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Billet de blog 18 novembre 2012

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La Libre Ville de Christiania

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 "Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait".

Mark Twain

Illustration 1
Carte de Christiania © 

Le quartier de Christiania a été “fondée” en septembre 1971. Un peu au même moment où en France, les paysans du Larzac se bâtaient pour repousser l’extension du camp militaire du plateau à proximité de Millau, l’armée se retirait d’un terrain de 34 ha à Copenhague dans la partie Est de la ville. Aussitôt, près de 4000 personnes occupent le terrain. Les conditions de vie y sont précaires (50 toilettes pour 4000 habitants, pas d’électricité, pas de réseau d’assainissement….) mais cela n’empêche pas le développement de cette communauté.

Le terrain est situé entre le port de Christianshavn, quartier populaire dans les années 1970 devenu chic aujourd’hui, et le quartier d’Amarebro resté relativement populaire.

Aujourd’hui, les Christianites ont fait des enfants et se sont installés plus confortablement : la population de Christiania représente environ 1000 habitants dont 200 enfants, un pont a été construit dans les années 80. Le budget de Christiania est d’environ 25 MKr / an en 2012 (environ 3,5 million d’euros) et Christiania fournit l’équivalent de services municipaux à ses habitants/citoyens (ramassage des ordures, assainissement, réseau électrique, poste, mais aussi centre médical, bureau d’aide sociale, galerie d’art, garderies et jardins d’enfants !). Ce budget est alimenté par une contribution mensuelle des entreprises et des habitants de Christiania de 1900 Kr (environ 270 euros quel que soit la taille ou le confort de l’habitation). A noter que la communauté paye au Gouvernement Danois ses impôts (TVA pour les entreprises et taxe d’habitation pour les habitants notamment).

Visite de Vadestedet :

Vadestedet est une maison occupée par 6 personnes dans la partie calme à proximité du lac au Nord de Christiania. On a rendu visite à ce collectif 2 jours après la fête célébrant leur 5ème anniversaire et la mise en place d’une yourte au bout de la jetée ainsi que d’un assainissement par phytoépuration.

Illustration 2
Vadestedet © 

Le collectif se définit comme anarchiste et s’est mis en place en 2007 de manière apparemment informelle et « organique » lorsque l’opportunité s’est présentée de retaper une ruine de Christiania. La plupart des membres du collectif sont jeunes, ce qui insuffle une dynamique pas toujours présente dans l’ensemble de Christiania…en effet les places sont rares dans le quartier et la demande importante. Une ancienne habitante du quartier parle à demi-mot de promotion canapé pour pouvoir y vivre. Les listes d’attentes sont longues et la guide Christianite qui organise les visites parle d’un renouvellement qui dépend des décès. Le mode de vie des habitants est beaucoup plus urbain que dans des communautés telles que les éco-villages. Les habitants de Vadestedet ont ainsi des relations avec les autres Christianites par leurs emplois au sein de restaurant du quartier et par l’intermédiaire du processus de décision par consensus, mais il n’y a pas de « repas en commun » organisé de manière formelle et les relations avec le voisinage sont faibles.

Illustration 3
Belle Maison de Christiania © 

Vous l'aurez compris, une des particularités de Christiania est sa gestion immobilière. Ici, pas de droit de propriété, pas de vente, pas de location, seulement un droit d’usage géré par la collectivité ! Si un habitant décide de déménager en dehors de Christiania, il laisse sa maison ou son appartement libre pour quelqu’un d’autres mais ne tirera aucun profit des travaux, améliorations, etc qu’il aura réalisé. Pour habiter à Christiania, cela se passe par cooptation avec un « test » à passer à l’assemblée de quartier.

Cela ne va pas sans poser de problèmes et on pourrait presque parler de « crise du logement » pour les habitants de Christiania et leurs enfants ; car les listes d’attente sont longues, et depuis les 1990, le gouvernement interdit la construction de nouveaux bâtiments (les habitants pouvaient auparavant construire des maisons comme bon leur semblait, en les améliorant au fur et à mesure de leurs besoins…).

L’autre particularité c’est la prise de décision par consensus et l’incitation générale à la créativité. Pas de pubs, pas un coin de murs sans graf…une prise de décision par quartier libre de s’organiser comme il l’entend. Certains sont très structurés avec réunions mensuelles et ordres du jour, ; d’autres privilégient l’autonomie individuelle de leurs habitants et ne se réunissent qu’une fois par an. En cas de problème insoluble, la prise de décision monte au niveau supérieur, pour atteindre au plus haut l’assemblée générale convoquée en cas de besoin et invitant l’ensemble des habitants. Malheuresement je n’ai pas pu assister à de réunions de prises de décisions…

Christiania est le deuxième site touristique le plus visité de Copenhague (1 million de visiteurs par an) après le parc d’attraction Tivoli, et il est particulièrement fréquenté dans « Pusher street » où la vente de cannabis est relativement tolérée, ce qui ne va pas sans créer de controverses parmis ses habitants. La question de la drogue est récurrente dans les articles et débats autour de Christiania. La position aujourd’hui est l’interdiction des drogues dures, la prise en charge des addicts dans la maison de santé de la communauté, et une tolérance à la vente de cannabis dans Pusher Street mais pas par des habitants de Christiania.  

Certains parlent ainsi d’une situation pas si utopique, où l’économie capitaliste monopolistique et corporatiste est de plus en plus présente….Mais il ne faut pas penser Christiania comme un système fermé autharcique : environ un tiers des employés à Christiania habitent en dehors du quartier et environ un quart des citoyens habitants à Christiania travaillent en dehors du quartier. Economiquement, le quartier s’en sort bien. La vente de cannabis n’est en principe pas une source de revenu dans la mesure où les vendeurs ne sont pas des citoyens de Christiania. Les activités sont nombreuses parmi les bâtiments occupés : un cinéma, des commerces de proximité, un théâtre, plusieurs bars, trois restaurants (dont un avec deux étoiles michelin), une salle de concert, une salle polyvalente, une immense rampe de skate indoors, un musée, des magasins de fringues, de poêles, de bricolage, de décoration (recyclage), de vélo… Christiania est même à l’origine d’une petite industrie de vélos (les Christianbikes) triporteurs avec une caisse à l’avant permettant le transport de personne ou de marchandises

Néanmoins, le coup le plus important porté à cette communauté est peut être la décision du 1er Juillet 2012. Suite aux pressions du gouvernement depuis les années 2000 pour « normaliser» le quartier, la situation évolue. Apres une longue bataille pour éviter un plan d’éviction de la population et de développement de grands ensembles, un compromis a été trouvé : un fond commun est mis en place pour acheter le terrain à l’Etat pour un montant de 72 MKr (soit environ 10 million d’€). Environ 50 MKr ont déjà été payées et un délai d’un an a été obtenu pour payer les 22 MKr restant. Tout un chacun pouvant acheter des « parts sociales » pour participer au remboursement de Christiania. Cette solution signifie un changement majeur pour les citoyens de Christiania : ceux-ci deviennent indirectement propriétaires et doivent ainsi payer environ 2500 Kr par m² de terrain acquis. La plupart ont pour cela recourt à des prêts... Christinia a donc montré une fois de plus que ses discussions et ses solutions créatives l'ont emporté face aux plans du gouvernement, mais à quel prix? Le futur du fonctionnement de la coopérative foncière de cette communauté sera donc crucial pour le caractère librertaire de la communauté.

A suivre!

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