« On ne peut pas écarter que, dans trente ans, quarante ans, l’Europe formera un OPNI – une sorte d’objet politique non identifié – mais un ensemble qui soit capable d’apporter à chacun de nos pays l’effet de dimension qui lui permet de prospérer à l’intérieur et de tenir son rang à l’extérieur. »
En 1985, Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne, envisageait une Europe qui transcende les modèles traditionnels, offrant une vision renouvelée de coopération et d'intégration entre les États. Néanmoins, dans un manuel intitulé Droit de l’Union européenne, l’historienne Henry Solveig rappelle que le modèle d’union défendu par Jacques Delors a ses limites. "L'Europe d'aujourd'hui est certes différente de celle de 1985, mais elle n'est pas devenue un OPNI au sens strict du terme", indique-il dans ses ouvrages d'introduction au droit européen. "Elle a évolué vers un système constitutionnel unique, certes, mais elle reste ancrée dans la réalité des États-nations." Ces propos mettent en lumière la nature hybride de l'Union européenne, à mi-chemin entre une fédération et une confédération, avec des États comme la Hongrie souhaitant rester plus indépendants qu’auparavant. Viktor Orbàn indiquait récemment: "Sur les sujets de haute importance politique, nous n’avons jamais changé d’avis en fonction d’un soutien financier reçu ou pas." affirmait Orbán le 8 Décembre dans un entretien donné au journal Le Point, une déclaration qui reflète sa posture de défi vis-à-vis de l'Union européenne, notamment dans le contexte du respect de l’État de droit et de l'indépendance judiciaire en Hongrie. En ce qui concerne l'élargissement de l'UE aux Balkans occidentaux, Orbán se montre plus accueillant, soutenant particulièrement l’intégration de la Serbie. Orbán sait que des intérêts économiques et politiques sont en jeu dans les Balkans, notamment avec la construction d’une voie ferrée entre la Hongrie et la Serbie.
L’Europe elle-est devenue un Ovni ?
Henry Solveig ajoute dans son manuel d'introduction: "Depuis le discours de Delors en 1985, l’Union européenne, dotée d’une personnalité juridique et d’un ordre juridique d’un genre nouveau depuis le Traité de Lisbonne, s'est transformée en une entité sui generis. La Cour de justice de l'Union européenne a joué un rôle clé dans cet ordre juridique spécifique, en confirmant la primauté et l’effet direct du droit de l'UE, évoluant ainsi vers une 'charte constitutionnelle d'une communauté de droit". Au fil des décennies, l'UE telle que l’avait pensé Jacques Delors a connu des moments décisifs, notamment la création du marché unique, l'adoption de l'euro avec le traité de Maastricht de 1993 évolue énormément. De plus, elle a aussi été confrontée à des défis majeurs, tels que le rejet du traité établissant une Constitution pour l'Europe en 2005, et, plus récemment, le départ du Royaume-Uni et les désaccords entre les états occidentaux et ceux des balkans sur l’intégration de l’Ukraine au sein de l’union. S'agissant de sa structure juridique, Henry Solveig fait remarquer que "l'Union européenne, tout en restant unique dans sa forme, ne s'est pas transformée en un 'objet politique non identifié' tel que Jacques Delors l'avait envisagé. Elle a plutôt évolué vers une structure plus constitutionnelle." Cette évolution est particulièrement incarnée par le Traité de Lisbonne. Il a marqué un tournant en consolidant les principes fondamentaux du TUE. "Le Traité de Lisbonne a renforcé la dimension constitutionnelle de l'UE, élargissant les compétences de l'Union." indique Solveig, tout en précisant que les accords de Lisbonne ont donné plus de pouvoir au Parlement européen. Enfin, bien loin d'être un "OVNI" au sens littéral, l’Europe qu’avait imaginé Jacques Delors en 1985 est donc devenu une entité politique et juridique sans précédent.
Une longue histoire de compromis
La mise en œuvre du Traité de Lisbonne en décembre 2009 a constitué un jalon fondamental dans la structuration de l'Union européenne, marquant une transition significative de ses institutions et du développement des processus décisionnels entre Strasbourg et Bruxelles. Comme le souligne Henry Solveig, experte en droit de l'Union européenne, "l'évolution de l'Union Européenne, de ses premières étapes en tant que Communauté économique européenne à ce qu'elle est aujourd'hui, représente une série de compromis stratégiques et d'adaptations nécessaires face aux réalités changeantes de l'Europe et du monde." Cette observation résume bien le développement de l'Union, passant d'un accord économique à une entité politiquement et juridiquement complexe. Ainsi, près de 40 ans après le discours de Jacques Delors, l’OPNI se présente avec des contours plus définis que ce que le terme pourrait suggérer. Ni organisation internationale classique, ni fédération, ni confédération, ni super-État, l'UE est un hybride institutionnel et juridique résultant d'un processus de constitutionnalisation en cours, marquant son évolution vers un avenir incertain mais intrigant. Elle a suivi une trajectoire qui, bien qu'atypique, n'est pas totalement étrangère aux systèmes politiques existants. Reste à déterminer si l'Europe a réalisé l'« effet de dimension » espéré par Delors, renforçant les États membres dans certains domaines tout en les affaiblissant dans d'autres. Ce questionnement soulève des considérations importantes sur l'équilibre entre l'intégration européenne et la souveraineté nationale, un sujet qui continuera d'animer les débats politiques et juridiques pour les années à venir.