Il a récemment été voté, en mai, un amendement visant à remplacer dans certains textes de loi le terme de «France métropolitaine» par celui de «France hexagonale».
Comme l’a rapidement fait remarquer la journaliste Julie Postollec dans un article du 26 mai 2023 posté sur Outre-mer la 1ère, ce changement fait couler beaucoup d’encre. Pour cause, il se veut entériner la rupture avec l’ordre colonial qui a forgé cette expression : un « ordre pas totalement aboli », pourtant. Salué par certains comme un continuum logique achevant d’inscrire la décolonisation dans le vocable gouvernemental, cet amendement se veut marqueur de l’unité et de la continuité territoriale censée caractériser aujourd’hui les relations entre la France et ses départements d’Outre-mer. Davantage, il s’inscrit dans un processus de mise à distance du passé colonial. Il suggère une décolonisation effective dans l'ensemble des zones ultramarines que détient la France.
Il semble ainsi nécessaire de rappeler l’asymétrie coloniale qui régit toujours les rapports entre la France et les Outre-mer. Les inégalités y sont multiformes, systémiques, elles crèvent les yeux.
Il est vrai que depuis la crise sociale provoquée par la réforme des retraites, la politique menée par Emmanuel Macron et Gérald Darmanin a souligné le peu d’importance que l’État français accordait aux recommandations des grandes instances internationales. Jusqu’aux États-Unis, les railleries engrangées par le maintien de l’ordre - ou les inquiétudes des Nations Unies face aux images de militants aux mains arrachées et aux yeux crevés - auraient pu laisser espérer que la machine infernale de l’État Macron aurait fini par s’effondrer sur elle-même. Que nenni. Après avoir joyeusement envoyé en juin le GIGN sur sa propre population (mineur·es et jeunes de quartiers), Gérald Darmanin trimballe la CRS-8 selon sa guise, de Mayotte (opération anti-migrant·es), à Marseille (opération anti-drogue). Sur des thématiques comme le maintien de l’ordre ou la domination coloniale, la France brille par la constance de son acharnement. D’aucuns diraient qu’il s’agit sans doute de la French Touch, une capacité remarquable à se distinguer par la violence et le mépris de ses décisions politiques, sans jamais ciller ni faiblir, malgré l'opprobre internationale. Le couple Macron-Darmanin, qui n’a pas connu les mois les plus tranquilles, il est vrai, voudrait volontiers anéantir les militants de gauche, mais aussi, tant qu'à faire, les banlieusards, les wokistes, les indépendantistes, les écolos, les antifascistes, les pro-migration, en somme, chaque fauteur de trouble et dissidents divers. Qu’il s’agisse de la violente répression déployée pendant la réforme des retraites et les émeutes, ou qu’il s’agisse des interventions coloniales dans les Outre-mer - récemment, à Mayotte- l’usage de la police comme bras armé de l’État souligne les mutations de la néo-citoyenneté qui caractérise désormais la frenchness. C’est une citoyenneté conditionnelle, dont les droits basiques qu’elle est censée garantir s’évaporent brutalement lorsqu’ils sont mobilisés contre l’agenda politique du pouvoir en place.
C’est dans ce contexte particulièrement violent qu’a été promulgué l'amendement. Ne parlons donc plus de France métropolitaine, mais de France hexagonale. L'évolution de la langue est ainsi plus que jamais le reflet des mutations de la société… ou de ses stagnations, le cas échéant. En effet, lorsque le vocabulaire choisi et/ou imposé par les institutions ne correspond pas à la réalité, il dépeint alors une fausse réalité dans un but politique souvent bien précis. Face à cet amendement, il faudrait d'abord se préserver d’un premier écueil, qui consisterait à appréhender la Guadeloupe, la Réunion, la Guyane, la Kanaky-Nouvelle-Calédonie, Mayotte, Wallis-et-Futuna, la Martinique, Saint-Martin, Saint-Barthélémy, ou la Polynésie française, comme un bloc compact et monolithique. Ce réflexe français est somatique et révèle en filigrane le prisme colonial à travers lequel ces territoires sont perçus, administrés, et modelés.
Comme souvent en France, la charrue est tellement devant que l’on ne voit même plus les bœufs. Ce type de législation, pratique pour mettre la poussière sous le tapis, masque maladroitement le décalage entre le discours adopté et la réalité tangible dans les territoires d’Outre-mer. Ce qui joue à l’avantage de la politique néocoloniale de la France, est la méconnaissance profonde, nourrie par le désintérêt ou les préjugés, des départements ultramarins. Ils ont le tort d’être nombreux, complexes, certains trop lointains pour se les figurer autrement que comme quelques palmiers rôtissant au soleil sur une plage de sable blanc.
Ces derniers mois, Emmanuel Macron ne s'est ému ni des critiques engrangées par Wuambushu, ni de la prolifération des ratonnades d’extrême-droite, tandis que Gérald Darmanin surveillait la Calédonie comme le lait sur le feu au moment des incertitudes post-référendums. De manière globale, qu’il s’agisse de réduire ou de délégitimer l'expression des courants indépendantistes dans l'espace public, d’ignorer les appels à l’aide de l’Outre-mer, de maintenir sur place des systèmes fondés sur des inégalités ethniques, jusqu’à engloutir les cultures en les dissolvants sous la bannière républicaine, la France n’est pas prête de desserrer son étau sur ces territoires.
