
Des éléments perturbateurs
Il est grand temps de corriger une idée fausse largement répandue : lors d'un processus de recrutement, un salarié neurotypique ne brille pas systématiquement ; bien au contraire, il peut souvent perturber. Preuve en est avec Zoé, étudiante en Mastère 2 dans une école de Ressources Humaines, en alternance dans un groupe spécialisé dans l'industrie et l'armement, qui évoque le récent recrutement d'un salarié autiste spécialisé en sécurité informatique pour le service IT de son entreprise. « Tout au long de son alternance, son manager, réputé pour sa rigidité et sa froideur, m'expliquait qu'il le trouvait étrange et bipolaire, sans comprendre qu'il était incapable de fonctionner comme tout le monde. Je conclus alors que les managers manquent de temps pour comprendre le mode de fonctionnement d'un Zèbre, d'un autiste ou d'un HPI, lesquels, selon moi, sont incapables de s'intégrer sur le marché de l'emploi. A titre personnel, nous portons peu d'intérêt à ces questions.».
Profondément intéressée par les profils analytiques et logiques, dotés d'une pensée séquentielle similaire à celle des ingénieurs, la jeune fille n'apprécie guère les profils atypiques. Selon elle, leur lenteur les met en difficulté pour saisir les situations et les problématiques d'une tâche sous différents angles. Cette électrice d'Emmanuel Macron, également engagée dans des associations de jeunes RH parisiens, estime qu'il revient aux collectivités territoriales d'étudier ces profils atypiques afin qu'ils puissent bénéficier d'aides sociales. « Bien que le dispositif France Travail vise à réinsérer ces personnes qui vivent souvent avec des minimums sociaux, je pense que nos élus doivent mettre en place d'autres stratégies. Ils pourraient, par exemple, envisager d'adapter les articles de la loi du 17 janvier 2002 sur la modernisation sociale. Ainsi, il serait peut-être possible d'augmenter légèrement le montant des ressources accordées aux handicapés, leur permettant ainsi de subvenir à tous leurs besoins essentiels de la vie quotidienne (article 53). Mais je le répète : dans le contexte actuel, je pense qu'il serait une erreur de vouloir absolument les intégrer professionnellement à tout prix, compte tenu des grandes difficultés auxquelles un dys, un autiste ou un épileptique sont confrontés lorsqu'ils travaillent dans un environnement ordinaire ».
« Ils sont inaptes à bosser »
Fière de ses positions validistes, Zoé laisse entendre que les lois de 2002 et du 11 février 2005 offrent un niveau de ressources suffisamment élevé aux personnes qu'elle juge "inaptes à travailler" grâce à l'Allocation Adulte Handicapé (AAH). Cette fille d'ingénieure, élevée dans les beaux quartiers parisiens, estime que nos politiques sociales en France, qu'elle qualifie de "très généreuses", proposent des dispositifs d'aide assez substantiels. "Je l'avoue haut et fort, déclare-t-elle, ce n'est pas la solution miracle. Cependant, compte tenu des prestations de compensation, notamment celles élargies par la loi du 6 mars 2020, associées à certains salaires, je considère qu'une personne en situation de handicap dispose déjà de ressources et d'allocations suffisantes. Je ne vois donc pas ce que nous pouvons faire de plus, étant donné que les cabinets de recrutement ne disposent pas du temps ni des connaissances nécessaires sur le handicap pour apporter leur aide."
