Quand le béton se fait spirituel : la mode ésotérique s'invite sur nos chantiers
Source: Une arnaque ésotérique soutenue par l'État 😑... (Enquête)
Introduction
L'ésotérisme, autrefois confiné aux marges de la société, s'invite désormais sur nos chantiers de construction. Ce phénomène transforme le béton, symbole de rationalité et de modernité, en un prétendu vecteur de bien-être spirituel. Il est surprenant de constater que ces courants ésotériques trouvent un écho dans un domaine aussi pragmatique que celui du bâtiment. Pourtant, l'entreprise suisse Pneumatite a su convaincre que le béton pouvait être bien plus qu'un simple matériau de construction. Son béton "biodynamique" promet d'améliorer la qualité de vie des habitants en harmonisant des champs dits éthériques. Mais ces affirmations résistent-elles à l'examen critique ? Utiliser un béton prétendument « vivant », capable d'influencer des énergies invisibles, soulève de nombreuses questions quant à la validité de ces promesses pseudo-scientifiques, ainsi qu'à l'utilisation de fonds publics pour financer de tels projets.
Le béton biodynamique : un élixir pseudo-scientifique
Comme le décrit Pneumatite : « Beaucoup de personnes ressentent des effets perturbateurs émanant du béton industriel. Ceux-ci se manifestent sous forme de léger malaise sous-jacent, d'irritabilité, de sensations de froid intérieur, de douleurs articulaires, d'épuisement, et peuvent aller jusqu'à des troubles organiques. Le béton pneumatisé renoue avec les processus de la vie, comme lorsque le sang circule à nouveau dans un membre engourdi. »
Pneumatite a choisi d'appliquer les théories ésotériques de Rudolf Steiner, créateur de l'anthroposophie, à l'industrie du bâtiment. Steiner, qui voyait le monde à travers le prisme de forces invisibles et d'énergies astrales, est à l'origine de pratiques comme l'agriculture biodynamique, qui prétend que les cycles lunaires influencent la croissance des plantes. Fort de cette vision, Pneumatite propose un adjuvant à ajouter au béton, baptisé « Pneumatite », qui transformerait le béton classique en un matériau vivant, capable d'équilibrer les énergies éthériques.
La composition de cet adjuvant est pour le moins surprenante. On y retrouve des substances telles que du sulfate de cuivre, des os d'oiseaux (précisément le fémur droit d'un geai des chênes), des écailles d'ailes de papillons et des morceaux de coquilles du Nautilus pompilius. Le processus de fabrication inclut des étapes particulièrement étonnantes, telles que la dilution homéopathique du mélange tout en lisant des passages de l'évangile de Saint Jean ou en diffusant de la musique de Jean-Sébastien Bach. Ces procédés sont censés « revitaliser » le béton, en lui conférant des propriétés énergétiques capables de favoriser le bien-être des occupants des bâtiments construits avec ce matériau. Cependant, aucune preuve scientifique sérieuse ne vient appuyer ces affirmations extraordinaires.
Pour beaucoup, la proposition de Pneumatite relève du charlatanisme. En effet, les ingrédients exotiques et les pratiques rituelles entourant la fabrication de ce béton évoquent davantage une performance artistique qu'un véritable processus industriel. Pourtant, ces méthodes trouvent un certain écho auprès de personnes prêtes à investir dans l'espoir d'améliorer leur qualité de vie par des moyens spirituels. Ce phénomène est révélateur d'une tendance plus large, où l'ésotérisme s'infiltre dans des sphères insoupçonnées, y compris celles de la construction.
Des chantiers conquis par l'ésotérisme
Les éoliennes construites avec le béton biodynamique se trouvent principalement en France, notamment à Chenu en Sarthe, à Voulpe, ainsi qu'à Bourbriac et Chenier, avec une concentration notable en Bretagne et en Alsace. Ces régions ont vu l'utilisation de ce béton pour des projets variés, dont des éoliennes, des bâtiments agricoles, et même des infrastructures publiques.
L'entreprise suisse Pneumatite affirme que son béton « apporte au béton une vitalité subtile » et que le béton « est à nouveau en harmonie avec les forces naturelles. Il stimule les processus physiologiques humains, mais également les fonctions psychiques. » Ces déclarations sont illustratives des prétentions ésotériques mises en avant par Pneumatite, qui assure proposer une solution innovante pour les constructions.