Face à la défiance en métropole, aux indépendantistes en Mélanésie, Emmanuel Macron brandit tantôt Le Pen, tantôt la Chine, comme tant d’épouvantails destinés à lui octroyer le meilleur rôle.
L’amendement de mai, adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale, avait été proposé par le député guadeloupéen Olivier Serva. Il permet, selon ce dernier, de « décoloniser nos sémantiques linguistiques et réglementaires ». Autrement dit, il n’est pas nécessaire de travailler sur le fond du problème si la forme est suffisamment convaincante. Décolonisons la langue pour que celles et ceux qui la parlent s’imaginent être égaux.
S’agit-il de duper certain·es ou de donner bonne conscience à d’autres ?
Ce que ce type de législation suggère en filigrane, c’est l’endiguement institutionnalisé de tout projet politique tendant à l’émancipation ou à davantage d’autonomie pour les territoires ultramarins. Ce changement de lexique, si minime puisse-t-il paraître, peut pourtant constituer un outil conséquent en termes de diversion. Les enjeux qui en découlent ne peuvent être appréhendés sans replacer les mots et les compétences qu’on leur prête dans un contexte global, et dans un programme politique qui entretient l'ambiguïté des situations néo-coloniales.
Cet amendement fait écho au profond malaise français qui émerge lorsqu’il s’agit de nommer les choses par leur nom.
L’État, sans doute, désavoue le terme de métropole parce que sa connotation impériale constitue un frein à l’effort mit en place depuis des décennies : conserver les Outre-mer comme des départements français, faire oublier les processus hégémoniques - souvent destructeurs- qui ont accouché de ces situations hybrides. Sans fournir ni travail de mémoire ni repentance, ce type d'agenda politique conduit à balayer sans cesse les dettes historiques, souvent forgées dans le sang, que la France possède envers les Outre-mer. Héritiers des terres meurtries par l'esclavage, le parcage et l’indigénat, sans espoir de justice ou de compensation, désormais gratifiés comme sujets du royaume, feraient mieux de s’y résigner, et avec moult courbettes. Les plaies n'ont pas encore été recousues que la France se drape de nouveau dans le vieux manteau du sauveur éclairé dont la supériorité ne tolère rien, si ce n'est la gratitude de ces peuples supposément inférieurs qui ne peuvent exister sans elle. La main est grande ouverte tant qu'elle y reçoit des capitaux.
Aujourd’hui plus que jamais, les critères par lesquels nous tentons de comprendre les Outre-mer sont biaisés par l’opacité qui englobe leurs spécificités locales et le poids de leurs histoires. La politique du compromis, brandie comme un totem sorti du chapeau, rappelle que certains sont pour toujours destinés à compromettre, tandis que d’autres sont nés pour imposer. Définitivement, comme cet amendement le rappelle, les mots ne sont pas employés en France à tort et à travers : en politique, ils sont même soigneusement triés, choisis, et consciencieusement publicisés. Combien de pirouettes démagogues, d'illusions, de politiques méprisantes et mortifères la France va-t-elle encore mener au fil des siècles ?
Emmanuel Macron, non satisfait de tenir sous sa coupe les territoires d’Outre-mer, étale son occidentalisme jusqu’en Afrique, là où récemment, à Djerba, il affirmait que le français était la langue du panafricanisme.
La France, décidément toujours fâchée avec son histoire et capable ni d’en appliquer les leçons, ni d’en tirer l’humilité nécessaire, donne le change. Tandis que la situation sociale dans le pays se délite, que la population se déchire face à la violence policière, la faille démocratique et l’impunité du racisme, Emmanuel Macron s'en va tout content à Nouméa brandir la menace chinoise, comme on menacerait des enfants turbulents du méchant loup qui traîne dans les parages.
C'est que l'usage des mots révèle toujours de précieuses informations : il faut les décortiquer pour en saisir le sens politique. Comment comprendre la situation à Mayotte, ou les inégalités ethniques en Kanaky-NC depuis la métropole ? Chez beaucoup des populations d’Outre-mer se relève la même amertume, le sentiment d’avoir été abandonnés par une République qui les adoptait pourtant de force. L’inflation, la crise écologique et migratoire, les inégalités, la mauvaise gestion des moyens publics frappent ces territoires les plus durement. Comment étudier les mouvances politiques et sociales dans ces pays sans interroger leur rapport à la métropole ? Comment lutter contre le néo-impérialisme et l’hégémonisme occidental ? Comment préserver les cultures et les identités dans un rouleau compresseur qui continue de s'institutionnaliser ? Comment continuer de réfléchir et de travailler sans l'usage de termes et de référentiels justes et adaptés ? Comment appréhender correctement ces enjeux, qui seront chaque jour plus décisifs, sans un minimum d'honnêteté, d'humilité et de courage ? Ce sont des questions qui s’avèrent aujourd’hui essentielles, et elles méritent un véritable effort de réflexion. Ainsi, compte tenu du contexte global et des politiques actuelles, je continuerais personnellement d'utiliser le terme de France métropolitaine. Et vous ?