DarrenAronofsky a réalisé un film impressionnant par sa justesse, moins sur le milieu de la danse en lui-même, que sur la psychologie d’une jeune danseuse, Nina(Natalie Portman) que le rêve d’être danseuse étoile et l’état d’enfant, maintenu à l’âge adulte par une mère célibataire exclusive, plongent progressivement dans des délires paranoïaqueset hallucinatoires.
Autrement dit, ce film ne vaut pas parce qu’il décrit le milieu de la danse, par certains égards de manière caricaturale, mais parce qu’il saisit bien sur le plan psychologique la maladie de la bouffée délirante aiguë que peut engendrer deux facteurs : le rapport au corps et à la féminité idéalisée, que renvoie constamment à la danseuse le miroiromniprésent ; l’identification au rêve d’être danseuse étoile dont la mère est la porteuse originelle ; le rapport exclusif à la mère qui depuisl’enfance, nourrit le rêve de sa progéniture et la surprotège. A l’âge adulte,l’héroïne, Nina, vit seule avec sa mère, dans sa chambre d’enfant, entourée depeluches. C’est sa mère qui veille à la pureté et à la beauté virginales de safille : adulte, elle lui coupe encore les ongles, elle s’inquiète des égratignures sur son dos ; lorsque Nina commence à expérimenter seule et en secret le sexe dans sa chambre, elle croit voir le spectre de sa mère et s’arrête net.
Nina vit constammentsous le regard, d’abord d’elle-même, puis de celui de sa mère et du maître de ballet (Vincent Cassel), figure masculine incarnant le sexe. C’est ce maître de ballet qui incite la jeune femme à la sexualité dans sa trivialité pour mieux jouer le Cygne Noir, le versant opposé du Cygne Blanc et pur. Mais de manière significative, ce n’est pas vers le maître de ballet, mais vers son double et opposé féminin, la danseuse Lily (Mila Kunis), que se tourne Nina dans sa découverte de la sexualité. Lily cumule les attributs d’une vie décadente et pervertie, symbole de la vie réelle face à la vie rêvée et ascétique d’une danseuse : drogue, sorties en boîte, sexe. Lily représente l’autre face, sombre, du miroir dans lequel se regarde Nina. Ce n’est pas un hasard si ce côté sombre du miroir correspond au Cygne Noir que Nina doit jouer. Avec Lily, Nina n’est pas seulement dans une relation de miroir, mais toujours dans le rêve qui se transforme en fantasmes sexuels. Lily n’apparaît comme une rivale perverse et triviale que dans l’imagination de Nina. Darren Aronofsky nous fait voir avec brio le décalage entre la réalité de Lily et le délire dans lequel l’héroïne est progressivement plongée.
Le délire paranoïaque et les hallucinations de Nina s’expliquent par sa peur,omniprésente, lorsqu’elle est confrontée au milieu extérieur, incarné par le maître de ballet, par Lily, par le métro : peur de perdre sa pureté et sa beauté immaculée et virginale, de ne pas être parfaite, du sexe représenté par les hommes, de l’éphémère, de la laideur et de l’infirmité physique, incarnées par l’ancienne danseuse étoile, Beth (Winona Ryder); peur de disparaître,évincée par une rivale, sous les yeux du public….et de la mère. Peur de perdre une enfance et de son corollaire, le rêve, qui a longtemps couvé entre les murs de la chambre et dans le regard de la mère.
Au total,Darren Aronofsky nous livre un chef d’œuvre : autant par la réalisation que par la performance de tous les acteurs : Natalie Portman, d’une justesse exceptionnelle ; Vincent Cassel et Winona Ryder dont les caricatures permettent de signifier la peur de l’héroïne du sexe et de la déchéance physique ; Barbara Hershey, convaincante et juste dans son rôle de mère exclusive, à l’origine de la maladie de sa fille.
Thi Minh-HoangNGO
- Black Swan, réalisé par Darren Aronofsky, avec Natalie Portman, Vincent Cassel, Mila Kunis, Barbara Hershey. Sortie en salles le 9 février 2011