
Une rupture par des actes
Hier, dans un entretien accordé aux journalistes de Mediapart Pauline Graulle et Mathieu Dejean, la tête de liste d’EELV aux européennes dévoilait les enjeux liés à la crise institutionnelle, et aux tensions sociales que traverse actuellement La France. « La fracture entre les classes populaires et les élites, y compris la sphère politique, est manifeste. Elle met en exergue l'urgence d'une démarche qui considère véritablement les aspirations de ces classes, notamment en matière de gouvernance », affirmait Marie Toussaint, tout en faisant écho à l'analyse d’élus progressistes comme Sabrina Benmokthar ou Samia Ghali, ayant publié l'édito de Mercredi sur la mobilité sociale. Quant aux jeunes engagés qui la soutiendront lors des élections européennes de 2024, ils mettent l’accent sur la réduction des fractures idéologiques entre les activistes pour le climat et le projet écologiste du Parti. « Les groupes comme SLT et d’XR, déclarait un jeune engagé ayant participé aux manifestations pour le climat lorsqu’il était lycéen, rassemblent des milliers de membres, et chaque mobilisation contre des décrets ou des lois controversées attire de nouveaux membres. » Opinion partagée par Emma Chevalier et Annah Bikouloulou, les responsables des jeunes écologistes, convaincus d’un dialogue possible avec les militants si EELV est omniprésent. " Nous croyons fermement que sans le soutien de groupes tels que XR ou Dernière Rénovation, qui initient des actions marquantes, précise Annah Bikouloulou, il serait ardu de mettre en lumière des enjeux cruciaux dans l'arène publique. » Par ailleurs, d'autres jeunes écologistes révèlent que, pour engager cette rupture populaire et écologique, le parti intensifie ses interactions avec ces groupes. « Nous nous efforçons de participer activement aux "luttes citoyennes" initiées sur le territoire ces deux dernières années, contre des décisions politiques controversées ou des lois discutables », signale un autre militant parisien, figure emblématique des progressistes du Canal Saint-Martin sirotant une bière bio au comptoir de la salle où ont lieu les évènements.
La planète brûle
Les Jeunes Ecologistes prévoient que la crise institutionnelle que vit La France depuis la réforme des retraites inaugure un moment de rupture dans le paysage politique. « Plus la crise s’intensifie, plus vastes sont les segments de la population impactés, et plus les équilibres de pouvoir se trouvent bouleversés et imprévisibles », déclare une membre des Jeunes Écologistes après le débat dirigé par François Ruffin sensible aux questions de justice sociale. « Dans son discours, j’ai beaucoup apprécié le moment où il faisait une comparaison entre les problèmes de santé des opérateurs de production dans une usine gagnant 1500 euros et les auxiliaires de vie au smic », indique la militante convaincue que toute forme de rupture sur un plan écologique ne pourra pas s’effectuer sans une vraie transition sociale. Également membre influente du Mouvement Les Soulèvements De La Terre (elle note malicieusement que peu de militants SLT étaient présents à la conférence au Havre), elle est convaincue que les incidents de Sainte-Soline ont déclenché un moment de rupture et favoriseront le développement d'autres épisodes et de contestations civiles sans heurts avant une phase de rupture et réconciliation. Un représentant de la région Loire-Atlantique confirme ses propos : « Les événements contre les méga bassines et la décision du conseil d’État contre Les Soulèvements De La Terre marquent un moment de rupture : d'une part, cela témoigne d'une prise de conscience au plus haut niveau de l’État de la crise institutionnelle. D'autre part, l'aspect social de cette réforme, prédominant dans notre parti où nous cherchons à inclure des voix diverses, démontre qu'aucun parti progressiste ne peut ignorer cette cause que nous défendons depuis 40 ans. ».
