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Billet de blog 1 novembre 2011

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Expérience d'un curieux à Occupy Wall Street

 Laissez-moi vous raconter une vieille blague des temps communistes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Laissez-moi vous raconter une vieille blague des temps communistes.

Un gars d’Allemagne de l’Est avait été envoyé pour travailler en Sibérie. Il savait que son courrier serait lu par les censeurs. Alors il avait dit à ses amis : établissons un code ; si la lettre que vous recevez de moi est écrite à l’encre bleue, ce que je dis est vrai ; si elle est écrite à l’encre rouge, c’est faux. Après un mois ses amis ont une première lettre. Tout est en bleu. Cette lettre dit : tout est merveilleux ici ; les magasins sont pleins de bonne nourriture ; les cinémas montrent de bons films occidentaux ; les appartements sont grands et luxueux ; la seule chose que vous ne pouvez pas acheter c’est l’encre rouge.

Slavoj Zizek


Après 3 années de silence sur la toile, je reviens avec un blog à nouveau dédié aux pérégrinations. Mais cette fois il s'agit moins du dépaysement à Londres et New York que d'alternatives, de luttes, de rêves et d'utopies.

Alors quoi de plus naturel que de revenir par un billet sur l'activité contestataire -une fois n'est pas coutume- qui place New York sous le feux des projecteurs médiatiques.

Occupy Wall Street: un mouvement horizontal à géométrie variable

A deux blocs de la rue "Wall Street" et au pied de Ground Zero, le mouvement "Occupy Wall Street" qui occupe le parc Zuccotti est à géométrie variable. On trouve des étudiants, des syndiqués, des militants de partis socialistes ou marxistes, des bénévoles, des chômeurs, des SDF...Initié le 17 Septembre 2011, le mouvement a pris une ampleur médiatique importante et a gagné un large soutien suite à l'arrestation de plus de 700 personnes le samedi 1er octobre lors d'une marche sur le pont de Brooklyn. D'importants syndicats américains (notamment UAW ou du secteur de la santé, ou encore le

syndicat des transports new-yorkais) ont rejoint le mouvement dans la semaine précédent le 15 octobre et pas moins de 39 syndicats ont déjà rallié le mouvement à New York.
Les étudiants sont très actifs au sein du mouvement mais on trouve pêle-mêle des personnes de tout âge avec une majorité de 20-40 ans.

Les tracts et imprimés circulent beaucoup, il y a même un journal : le "wall street occupied journal". Les groupes ou collectifs participant au mouvement sont nombreux mais on ne trouve pas nécessairement un "stand" ou un "point d'information" associé à chaque groupe dont les initiatives participent du mouvement. Quelques stands improvisés sont présents de manière ponctuelles comme celui du parti Freedom Socialist le 15 Octobre, ou encore du mouvement copper revolution.... Au final il est assez difficile de distinguer les soutiens, bénévoles, impliqués, des "occupants" à proprement parler et puis

de tous les "curieux" de passage.

Au premier abord, l'occupation peut paraître moins impressionnante que ce que ce que la couverture par les médais laisse paraître. Il n'y a pas plus de 200 personnes qui occupent le parc en permanence, c'est à dire qui y mangent et y dorment. En revanche en comptant le nombre de bénévoles, d'organisations, de collectifs, d'étudiants, de

curieux qui sont présent, on atteint facilement entre 500 et 1000 personnes présentes en permanence. Mais le parc Zuccotti n'est pas immense. C'est un espace public d'environ 4000 m2 (soit pas plus d'un "bloc" new yorkais) appartenant à Brookfiel properties (Diana Taylor, la compagne de M. Bloomberg, maire de New York y siège au conseil d'administration). Cet espace 'mixte' résulte des lois de planification urbaine adoptées dans les années 1960s qui permettent au promoteurs de construire plus haut en contrepartie de la création d'espaces publics leurs appartenant. Le parc est par conséquent ouvert 24h/24h, contrairement aux parcs publics gérés par la mairie de New York, et la police ne peut y intervenir que si les propriétaires privés en font la demande. Le réglement du parc interdit néanmoins explicitement les tentes, ce qui empêche les occupants de camper avec des structures fixes conséquentes, et la police n'est pas loin avec un attirail de surveillance impressionnant:

Le mouvement Wall Street se peopolise-t-il?