Malgré son caractère pour le moins déroutant, le béton biodynamique de Pneumatite a trouvé des adeptes, notamment en Suisse, en Allemagne et en France. De nombreux projets de construction, allant de maisons individuelles à des écoles et des éoliennes, ont choisi d'utiliser cet adjuvant dans leur béton. On retrouve par exemple des bâtiments agricoles, des salles de séminaire Feng Shui, ou encore des extensions de collèges dont les fondations sont imprégnées de ce béton « à la vitalité subtile ». Par exemple, le projet de construction d'un parc éolien à Bourbriac a utilisé 472 m³ de béton biodynamique, représentant un investissement de près de 15 000 euros pour l'adjuvant Pneumatite.
Cette prolifération étonne, d'autant que certains de ces projets sont soutenus par des subventions publiques. Par exemple, le parc éolien de Chenu, en Sarthe, a investi entre 20 000 et 30 000 euros dans l'achat de ce liquide bleu supposé harmoniser le champ astral des structures. Un investissement qui peut sembler absurde à la lumière des bases pseudo-scientifiques de ce produit. En effet, le béton, un matériau emblématique de la construction moderne, est ici détourné pour servir de vecteur à des croyances ésotériques, sans aucune validation scientifique.
L'adoption de ces pratiques est souvent motivée par une volonté de répondre à une demande croissante de bien-être et d'harmonie, même dans les bâtiments. Certaines personnes pensent que l'énergie d'un lieu peut influencer leur santé physique et mentale, et sont prêtes à dépenser des sommes importantes pour que leur environnement soit « purifié » ou « harmonisé ». L'aspect commercial de cette tendance est indéniable, avec des entreprises qui profitent de cette quête de bien-être pour vendre des produits aux propriétés invérifiables.
La géobiologie imposée sur les chantiers
Durant la fabrication de l'adjuvant Pneumatite, des étapes telles que « la lecture à haute voix de l'évangile de Saint Jean » sont intégrées dans le processus. « Tel fut, à Cana de Galilée, le commencement des signes de Jésus », lit-on pendant que les scientifiques manipulent des ingrédients comme des morceaux de coquilles ou des os d'oiseaux. Ce mélange de rituels spirituels et d'éléments aléatoires montre à quel point l'ésotérisme s'invite jusque dans les pratiques de production.
Ce phénomène ne se limite pas aux produits Pneumatite. Dans certaines régions de France, la préfecture impose la consultation de géobiologues, ces experts de la « science » des énergies de la Terre, pour vérifier l'emplacement des constructions. Ces géobiologues, formés à des pratiques ésotériques telles que la détection de « cheminées cosmo-telluriques » à l'aide d'un pendule, sont ainsi appelés à intervenir sur des chantiers d'éoliennes ou de bâtiments publics. Cette obligation surprend, alors que la science semble écartée au profit de pratiques basées sur des croyances personnelles.
La géobiologie est présentée par ses partisans comme une discipline visant à étudier les influences de l'environnement sur le vivant. Les géobiologues prétendent pouvoir détecter des réseaux d'énergie souterraine qui affecteraient la santé des êtres humains. Pour ce faire, ils utilisent des instruments tels que des baguettes de sourcier ou des pendules, des outils dont l'efficacité n'a jamais été prouvée. Pourtant, dans certaines régions, l'intervention d'un géobiologue est devenue un passage obligé pour les projets de construction, avec l'aval des autorités locales.
Cette situation pose des questions importantes sur la place accordée à des pratiques non scientifiques dans des projets financés en partie par des fonds publics. Pourquoi des décisions relatives à l'aménagement du territoire, qui devraient être basées sur des analyses rationnelles et des preuves scientifiques, sont-elles parfois influencées par des considérations ésotériques ? La multiplication de ces interventions de géobiologues démontre une certaine perméabilité de l'État à des pratiques relevant plus de la croyance que de la raison.
L'influence de l'État à travers les préfectures
L'entreprise Pneumatite précise également que leur produit est élaboré avec un niveau de dilution homéopathique de D7, soit une goutte de mélange diluée dans 10 000 litres d'eau. Cette dilution extrême est censée conférer des propriétés « subtiles » au béton, en accord avec les forces spirituelles et supraphysiques. « Pneumatite apporte au béton une vitalité subtile », affirme l'entreprise. Cette vitalité est censée « harmoniser les humains sur le plan physique comme sur le plan astral », une promesse qui s'étend bien au-delà de la simple construction.