Souvent rappelés à l'ordre lors des réunions pour leur tendance à passer de l'abstrait au concret et à utiliser un excès d'exemples, de métaphores ou d'images pour illustrer leurs propos, les salariés neuroatypiques ne suscitent cependant pas l'admiration des étudiantes en Ressources Humaines que nous avons rencontrées. Elles affirment que même après plusieurs années d'expérience, elles ne savent pas comment soutenir ces profils au sein d'une entreprise et estiment qu'il est préférable de les éloigner de l'emploi en recourant à des dispositifs tels que l'Allocation Adulte Handicapé . "Les personnes bénéficiant de l'AAH disposent désormais d'une 'garantie de ressources' correspondant à 80 % du SMIC net. Donc, je ne vois pas ce que nous pourrions faire de plus", souligne-t-elle. Enfin, Zoé en arrive à la conclusion que ce problème d'insertion professionnelle est lié aux politiques inclusives mal adaptées mises en place dans l'enseignement primaire et secondaire. "En affirmant leur droit à la scolarisation grâce à des Projets Personnalisés de Scolarisation (PPS) et des Équipes de Suivi de la Scolarisation (ESS), nous avons tout fait pour intégrer à l'école des enfants qui ne sont pas faits pour cela." Aujourd'hui, la jeune chargée de ressources humaines estime que les entreprises paient le prix de ces politiques inclusives. "Tous les dispositifs qui obligent les entreprises de plus de 20 salariés à accueillir 6 % de personnes handicapées, désormais applicables également au secteur public, sont les conséquences de ces politiques publiques marxisantes inadaptées."
« Je pense que ces personnes ne savent ni qui ils ne sont ni quelle est leur valeur »
S'ils rejettent le modèle commun ou éprouvent des difficultés à s'y intégrer, ces salariés neuroatypiques se replient sur leur propre monde, s'isolent ou adoptent une attitude arrogante, voire cynique, ce qui entraîne des relations tendues et conflictuelles avec leur hiérarchie. "Lorsque nous avons accueilli un informaticien autiste dans mon entreprise", déclare Zoé avec véhémence, "il dépensait davantage d'énergie à critiquer les processus informatiques mis en place par son équipe qu'à construire et créer. Ses critiques étaient nombreuses, mais en tant que simple alternant, il était impuissant à les modifier". Souvent confrontés à divers troubles, ces salariés "retournant leur colère contre eux-mêmes", pour reprendre les mots d'Annah, une camarade de master partageant les idées ultralibérales et validistes de Zoé, sont souvent engagés dans des processus associés à des troubles psychologiques graves. "J'ai récemment discuté de l'insertion de ces profils neurotypiques avec mon frère, addictologue, explique Annah. Il m'a fait remarquer que dans tout métier où ils ne peuvent pas utiliser leurs talents et leur imagination au service de leur travail, ils sont incompétents". Cette amatrice de rock, reconnaissant que les Beatles, Kurt Cobain ou le Velvet Underground n'auraient pas été de grands groupes sans la présence de membres atypiques, admet que ces profils sont ingérables en entreprise. "S'ils ont des talents littéraires ou artistiques, je pense que ces personnes peuvent travailler dans un environnement plus adapté à leur mode de fonctionnement. Cependant, elles doivent être plus attentives dans le choix de leur entreprise, en recherchant une hiérarchie qui aura à la fois le temps et la patience de les écouter, et un environnement global plus favorable à ces profils."
Une directrice choquée par ces propos
Contactée lors de l'enquête, la directrice de l'école a été très touchée par les propos de ses étudiantes. " Elles n'ont vraisemblablement pas assisté ou écouté les cours, clament-elles, dénigrent notre travail, celui des métiers RH et de nombreuses organisations qui oeuvrent ensemble tout au long de l’année pour accompagner dans une activité professionnelle des personnes qui ont un handicap ‘’visible’’ ou ‘’caché’’.
Convaincue que SUP des RH a toujours placé à rang égal et sans discrimination ses apprenants, elle précise que l’école facilite l'accès et l'intégration des personnes en situation de handicap dans le monde l'emploi par des actions concrètes " Oui SUP des RH forme à la question du handicap et collabore notamment très régulièrement avec Aspiejob et la Fondation Asperger Avenir en proposant des webinars aux étudiants". Enfin, la directrice a tenu à saluer le fait que l'année dernière en France, les embauches des personnes en situation de handicap ont progressé de 26% en 1 an et le nombre d’apprentis a bondi de 79%.