Les médias traditionnels ne manque pas de souligner toutes les "stars" qui se sont ralliés ou sont simplement venus au parc Zuccotti et de poser ironiquement la question: est-ce pour "capitaliser" sur le succès des occupants? Metro New York liste les peoples: Kanye West, Susan Sarandon, Penn Badgley, le révérent Jesse Jackson, et d'anticiper sur ceux qui ne devraient pas tarder : Bono, Sean Penn, Alec Baldwin, Stephen Colbert, Brad Pitt, The Dixie Chicks...
Seul Michael Moorre est cité fait figure de référent alternatif. Pas mention de Naomi Klein et de son discours qui a fait la une du "wall street occupied journal" édité par le collectif occupy wall street, ni du discours de Slavoj Zizek, ou de la probable venue de Lech Walesa annoncée sur twitter, qui pourraient donner un sens plus profond et politique au mouvement par l'appartenance et la filiation que ces figures impliquent. En d'autres termes, une frange des média traditionnels focalisent sur l'absence de revendications structurées et passent ainsi à côté de l'essentiel.

Comment fonctionne Occupy Wall Street ?

Ce qui frappe à prime abord en arrivant au parc Zuccoti un samedi (en général, le jour des rassemblement et des marches), c'est le débordement de créativité et de solidarité exprimés par les occupants autant que par les collectifs et "amis" d'occupy wall street et témoignent de solutions frémissantes aux problèmes locaux :
mini-système de filtration des eaux usées de cuisine par phytoépuration alors que le mouvement est accusée par les autorités locales de rendre le parc impropre,
impression d'un premier n° de journal après 19 jours d'occupation alors que les médias ne traduisent qu'approximativement ce qu'est ce mouvement, prêt de costumes à ceux qui veulent pour éviter d'attirer l'attention des médias sur l'habillement au lieu du fond,
"espace artistique" pour les personnes et occupants en manque de matériel pour exprimer leurs idées, ...
C'est peut être ce débordement de créativité qui explique en partie l'attention des médias dont fait l'objet ce mouvement en expansion dans toute l'Amérique du Nord, mais qui explique aussi la difficulté à en synthétiser les messages.
La solidarité s'exprime à plein à travers les soutiens de collectifs politiques (avec pas mal de mouvances communistes, marxistes et zapatistes), des syndicats, collectifs artistiques, mais aussi en termes de soutien légal. C'est notamment grâce à la guilde nationale des avocats que l'ensemble des manifestants ont accès aux informations sur ce qu'il faut faire en cas d'arrestation. Plusieurs membres sont présent lors des marches, manifestations et actions entreprises. Ils diffusent l'information (notamment leurs n° de téléphone) aux participants tout en s'assurant que la loi est respectée afin de ne pas mettre en situation de danger et protéger par la loi les manifestants en cas de soucis.
La solidarité s'exprime aussi de manière tout à fait terre-à-terre à travers les dons de soutien en argent sonnant et trébuchant, (300 000$ au 19 Octobre et qui n'ont vraiment pas à rougir face aux 4,9 M$ donné par JP Morgan-Chase à la New York City Police Foundation le 3 Octobre), la nourriture préparée et donnée par des bénévoles ou commandée à bas prix à une pizzeria qui soutient le mouvement, le matériel de nettoyage du parc... Le niveau de coordination et la réactivité nécessaires pour canaliser toute la solidarité qui s'exprime envers ce mouvement est notamment permis par les nouvelles technologies et les réseaux sociaux tels que twitter. Ainsi on retrouve facilement les besoins des occupants avec le hashtag #needsoftheoccupiers sur twitter ainsi que les possibilités de donner sur le site internet nycga.net/donate. Cela peut paraître dérisoire mais c'est pourtant un des sujets qui préoccupent au premier chef les mouvements d'occupation en formation. Et Occupy Wall Street fait un travail d'avant garde de ce point de vue en démocratisant la "méthodologie" d'occupation, notamment dans les dernières pages de son journal.
Enfin, le mouvement a la faveur de l'opinion publique locale : les sondages réalisés par la Quinnipiac University et publiés dans Metro New York le 18 octobre montrent que 87% des New Yorkais seraient d'accord avec le droit des occupants à occuper le parc dans la mesure où ils obéissent aux lois, et 67% seraient d'accord avec Occupy Wall Street en termes de colère contre les banques autorisées à faire des profits immenses après avoir été renflouées lors de la recession alors que les américains demeurent sous contraintes financières importantes.