L'implication de l'État dans cette tendance ésotérique se fait de plus en plus sentir, notamment par le biais des préfectures qui imposent la consultation de géobiologues pour certains projets de construction. Dans plusieurs régions, les préfets exigent que les entreprises de construction intègrent des études géobiologiques pour obtenir les permis de construire. Ces études, réalisées par des géobiologues, sont supposées évaluer les impacts des constructions sur les « énergies subtiles » du site, c'est-à-dire des forces invisibles que certains pensent influencer la santé et le bien-être. Ces énergies sont controversées car elles ne reposent sur aucune base scientifique vérifiable, et leur existence même est rejetée par la communauté scientifique. Ainsi, des décisions cruciales concernant l'emplacement d'éoliennes ou de bâtiments sont parfois influencées par des analyses basées sur des concepts ésotériques, tels que les « perturbations telluriques » ou les « champs éthériques ». Cette situation, imposée par des autorités publiques, interroge sur la place grandissante accordée à des pratiques non scientifiques dans des projets financés en partie par des fonds publics.
La légitimation de la géobiologie par les préfectures soulève également des questions éthiques. Les fonds publics doivent-ils être utilisés pour financer des pratiques qui n'ont aucune base scientifique prouvée ? Les contribuables sont en droit de s'interroger sur la pertinence de ces dépenses, qui semblent aller à l'encontre du principe de rationalité qui devrait guider l'action publique. L'implication des autorités locales dans la promotion de ces pratiques ésotériques risque de créer une confusion entre ce qui relève de la science et ce qui appartient au domaine des croyances personnelles.
Le coût de l’irrationalité
Au-delà du côté amusant des pratiques d'ésotérisme appliquées au béton, cette tendance pose la question du coût et de la légitimité des fonds publics engagés. En effet, les sommes investies dans ces adjuvants prétentieux et pseudo-scientifiques sont substantielles, et ces pratiques tendent à se multiplier, portées par une demande croissante de « bien-être », même là où cela semble incongru.
La France, comme beaucoup d'autres pays, semble traverser une époque où les frontières entre science et croyances deviennent floues. Il est peut-être temps de rappeler la nécessité de se fonder sur des preuves solides et des méthodes rigoureuses, surtout lorsqu'il s'agit de décisions ayant un impact sur l’environnement et la sécurité des citoyens. L'irrationalité a un coût, et ce coût est supporté par l'ensemble de la société. Lorsque des fonds publics sont utilisés pour financer des pratiques ésotériques, ce sont les contribuables qui en subissent les conséquences. Le risque est de voir se généraliser des décisions prises sur des bases non rationnelles, au détriment de l'intérêt collectif.
Il est crucial de promouvoir une culture de la preuve et de l'esprit critique, particulièrement dans des domaines comme la construction, où la sécurité des personnes est en jeu. Les pratiques ésotériques ne doivent pas être érigées en normes, surtout lorsqu'elles sont imposées par des autorités publiques. La recherche du bien-être est légitime, mais elle doit s'appuyer sur des solutions éprouvées et validées scientifiquement, et non sur des croyances infondées.
Conclusion
Comme le souligne Pneumatite : « Le béton pneumatisé est à nouveau en harmonie avec les forces naturelles. Il stimule les processus physiologiques humains, mais également les fonctions psychiques. » Ces affirmations montrent clairement l'ampleur des prétentions de l'entreprise et l'importance d'une vigilance accrue face à de telles initiatives.
L'essor de pratiques ésotériques appliquées à des matériaux aussi pragmatiques que le béton devrait nous alerter. Si l'idée de béton harmonisant des énergies subtiles peut prêter à sourire, les implications financières et sociétales sont, elles, bien réelles. Il est crucial de s'interroger sur la place que nous voulons accorder à ces pratiques dans nos politiques publiques et sur l'usage des fonds communs. Pour protéger l'intégrité scientifique et la sécurité des citoyens, il est impératif de promouvoir une approche fondée sur des preuves et d'éviter de céder à des modes qui n'ont pas leur place dans le domaine de la construction. Engageons-nous pour une construction responsable, où la science et la rationalité priment sur les croyances infondées.
Il est temps pour les décideurs publics de faire un choix clair en faveur de la rigueur scientifique. Les pratiques ésotériques, aussi séduisantes qu'elles puissent paraître, ne doivent pas prendre le pas sur la raison et la sécurité. Les citoyens, en tant que contribuables et usagers des infrastructures, méritent des garanties solides et des approches éprouvées. En tant que société, nous devons encourager une démarche critique et fondée sur des faits, afin d'éviter que l'irrationalité ne devienne la norme. Il en va de l'avenir de nos politiques publiques et de la confiance que les citoyens placent en leurs institutions.