D’un côté, il y a un homme qui pose un regard sur son adolescence à Buenos Aires, dans les années soixante-dix, à l’époque où il renia l’héritage social et culturel laissé par son père pour suivre les pas de son idole, Borges. De l’autre se trouve Goya, un loser cinquantenaire qui veut vider son compte en banque et s’introduire au Prado, de nuit, pour contempler avec ses fils, sous alcool et sous coke, les toiles du maître. Ces deux personnages, créés par Rodrigo Garcia, sont réunis dans un même espace scénique par Arnaud Troalic pour un spectacle provocateur et explosif.
Les personnages sont tout d’abord séparés par la scénographie et la lumière. L’un trône dans sa voiture, l’autre dans son clic-clac, le mur derrière lui est recouvert de matelas, semblant d’hôpital psychiatrique. Tous les deux sur un carré d’herbe. Borges versus Goya, exactement. D’un côté comme de l’autre, les comédiens s’amusent avec les langues, les mots, et se livrent à d’étonnantes prouesses acrobatiques.
Les deux pièces ne sont pas jouées successivement, mais présentées simultanément, ou plutôt alternativement, grâce à un « tuilage » de leurs textes. Ceci pour échapper à toute lecture réaliste ou biographique, qui tendrait à réduire Borges à un prélude de Goya, autrement dit l’adolescence argentine de Rodrigo Garcia (Borges étant sa pièce la plus autobiographique) précédant la maturité du héros de Goya, avec le risque de voir ce dernier interprété restrictivement comme le double adulte de l’auteur. L’emboîtement des deux pièces permet de laisser ouvertes toutes les pistes d’interprétation pour le spectateur : s’agit-il de deux hommes ou d’un seul ? Qui parle à travers leur prise deparole ? Dans quel temps et en quel lieu sommes-nous ?
Goya est interprété en espagnol et surtitré en français ; Borges est joué en français, avec le traitement en surtitrage espagnol de quelques phrases clés du texte. Les comédiens qui déclenchent eux-mêmes les surtitres restent maîtres du jeu et impulsent leur propre rythme au spectacle. Pour Arnaud Troalic, « cette liberté d’intervention implique des contraintes techniques particulières, mais il est intéressant de transformer ces handicaps en appuis de jeu, comme le suggère le texte de Borges ». L’un intervient ainsi sur l’autre à tout moment dans cet espace divisé en deux univers, s’interpénétrant ou se perturbant. Tout vient d’ailleurs du plateau dans ce spectacle où lumière, son et image sont gérées en direct par les acteurs,suivant l’énergie de leurs personnages devenus maîtres de leur espace.
Pour Arnaud Troalic, « ils ne sont rien mais ils ont besoin de parler. Pour eux, c’est déjà énorme. Quand l’un se rend compte que la parole de l’autre s’atténue, il enchaîne. ». Passer d’une parole individuelle à une parole chorale, c’est aussi un moyen de rendre sensible ce statut de représentant des « déçus de l’an 2000 » que les créateurs ont projeté dans les personnages. « Nous sommes en effet d’anciens enfants à qui on avait promis que le premier janvier 2000 inaugurerait un monde de science et de conscience : la déception d’aujourd’hui est à la hauteur de l’espoir d’hier », explique encore Arnaud Troalic.
Il s’agit enfin pour les acteurs de penser « nous » à chaque fois que leur personnage dira « je », afin de ne pas transformer ces deux volcans en donneurs de leçons (dé)moralisantes. Le propos n’est pas de culpabiliser le spectateur mais de lui insuffler cette énergie vitale qui permet aux losers de Rodrigo Garcia de sortir de leur torpeur pour réaliser cet authentique exploit : parler en leur propre nom.
Découvrez des extraits du spectacle sur le site théâtre-contemporain.tvBorges vs Goya
Rodrigo Garcia
Durée du spectacle : 1h05
Le texte de Goya est en espagnol surtitré français.
DU 18 MARS AU 9 AVRIL
ven 18 mars 21h, sam 19 mars 19h30, dim 20 mars 15h
mar 22 mars 19h30, mer 23 mars 21h, jeu 24 mars 19h30, ven 25 mars 21h, sam 26 mars 19h30, dim 27 mars 15h
mar 29 mars 21h, mer 30 mars 19h30, jeu 31 mars 21h, ven 1er avril 19h30, sam 2 avril 21h, dim 3 avril 15h
mar 5 avril 19h30, mer 6 avril 21h, jeu 7 avril 19h30, ven 8 avril 21h, sam 9 avril 19h30
Rencontre à l’issue de la représentation avec l’équipe artistique le samedi 26 mars.
Mise en scène : Arnaud Troalic
Avec : Julien Flament et Arnaud Troalic
Création 2007 / Compagnie Akté
Théâtre de l’Est parisien
159 avenue Gambetta Paris 20ème
Réservations : 01 43 64 80 80
Mº Saint-Fargeau, Pelleport, Gambetta, Porte des Lilas.