'identifier les vocations dominantes des trois niveaux de la décentralisation territoriale, car les écoles sont gérées par les villes, les collèges par les départements et les lycées par les régions. »

Cependant, dans les situations où plusieurs collectivités travaillent ensemble, la loi peut autoriser l'une d'entre elles à organiser leur action commune. Un élu du groupe Les Républicains de la région Île-de-France affirme que cela présente des avantages : « Ces transferts de compétences profitent énormément aux régions lorsqu'elles souhaitent développer l'économie ou financer des formations professionnelles pour stimuler la croissance. » Néanmoins, un élu socialiste du Val-de-Marne se montre plus sceptique quant aux atouts de ces dispositifs. « La perte de la clause de compétence générale a créé un millefeuille administratif incompréhensible, reposant sur des compétences partagées entre les communes, les départements et les régions. Par exemple, je connais de nombreux élus qui ne sont guère familiers avec les dispositions de la loi du 16 décembre 2010 en matière de tourisme, de culture et de sport. »

Des difficultés à rationaliser les financements des collectivités territoriales

Audition de Pierre Moscovici sur les scénarios de financement des collectivités territoriales © Sénat

Comme l'indique l'article 72-2C, les collectivités territoriales sont confrontées à des difficultés lorsqu'elles doivent gérer leurs ressources de manière autonome. Cependant, les conditions de mise en œuvre de cette autonomie financière, fixées par la loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004, sont critiquées par les associations d'élus locaux. Un élu du conseil départemental de La Dordogne (24), membre du Modem et résidant dans le Périgord noir, un territoire très rural, témoigne. « Les autres dispositions de cette loi du 29 juillet se contentent d'affirmer des principes déjà reconnus par d'autres textes, tels que le pouvoir de fixer le taux et l'assiette des impôts perçus. Tout cela est totalement absurde. Je suis convaincu que nous aurions moins de protestations dans les rues et une montée moins forte des mouvements extrémistes si les élus n'étaient pas contraints de gérer un millefeuille administratif aussi complexe. » Pour remédier à ce problème, Les Républicains (article du 4 avril du Figaro) ont actuellement mis en place une mission d'information transpartisane, à la demande d'un groupe de 22 sénateurs, afin d'examiner l'avenir des finances publiques des communes.

Un collaborateur d'un sénateur rural du groupe témoigne : « La succession de crises et de réformes territoriales, ainsi que l'augmentation soudaine des prix de l'énergie et des denrées alimentaires, pèsent sur les budgets des communes, qui ont souffert de la suppression et de la baisse de certains impôts locaux. En conséquence, la moitié des maires de France (55 %) ne souhaitent pas se représenter à la fin de leur mandat, un taux jamais atteint en vingt ans, selon un sondage Ifop réalisé lors du congrès des maires en novembre 2022 ». Pour comprendre cette crise, les sénateurs LR ont multiplié les rencontres avec les maires qui ont mis fin prématurément à leur mandat ou qui ont décidé de ne pas se représenter. Ils cherchent à comprendre au plus près les difficultés auxquelles ils sont confrontés et les raisons pour lesquelles l'exercice d'un mandat local suscite moins d'enthousiasme. Le sénateur du groupe que nous avons rencontré tire des conclusions plutôt choquantes de ces échanges. « En France, les maires doivent faire face à une multiplication des normes, à une augmentation de leur charge de travail et à des exigences croissantes de la part de leurs concitoyens ».

Lors de leur entrevue avec David Lisnard la semaine dernière, les journalistes de L'Express soulignaient déjà ce problème. Le maire de Cannes (06), également président de l'association des maires de France, expliquait que les collectivités territoriales en France ne sont plus gérées de manière souple et efficace. Par exemple, le maire de Saint-Pierre-de-Coutances, un village de 500 habitants, déclarait dans les colonnes de L'Express qu'il avait souhaité créer une zone résidentielle écologique, en précisant que cette dernière n’avait pas été subventionné par la région Normandie. " Lorsqu'on a justifié le projet sur tous les points, clamait-il, en expliquant pourquoi il était innovant, les principales actions mises en place, les sommes engagées… Mais comme d’habitude, on nous a répondu qu’il manquait des documents. (..) La lourdeur administrative d’un dossier comme celui-ci est absolument inadaptée à nos petites communes. Elle paralyse notre démarche. »  Ainsi, on peut voir qu’en France, les collectivités territoriales sont totalement étouffées par un millefeuille administratif incompréhensible.

Le bloc départements-régions ne fonctionne pas

La loi NOTRe et les nouveaux pouvoirs des régions © Public Sénat

En instituant un nouvel élu local, le conseiller territorial, la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 a permis la création d'un bloc départements-régions. À partir de 2014, ce bloc devait remplacer les conseillers généraux et régionaux. Élus au scrutin cantonal, les conseillers territoriaux siègent à la fois dans l'assemblée de leur département et de leur région. Un conseiller territorial élu en Charente (16) témoigne : « L'objectif de cette réforme était de regrouper deux niveaux d'administration tout en assurant aux territoires une représentation au niveau régional. De plus, la fusion des assemblées devait limiter les interventions concurrentes des départements et des régions. Cependant, peu de progrès ont réellement été réalisés à cet égard, car nous sommes toujours très dépendants des décisions de notre préfet et du pouvoir central. »

Cet élu chevronné explique que dès l'adoption de la loi il y a près de 15 ans, l'idée même d'un couple départements-régions suscitait de nombreuses interrogations. « D'un point de vue historique, explique-t-il, les départements sont plutôt orientés vers les communes et les intercommunalités, créées grâce aux lois NOTRe et MAPTAM. Cependant, les récentes réformes des collectivités territoriales ont rapproché deux niveaux de nature différente, le département axé sur la gestion et la région. Les mécanismes de fusion ont réellement compliqué des choses qui étaient autrefois simples. Une fois de plus, l'administration française nous a réservé des surprises. » Enfin, cet élu local laisse entendre que le regroupement de régions et de départements limitrophes, l'inclusion d'un département dans une autre région et la fusion des régions et des départements qui la composent en une seule collectivité territoriale n'ont pas du tout fonctionné.

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