Mais l'essentiel du mouvement, et ce qui frappe lorsqu'on assiste aux débats qui y prennent place, c'est l'intelligence collective mise en pratique.
Une vidéo très intéressante qui résume bien l'esprit :

La méthode mise en œuvre pour chaque assemblée générale est rappelée avant chaque assemblée générale:

  • Microphone humain (ou microphone du peuple) : l'amplification de la voix de ceux qui prennent la parole est prise en charge par les participants (en répétant à voix haute);
  • L'expression orale est limitée à environ 2 minutes par prise de parole et si possible en séquences de 3 ou 4 mots à la fois;
  • Les décisions sont prises par consensus (dans le cas de Occupy Wall Street: 90% d'opinions favorables);
  • L'expression des votes se fait par langage des signes (ce qui évite notamment les effets de glorification et de manipulation des foules des applaudissements);
  • Les 4 ou 5 personnes qui organisent l'assemblée générale sont bénévoles et ils tournent
  • Ceux qui n'ont pas l'habitude de parler en public sont incités à prendre la parole pour favoriser l'"empowerment" de chacun et des minorités.
  • Deux à trois ordres du jour sont définis. Pour chacun, un représentant expose l'idée, suit une "séquence de questions" pour préciser l'idée, puis une "séquence des enjeux" pour soulever les risques ou inquiétudes qu'une telle idées soulève, puis une "séquence des points d'informations" si certains points peuvent être précisés par des informations pertinentes non mentionnées.
  • L'assemblée générale est suivi d'une séquence de palabre permettant de discuter de tous les sujets et ne se conformant pas à ces règles de prise de décision.
  • Tout le monde peut participer à la propositions d'idée à l'assemblée générale à travers les groupes de travail. S'il n'existe pas un groupe de travail pertinent correspondant à ta proposition, tu peux en créer un.

Le point de méthodologie le plus réutilisé en dehors de l'assemblée générale est sans doute le "microphone humain". Ce micro n'est pas sans rappeler la fameuse scène des monthy python pour l’oreille distraite qui ne prête pas attention aux réelles prises de décisions ;).
Il n'est donc pas rare d'entendre quelqu'un diffuser une information à voix haute avant de s'assurer un écho de la foule en criant deux ou trois "mic check!" (littéralement "test de micro"). Cette méthode est super utile en pleine manif pour se décider sur quoi faire apres avoir occuper Times Square: "On occupe le carrefour, on occupe un autre square ou on rentre à la maison?!"

Lorsque j'ai assisté à une assemblée générale le 19 octobre, environ 500 personnes se tenaient sous une fine pluie de crachin et discutaient de trois points: le budget pour les impressions réalisée par le groupe de travail , une proposition d'établisement d'un "spokescouncil", une proposition de déclaration d'Occupy Wall Street

-La proposition de budget pour les impressions consistait à chiffrer l'argent nécessaire aux impressions et à sélectionner une imprimerie dont le fonctionnement était cohérent avec les aspirations d'Occupy Wall Street. Ironiquement, c'est l'aspect "finances" qui a bloqué la prise de décision. C'est en effet seulement après un quart d'heure de débat que quelqu'un pose la question "si mes mathématiques sont correctes votre calcul ne donne pas une proposition de 4000$ par semaine mais seulement de 400$, n'est ce pas?". La question a entraîné une petite panique qui s'est rapidement résolue en proposant de revoir la proposition avec le groupe de travail "budget" et de reporter au lendemain la prise de décision finale.

Ce jour là, se réunissaient également les groupes de travail abrités dans le grand hall de la station de métro wall street. Un débat avait lieu sur la question du prix exorbitant des l'éducation supérieure aux Etats Unis et plusieurs groupes de travail débattaient de diverses propositions. L'une d'entre elle apparaît particulièrement intéressante concerne bien le "coeur" du mouvement Occupy. Il s'agit de la proposition de "spokescouncil".
Il s'agit d'un mode fonctionnement utilisé avec succès pendant la révolution espagnole, par les zapatistes ou encore lors des manifestations de Seattle en 1999. Les principes régissant la proposition sont la démocratie directe pour la prise de décision, la transparence, les relations horizontales, la responsabilité, la diversité, l'autonomie, la flexibilité, la participation, la coopération, l'anti opression, le respect mutuel... Le SpokesCouncil ressemble à une roue, et chaque rayon (spokes) constitue un groupe d'individu (cluster) et son porte-parole (spokesperson). Ce "spokescouncil" permet de coordoner les groupes de travail et les caucus (qui sont ici définis comme des groupes

Quelles revendications?!

