Depuis 2004, les musulmans ont rarement été écoutés dans les médias
Le 15 mars 2004, dans un éclair de fermeté, François Fillon, alors ministre de l’Éducation nationale, décide de légiférer sur le port de signes religieux dans les établissements scolaires publics. Cet évènement marque une transition dans le traitement de la question islamique par les journalistes français.
Avant de dépecer les arguments du débat sur les signes religieux à l'école et le "foulard", il est crucial de rappeler que l'option de l'interdiction se basait sur des principes entrant en collision avec ceux habituellement attachés aux grands journaux français. Alors que Libération, Marianne, Le Nouvel Observateur et Charlie-Hebdo se positionnaient pour la prohibition des symboles religieux à l'école, Le Monde, qui ouvrait largement son espace d'expression, penchait pour une non-interdiction. L'Humanité, plus partagée, offrait une mosaïque d'opinions dans ses pages. La société française est également partagée sur la question. Dans une étude nommée Que Veulent Les Français? (Éditions De L’Aube 2020), le sociologue Antoine Biristelle révélait que la communauté musulmane était relativement réfractaire à cette loi. « Seuls 41% des musulmans approuvent la loi de 2004, signifiant que pour la majorité, elle empiète sur leur liberté et qu’ils ne s’alignent pas avec les buts sous-jacents de la loi. », notait-il. Par contraste, à la différence des Français musulmans, la plupart des citoyens de l’hexagone paraissent plus en phase avec ce que Biristelle qualifie de la dimension émancipatrice de la laïcité. « 26 % pensent que son premier rôle est de limiter l’influence des religions (contre 9 % en 2005 et 20 % en 2019). »
Effectivement, à l'instar de la problématique des quartiers populaires, la question de l'Islam est souvent abordée exclusivement sous l'angle des difficultés. En France, la communauté musulmane, envisagée depuis 40 ans comme radicale et déviante, voit sa parole écartée par le réflexe journalistique qui privilégie la préfecture de police plutôt que le sociologue. Ainsi, dans Les Filles voilées parlent (La Fabrique, 2008), Naima, une habitante d'Orly de 19 ans, s'exprimait en des termes similaires : " En France, il est souvent ardu pour certaines femmes de partager leurs expériences dans les médias. Bien que le désir de parler, de témoigner, de se libérer de leurs pensées et sentiments soit palpable, elles sont souvent retenues par une inhibition tenace, difficile à décrire. Pour chaque femme qui acceptait de témoigner, nous avons sollicité une dizaine qui refusait, malgré leur volonté de partager leur histoire. » En réalité, lorsqu'ils traitaient de la loi du 15 Mars 2004, les médias exhibaient systématiquement des images de femmes en niqabs, qui étaient en réalité des exceptions. Pourtant, les faits attestent que les élèves musulmanes ne portaient pas ce genre de voiles à l'école. On voulait faire croire qu’elles étaient des marginales et que, pour les "intégrer", il fallait les dévoiler. Pourtant, nous étions totalement intégrées et nous dévoiler revenait à nous humilier. Une autre témoin des auteurs de l’essai Les Femmes Voilées disait : « En 2004, la pression médiatique semble avoir porté ses fruits. Au moment du rendez-vous, juste avant de franchir la porte du bureau de la directrice, je l'entends en conversation avec un journaliste. Quand elle m'accueille, je comprends qu'elle a changé d'avis. Avant même que je puisse ouvrir la bouche, elle m'explique qu'elle a juste suivi les directives de sa hiérarchie. Elle craignait que d'autres parents ne comprennent pas ma présence, mais elle a finalement appelé sa supérieure et il n'y a aucun problème pour que je participe à la kermesse. Elle s'excuse même de son comportement initial et me donne un document attestant que je peux assister à la kermesse. »
La mort de Nael a montré que le problème subsiste dans les médias
Lorsqu'il a été interrogé par Yunnes Abzouz, Ali, journaliste à France 24 laissait entendre que cette situation touche la majorité des médias et s'explique à la fois par l'insularité sociale des journalistes – qui peinent à s'intéresser à ce qui ne les touche pas directement – et le manque de diversité de la profession, principalement blanche et issue de milieux aisés. « Certains confrères se sentent plus touchés par les dégradations que par la mort d'un jeune de 17 ans tué par la police et construisent, y compris à l'antenne, un discours du “nous contre eux” », relate-t-il. Enfin, la scène que décrit Khedidja Zerouali dans un billet de blog, où sa sœur Asma défend son amie souhaitant porter une robe large au lycée met parfaitement en lumière le mépris que l’institution scolaire exprime contre les élèves musulmanes depuis 2004. « Il y a quelques mois, elle s’est levée contre l’injustice : elle a défendu l’une de ses camarades de classe venue en abaya et exclue de cours pour cela. Avec une autre de leurs copines, arborant une Vierge Marie autour du cou et dénonçant le deux poids deux mesures puisqu’elle n’avait jamais été inquiétée à ce sujet, elles ont toutes les trois atterri dans le bureau de la proviseure. Asma a défendu le droit de sa camarade de classe à venir avec une robe large, arguant que ce n’était pas un signe religieux et que la démarche du professeur était discriminante. »
Des évènements médiatiques stigmatisants aux impacts considérables
Dans un livre paru en 2020, Antoine Biristelle confiait que seul 19 % des français voient dans la laïcité un positionnement des religions sur un pied d’égalité (–13 points par rapport à février 2005). Sur le terrain, les interprétations de la loi de 2004 comme étant hostile à l’islam ou comme « liberticide » est notable chez les jeunes enseignants, souvent plus confronté à des élèves de confession musulmane vivant des les quartiers populaires, du fait de leur manque d’expérience. Antoine Biristelle confiait que ces enseignants sont ceux qui sont le moins favorables à cette loi (86 %), même si leur adhésion reste massive. Pour appuyer son propos, il cite un sondage de 2004, au moment donc du vote de la loi qui, rappelons-le, faisait suite aux conclusions de la commission Stasi, laquelle fut fortement influencée par les témoignages d’enseignants de terrain, montrait une population enseignante beaucoup plus perplexe quant à la nécessité d’une loi. Les professeurs du secondaire public étaient en effet 76 % à se dire favorables contre 91 % en décembre 2020. Depuis, les problèmes soulevés par le port de signes religieux ostentatoires ne se sont pas estompés. Les incidents afférents paraissent également principalement réglés par la conciliation.
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