Un projet de rupture adapté au contexte
Bien que "le léninisme écologique", pour utiliser un concept disruptif du philosophe Andreas Malm, ne figure pas parmi les principaux axiomes du parti d'EELV, la formation dirigée par Marine Tondelier affirme clairement son intention d'instaurer un moment de rupture en matière de gouvernance ou de changements culturels en faveur de l'égalité des genres. Ainsi, la future tête de liste expliquait qu’aux européennes, son parti souhaite établir une stratégie de rupture reposant sur trois principes majeurs pleinement soutenus par les jeunes progressistes. "Nous défendons une vision, évoquait Marie Toussaint, suggérant la nécessité d'établir un traité pour la gouvernance démocratique, d'adopter la "donut economy" pour équilibrer les exigences économiques et sociales, et de prioriser la lutte contre la précarité et les droits des femmes à l'échelle européenne.". Kenza, une autre militante parisienne plus engagée, cite un article de Mathieu Dejean, analyste politique chez Mediapart, pour décrire l'agenda socio-réformiste d'EELV. "Les deux idéaux majeurs de l’éco socialisme en rupture avec la gauche du passé, que je soutiens fermement, sont qu’il est totalement impossible de gouverner un pays en imposant des politiques économiques ultralibérales générant des inégalités et fragilisant les plus vulnérables, et que la justice sociale nécessite de rompre avec les projets expansionnistes de grandes entreprises opérant en Afrique comme Total." Ainsi, à l'instar de Marie Toussaint, la jeune militante plaide pour une évaluation des politiques en fonction de leur effet sur les plus démunis et prône des actions plus audacieuses. "Une mutation est en cours dans l'activisme écolo-progressiste", affirme-t-elle. "Les récentes crises économiques et les tensions internationales nous poussent à examiner ce moment de rupture et à réexaminer des sujets comme les traités commerciaux. Nous encourageons donc des formes de protestation civile qui amèneront nos législateurs français et européens à envisager des réformes structurelles." Enfin, les militants d'EELV réfutent tout qualificatif les associant à des "agents subversifs". "Tant que certains comme Darmanin nous assimileront à des radicaux, rien ne progressera. Les jeunes progressistes soutiennent donc de nombreuses organisations telles que XR, Nantes Révoltée ou Les SLT. »
De nouvelles formes disruptives de militantisme écolo
Aujourd'hui, EELV est perçu comme un rassemblement de militants principalement citadins, dotés d'un revenu moyen et d'une solide éducation académique. « Qui parmi vous est diplômé en Sciences Sociales ou en Ingénierie ? » interrogeaient Raphaëlle Rémy-Leuleu et Sandrine Rousseau lors d'un rassemblement à Le Havre. Dans une période où la fracture sociale s'accentue, et alors que le Rassemblement National diffuse un discours anti-élitiste puissant dans l'échiquier médiatique, influençant l'opinion, la proposition d'EELV semble ne pas parvenir à mobiliser les franges les plus radicales de l'écologisme. Une lacune, selon cet adhérent d’Extinction Rebellion de Valence. « Lénine, rappelle-t-il, postulait qu'à l'instant où « les masses refusent et que l'élite ne peut perpétuer le statu quo », une « crise institutionnelle » peut basculer en crise insurrectionnelle. Or, les cadres d’EELV ne semblent plus incarner cette rupture. » Bien qu'il ne prédise pas un bouleversement imminent, ce militant écologiste et libertaire d'XR perçoit une tendance politique néolibérale alarmante propulsant le monde vers la catastrophe, et doute de la capacité du parti de Marine Tondelier à contrer cette trajectoire. « Le souci majeur, c'est qu'EELV ne semble pas inciter, comme le devrait une véritable force écologique, à la contestation. » Ainsi, le membre d'XR décèle dans la vision d'EELV une orientation « tiède et non-alignée sur les principes marxistes, quasi mercantile ». « En adoptant des notions telles que l'écoféminisme ou l'écosocialisme, avance-t-il, les entités de gauche tentent d'enrichir leur cadre doctrinal par une critique du capitalisme, tout en étant complices, par leur passivité législative, des projets nocifs pour l'environnement. »