Des difficultés croissantes liées à l'âge
Dans notre société axée sur la rapidité, l’intelligence artificielle et le numérique, le rapport à la vieillesse devient de plus en plus problématique, transformant l'âge en une justification pour la mise à l'écart. Cette tendance révèle une société dont les critères d'insertion économique et sociale privilégient la jeunesse et la souplesse au détriment de l'expérience et de la séniorité. Il suffit d'examiner les récentes annonces de Matignon, après des négociations satisfaisantes entre les syndicats, pour que ce phénomène se révèle au grand jour. Bien que l'accord présenté le 10 novembre par les syndicats contienne un engagement à réaliser 440 millions d'euros d'économies pour la filière senior, le gouvernement estime que cela n'est pas suffisant. Ce matin, des journalistes du Parisien révélaient qu'un "décret de jonction" sera pris pour prolonger les règles actuelles de l'assurance chômage jusque dans six mois pour résoudre un problème difficile. Les statistiques sur l’emploi des seniors nous éclairent sur la difficulté rencontrée par Olivier Dussopt et Elisabeth Borne lorsqu’ils traitent cette question. Des études du ministère du travail révélaient qu'en 2018, le taux d'emploi pour les hommes décline sévèrement avec l'âge, passant de 85 % pour la tranche d'âge des 50-54 ans à 75,5 % pour les 55-59 ans, puis chutant drastiquement à 30,9 % pour les 60-64 ans. Ainsi, la décision du gouvernement visant à détruire cet accord syndical a été perçue comme une attaque frontale par les partenaires sociaux l’ayant signé. Ils estiment que l'accord était équilibré en termes de dépenses et de recettes, mais l'Élysée avait des attentes spécifiques en ce qui concerne les modifications des conditions d'indemnisation des seniors résultant de la réforme des retraites.
Une réalité moins pépère pour les sans emplois
En France, l'âge est devenu une sentence irrévocable pour de nombreux travailleurs ne trouvant plus d’emploi après 50 ans. Les statistiques dévoilées par L'Insee sont accablantes : dans l’hexagone, 58 % des chômeurs de plus de 50 ans sont désormais des chômeurs de longue durée, contre seulement 42 % des 25 à 49 ans. Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, semble admettre la réalité du poids de l'âge sur les employeurs lorsqu'il déclarait l’an dernier : "Aujourd'hui, il n'y a pas d'incitation pour l'employeur comme pour l'employé à continuer." Cette absence de politique sociale de l'âge se révèle criante lors de la reprise post-Covid-19, où l'attention se porte sur l'insertion des jeunes sans un mot pour les travailleurs plus âgés qui ont été licenciés et peinent à retrouver un emploi. Ces dernières années, les politiques d'assouplissement du licenciement dans des groupes comme l’industriel pharmaceutique Sanofi, notamment l'encadrement des indemnités, fragilisent davantage les seniors de ces grands groupes, dont le licenciement est devenu financièrement moins risqué pour les entreprises qui provisionnent dans les jeunes talents à leur convenance via des dispositifs avantageux comme l’alternance. Les salaires des seniors et les supposés manques d'efficacité sont devenus les justifications apparentes de leur mise au rebut, creusant un écart grandissant entre les générations au sein du monde du travail. En effet,Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, déclarait en octobre 2018 "les séniors ont des arrêts maladie plus fréquents et plus longs. Résultat, on constate une forte hausse du nombre d'indemnités journalières chez les plus de 50 ans (+21,2 %)." Ainsi, la tentation d'une déflation des salaires pour les séniors est si réelle que le Medef a proposé que les entreprises puissent verser un salaire moins élevé aux séniors de plus de 55 ans embauchés, avec la différence compensée par Pôle emploi. Ainsi, l'emploi et le maintien du salaire des séniors jusqu'à la retraite relèveraient désormais d'une politique sociale, mettant en œuvre une indemnisation due à leur âge.
Le dilemme financier de la retraite anticipée
🔴 Assurance-chômage ➡️ "Qu’est-ce qui justifie qu’on ait encore des durées d’indemnisation différentes selon qu’on a plus de 55 ans ou moins de 55 ans ?", lance Bruno Le Maire. “C’est une hypocrisie, une façon de [les] mettre à la retraite de manière anticipée.” #8h30franceinfo pic.twitter.com/ek5i3GHTTk
— franceinfo (@franceinfo) November 23, 2023
Cette approche soulève des questions sur la durée de cotisation et l'âge de la retraite, mettant en lumière la disjonction de valeur entre les salariés seniors, qui n'ont que leur force de travail pour survivre et perdent de la valeur, et les employeurs, qui gagnent en compétences et en valeur à mesure que leur âge avance, et ne devraient pas être pénalisés par le système de "bonus/malus" instauré en 2019, puis supprimé il y a quelques semaines. Un avocat spécialiste en droit social que nous avons interrogé affirme : « Avant le récent report de l'âge légal de la retraite à 64 ans, les seniors devaient s'user plus qu'avant au travail, puisque le coefficient de solidarité va baisser ». Comme l'a signalé il y a quelques semaines le journaliste économique de La Croix, Mathieu Laurent, le « coefficient de solidarité » a été établi en 2019 pour renforcer les réserves de l’Agirc-Arrco, incitant ainsi les salariés à prolonger leur activité. Ainsi, entre 2019 et la mise en application du nouvel accord Agirc-Arrco voté en Octobre, si un senior prend sa retraite huit trimestres après avoir complété ses annuités, un coefficient majorant est appliqué pour une année : 1,1 pour huit trimestres reportés, 1,2 pour douze et 1,3 pour seize, comme mentionné dans l'Accord National Interprofessionnel (ANI) du 17 novembre 2017. L’avocat en droit social que nous avons rencontré insiste sur le fait que ce dispositif de bonus/malus encourage les seniors à toujours s'épuiser davantage physiquement au travail, et demande un éclaircissement du gouvernement sur cette question : « À ce jour, les seniors prenant leur retraite au taux plein sont assujettis à une CSG à taux réduit. Ils subissent un coefficient de solidarité d'environ 0,95 pendant trois ans. Or, ceux qui se sont épuisés au travail paient davantage de CSG, ce qui est assez absurde. » L'expert en droit du travail note en effet que ce coefficient de solidarité n'est pas applicable aux retraités récents exonérés de CSG, à ceux en situation de handicap, ni à ceux partant en retraite avec un taux plein avant l'âge légal.