La première déclaration d'OWS a été ratifiée par l'assemblée générale le 29 septembre. Il s'agit d'un texte qui appelle tous ceux et celles qui sentent que les intérêts du capitalisme financier leur ont fait du tort à rejoindre le mouvement et à faire entendre leur voix. La déclaration énumère ensuite une liste de faits à faire savoir à propos des 1%. Cette première déclaration est accompagnée d'une magnifique représentation visuelle réalisée par le groupe "arts et culture" du mouvement.

Les pancartes témoignent de la diversité des motifs:"we are the 99%", "this is democracy", anti greed, anti war, anti nucléaire, syndicats, minorités...

Lors de l'assemblée générale du 19 octobre, la proposition de déclaration des 99% réalisée par le groupe de travail "we will not be co-opted" n'a pas été accueillie de manière très enthousiaste. Celle-ci s'adressait aux deux partis majoritaires aux Etats Unis: le parti démocrate et le parti républicain. Il s'agissait moins de revendiquer ou de lister des objectifs que d'apostropher le pouvoir pour affirmer ce qu'Occupy Wall Street représente et rejeter toute récupération par le système politico-médiatique.
L'assemblé a demandé de revoir la copie à cause de la destination de la déclaration et à cause du ton du texte. Cela traduit a mon avis les différentes tendances et certaines des revendications latentes du mouvement OWS: une première tendance utilise la démocratie directe pour changer la société sans envisager la coopération avec les structures existantes de pouvoir fondées sur la démocratie représentative, alors qu'une deuxième tendance utilise la démocratie directe sans rejeter une possible utilisation de la démocratie directe pour aboutir aux changements nécessaires.
Ce même jour, le groupe de travail "vision and goals" ("vision et objectifs") a fait une déclaration pour rappeler le travail réalisé dans un contexte où les média appellent le mouvement à clarifier ses revendications. En travaillant de manière croisée avec le groupe de travail "demands and tactics" ("revendication et tactiques"), le groupe "vision and goals" travaille sur une vision englobante et à long terme d'un idéal pour nos futurs. Cette déclaration était aussi l'occasion d'inviter plus de gens à se joindre au groupe pour enrichir le document de travail en circulation depuis un mois et ayant impliqué environ 200 contributeurs.
Enfin, il existe un document de travail d'une nouvelle déclaration (non validé par l'assemblée générale lors de la rédaction de cet article au 31 octobre 2011) proposant la rédaction d'un "petition of grievances" ("cahier de doléance") qui serait validé le 4 juillet 2012 lors d'une assemblée générale nationale. Ce cahier de doléance serait ensuite envoyé à chaque membre du congrés américain avant les élections présidentielles de 2012. Les suggestions concernent de nombreux thèmes et politiques publiques: des reformes limitant la collusion des intérêts publics et privés (p. ex le financement privé des campagnes politiques), la sécurité sociale, l'environnement, la dette publique, l'emploi, les prêts aux étudiants, la guerre en Afghanistan, santé...

Quelques liens:

Vidéos:

Parce que toutes les générations participent de ce mouvement (Occupy Times Square le 15/10/11) : http://www.youtube.com/watch?v=mWF8WVVQaZY

1ere déclaration de OWS en vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=N8o3peQq79Q

Livrestream de l'occupation : http://www.livestream.com/globalrevolution

Articles

De l'antrhopologue David Graeber qui a participé à lancer le mouvement : http://mouvements.info/A-propos-du-respect-des-regles-du.html

La couverture par Al Jazeera de l'expansion du mouvement fin septembre (suite à l'arrestation sur le pont de Brooklyn) : http://stream.aljazeera.com/story/us-anti-corporate-movement-expands

Des statistiques très claires sur les phénomènes économiques contre lesquels Occupy Wall Street s'indigne: http://links.visibli.com/share/4oP73B

La donnation de JPMorgan Chase à la NYPD: http://ology.com/politics/jpmorgan-chase-donates-46-million-nypd-during-ows-protests

Les arrestations et la couverture médiatique, notamment le New York Times qui (s'auto?)censure :

http://blogs.villagevoice.com/runninscared/2011/10/why_did_the_new_1.php

http://cityroom.blogs.nytimes.com/2011/09/19/wall-street-protests-continue-with-at-least-5-arrested/

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