Une mésentente entre les « potes » prégnante en 2023
Le journaliste Christophe Guegneau signalait ce matin dans son reportage pour Mediapart l’attention particulière portée au vote des classes populaires au sein des tables rondes du Parti Socialiste. Jeudi, une première perspective sur la définition des "classes populaires" était apparue dans le discours de François Ruffin au Havre lorsqu’il a évoqué une similarité entre des auxiliaires de vie et des opérateurs de production d’Aubervilliers issus de l’immigration. « Ces personnes ayant des salaires avoisinant les 1300 euros par mois se parlent et évoquent leur souffrance de travail ou leurs problèmes de dos ». Cependant, toutes ces définitions semblent éluder une réalité que nie beaucoup de socialistes : en France, les différentes factions des classes populaires peinent à s'entendre. Le projet des années 80 d'Harlem Désir, visant à rassembler des "potes" autour d’un slogan avec une main jaune, a connu un échec. 40 ans plus tard, le fossé entre les classes populaires s'est accentué. En effet, dans son ouvrage "Au risque de la race" publié aux éditions de L’Aube en 2022 Fabrice Olivet, expert du trafic de drogue, évoque un décalage énorme entre les perceptions banales du racisme et la réalité crue du véritable racisme, illustré par « la vie des policiers, chefs de cuisine, et contremaîtres de chantiers » qui maitrisent les personnes issues de l’immigration en les transformant en victime de leurs bavures ou en salariés d’une économie ubérisée dans laquelle les fondamentaux du droit du travail est souvent remis en question.
Qui est l’éternel « pote » ?
Dans son essai Au risque de la race, Fabrice Olivet pointe un retard des élus français, durant la période Mitterrand, dans la prise en compte des défis rencontrés par les français précaires issus de zones rurales, périurbaines, ou des quartiers sensibles. Il rappelle : « En 1962, quand les Algériens étaient jetés dans la Seine, ils auraient eu besoin de « potes », mais plutôt contre la police. » Poursuivant son analyse, Olivet évoque la fin des années 1980, où nombre d'adhérents à des syndicats tels que la CGT, également membres du PS ou du PC, ne percevaient pas forcément les "bougnoules" comme des "potes". Au contraire, ils les voyaient souvent comme des rivaux sur le marché de l'emploi. L’essayiste note : « Le discours ouvriériste de la CGT et du Parti communiste était propice à une bascule vers le RN (Rassemblement national) ». En 2022, les succès électoraux phénoménaux du parti des Le Pen seraient l’une des conséquences de la mésentente entre les différentes couches des classes populaires : « L’ouvrier français moyen s'identifie à une culture, à des accents, des bleus de travail, des chansons, c’est-à-dire l'image corporelle de ces ouvriers mythifiés auxquels sont toujours attachés les électeurs RN en 2023.» clame un élu rural présent à Blois. Ainsi, souvent associée à une couleur de peau, la figure ouvrière que le parti socialiste souhaite reconquérir est majoritairement blanche. Les événements de la fin des années 1980, comme la chute du mur de Berlin ou l'affaire du Foulard de Creil, ont accentué le fossé entre l'ouvrier blanc syndiqué à la CGT, désormais employé dans le secteur tertiaire ou chômeur en périphérie, et la jeune génération issue de l'immigration, souvent étiquetée comme "zonards" ou "racailles". Un historien spécialisé dans l'histoire du parti communiste confie : « Cette rupture est illustrée par les maladresses de Georges Marchais et Robert Hue concernant le foyer malien de Vitry ou les « vendeurs de drogue marocains de Montigny-lès-Cormeilles. » Enfin, les commentaires récents de Carole Delga, présidente PS de la région Occitanie et possible candidate à la présidentielle 2027, sur Kylian Mbappe, soulignés par la politologue Chloé Morin, témoignent de ce « mépris de classe/race » exprimé par de nombreux cadres socialistes. Elle citait ainsi : « Oui, ils sont Français, mais leurs parents sont originaires d'autres pays. » Une déclaration emblématique du mouvement Refondations.
Quel souvenir pour les différents « potes » ?
En 2023, les "potes céfrancs" constituent la majorité des habitants de maints quartiers où le revenu médian est parmi les plus faibles de France. Johanna Roland, la maire nantaise, soulignait lors d'une table ronde : « Dans les grandes métropoles, plus de 40% des familles figurent parmi les plus précaires de France. » La députée de Seine-Saint-Denis, Fatia Kelouah Hachi, renchérissait : « Dans mon secteur, une mère séparée patiente 18 mois pour sa pension. De plus, au lycée d’Aulnay-Sous-Bois l'an passé, 13 enseignants étaient absents. » Enfin, Juliette Paquier, rédactrice à La Croix, éclaire sur le revenu médian des classes populaires : « Le revenu d'une famille dépend de sa structure et du nombre d'enfants. Selon L’Observatoire des inégalités, voici cinq seuils pour les classes populaires : pour une monoparentale, moins de 1 944 € net mensuels ; pour un duo sans enfant, moins de 2 243 € ; avec un rejeton, moins de 2 691 € ; et pour deux enfants, moins de 3 738 € net mensuels. » Ces chiffres, reflets des fractures culturelles et économiques, ainsi que des divergences électorales, préoccupent de nombreux militants socialistes, qu'ils soient d'origines rurales ou citadines. Une alliée de Fabien Roussel du PC indiquait vers 11h30 au grand meeting socialiste de ce matin : « Nous comptons 10 millions de démunis en France. Les tarifs de l'électricité ont grimpé de 31% et ceux des fournitures scolaires de 10%. » Ainsi, au lieu de renforcer les services publics dans les quartiers populaires et les campagnes, la gauche, y compris les socialistes, peine à instaurer la solidarité rêvée à l'époque de « Touche pas à mon pote ».
De fausses solutions
Les Socialistes ont tenté d’inverser les hiérarchies en vigueur dans la « société » des 80 via une grande campagne de communication politique: le slogan « Touche pas à mon pote » d’Harlem Désir que critique ouvertement Fabrice Oliver dans son essai Au Risque De La Race. « Sos Racisme, était une machinerie mitterandienne à la fois hypocrite et ridicule, un trompe-l’œil essentiellement destiné à perpétuer la tutelle de la majorité de la population qui, comme vous l’ignorez sans doute puisque les races n’existent plus, est blanche. ». Bien que SOS soit devenue une organisation antiraciste intéressante en 2023, Olivet va même jusqu’à dire que SOS Racisme fut une habile mascarade destinée à torpiller à la base un mouvement « beur » ouvert à la promotion de personnes blanches ou racisées issues de milieux populaires, donc potentiellement communautaire. « La posture générale du slogan « Touche pas à mon pote » est post-coloniale jusqu’à la caricature » souligne Fabrice Olivet dans son livre Au risque de la race. Enfin, l’ampleur de la rancœur suscitée dans les classes populaires suite à la mort de Nahel chez les personnes racisées et les étrangers dans les classes populaires blanches votant RN ou Reconquête rend toute coopération entre toutes les classes populaires presque impossible. Dommage pour les socialistes.