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Billet de blog 17 avril 2012

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Utopie et logements: les castors de pessac

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dimanche dernier, je suis allé voir le film documentaire « L’Utopie de Pessac » de Jean Marie Bertineau. Pas vraiment utopique puisque c’est l’histoire d’un quartier de Pessac bien réel, à Pessac, qui existe toujours aujourd'hui.

Ce quartier, c’est la cité Castor de Pessac, la première en France et qui donnera l’exemple dans beaucoup d’autres villes. Son histoire c’est celle de 150 jeunes ouvriers et leurs familles qui ont construit 150 maisons individuelles et leurs équipements collectifs (une bibliothèque, une salle de réunion, un atelier, un château d’eau) en trois ans entre 1948 et 1951 en période de pénurie de logements. L’intérêt particulier pour ce quartier, et plus généralement pour les « cités Castors » nous fait aujourd’hui parler d’utopie tant ce qui a été possible paraît aujourd’hui difficile à (re)faire. Mais après visionnage de ce très beau documentaire, les conditions nécessaires et suffisantes pour bâtir un quartier comme celui-là apparaissent assez accessible :

Leur histoire est une belle histoire de lutte pour accéder à un logement tout confort à une époque où tout le monde en manque : les ouvriers n’avaient pas les moyens d’obtenir un prêt pour financer leurs logements  les banques demandaient d’avancer 25% du capital (cad du terrain et du logement).

Le collectif d’ouvriers à la tête du mouvement rassemblait les compétences pour mette en œuvre un tel projet de construction : un maçon, un électricien, un comptable, un dessinateur industriel, un spécialiste des réseaux d’eau, … c’est à dire toutes les compétences nécessaires pour s’autogérer et décider de la façon de traiter les problèmes rencontrés.

La forme de cette réunion a aussi toute son importance : le Comité Ouvrier du Logement (COL) fondé en novembre 1948 avait le statut de coopérative (statut-type d’une société coopérative d¹H.L.M). Le contenu de l’article 1 de la loi du 10 septembre 1947 (loi sur la coopération) convenait parfaitement aux initiateurs du projet :
« Les coopératives sont des sociétés dont l’objet essentiel est de réduire, au bénéfice de leurs membres, et par l’effort commun de ceux-ci le prix de revient et, le cas échéant, le prix de vente de certains produits ou services, en assumant les fonctions des entrepreneurs ou intermédiaires dont la rémunération grèverait le prix de revient. »
Ce type de société a un capital, mais un capital variable. Il fut donc constitué par des actions que chaque membre devait verser un quart à la souscription. Au début cela correspondait au prix du terrain qui devait être payé dans un delais d’un an. Ce sont ces statuts qui ont permis au collectif des 150 ouvriers et leurs familles d’obtenir un prêt garanti sur leur « apport travail ». C’est à dire que pendant trois ans, les 150 ont consacré 24h de travail par mois (soit tous leurs dimanches) et deux semaines de congés par an à bâtir les 150 maisons et leurs équipements. Une organisation collective a été mise en place pour que chacun participe bien à hauteur des engagements.

Techniquement, les maisons « autoconstruites » de la cité Castor de Pessac sont « horizontales ». Compte tenu de la surface disponible, il n’était pas nécessaire d’élever les maisons, ce qui aurait induit plus de risques (échafaudages…risques de chantier) et aurait nécessité des compétences plus pointues en construction. Les matériaux utilisés sont aussi importants pour obtenir un logement pas trop cher : ce sont ainsi des maisons avec blocs sans mortier, on utilise du placoplâtre et le linoléum est souvent utilisés.

Enfin, la dimension collective du projet est très forte et c’est aussi ce qui fait le mythe des cités Castors. Si le travail manuel du chantier a soudé le collectif, un certains fond politique et religieux de gauche préexistait au projet de cité Castor. Un jeune prêtre ouvrier bordelais (Etienne Damoran) a ainsi rassemblé les Jeunesses Ouvrières Chrétienne de l’époque pour porter le projet. Le chantier était aussi appuyé par de nombreux « rouges » à tel point que la municipalité de l’époque ne voulait pas alimenter le futur quartier en eau courante. Qu’à cela ne tienne, les ouvriers ont construit un château d’eau autogéré, encore en fonctionnement aujourd’hui.

Alors est-ce qu’un tel projet paraît possible aujourd’hui ?

Sur le plan technique, pas de problèmes : le bloc sans mortier existe toujours et les nombreux habitats écologiques de type construction paille, construction terre, construction bois, montrent qu’on peut joyeusement autoconstruire encore aujourd’hui en prenant quelques précautions.

Le premier barrage est peut être sociétal dans la mesure où il est plus difficile de rassembler les savoir faire manuels pour bâtir collectivement. Les « ouvriers » sont aujourd’hui plus facilement des ouvriers du tertiaire, dont l’outil de travail quotidien est l’ordinateur. Cela n’empêche évidemment pas de réfléchir collectivement à l’organisation de l’habitat ni de faire face collectivement aux difficultés rencontrées pendant un chantier de ce type…

Le deuxième barrage est législatif : la loi Chalandon de 1971 a supprimé les possibilités induites par la loi de 1947 sur la coopération : le statut de coopérative d’habitant n’est plus reconnu. Les habitants de la cité Castor de Pessac sont ainsi devenu des propriétaires un peu comme les autres après 1971. Un projet de loi a été porté par Noël Mamère en 2009 mais l’assemblée nationale ne l’a pas voté. Néanmoins, des expériences de coopératives d’habitat se développent et montrent que des pratiques d’habitat collectif sont encore possibles et vivantes (par exemple autour d’Habicoop à Lyon et  Villeurbanne).

A quand un mouvement « Occupy » ou « Indignés » réquisitionnant des friches et des terrains pour construire des logements avec du matériau bon marché et de quelques outils ?

Quelques liens pour en savoir plus:

 
L'utopie de Pessac - Documentaire - Bande annonce par france3aquitaine

http://www.webeustache.com/fiche-de-film.php?id=2968

http://www.sudouest.fr/2012/01/03/cinema-utopie-fellinienne-pour-le-documentaire-de-jean-marie-bertineau-595560-4749.php

http://www.cites-castors.com/?page_id=108

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