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Billet de blog 13 novembre 2010

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Remaniement de comptes

Ce dimanche matin, je me rends chez Didite où doit m'attendre Simplex. Chez Didite, rien de plus pittoresque. Un vieux bar sobre, tout droit sorti des années 30. Lorsqu'on franchit le pas de la porte, on a l'impression de pénétrer dans

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce dimanche matin, je me rends chez Didite où doit m'attendre Simplex. Chez Didite, rien de plus pittoresque. Un vieux bar sobre, tout droit sorti des années 30. Lorsqu'on franchit le pas de la porte, on a l'impression de pénétrer dans une photographie en noir et blanc. Chez Didite, pas de chauffage, très peu de lumière. Mais cette austérité d'apparat est rapidement effacée : l'ambiance y est chaleureuse et les conversations colorées.

Simplex m'attend déjà au comptoir, un café devant lui. Il est en grande conversation avec Dédé. Dédé, je le classe dans la catégorie des gros rougeauds. C'est un vaillant, il arrive à l'ouverture et repart à la fermeture, sans prendre de pause. Et toujours prêt à faire des heures sup ! Souvent, c'est Didite qui est obligée de lui signifier qu'il ferait mieux de rentrer à la maison. Dédé a lui aussi un avis sur tout et surtout après quelques ballons de rouge. Ce matin, à un peu plus de 10h, il doit commencer à être intéressant. Je m'approche des deux compères, curieux de connaître le sujet de la conversation qui les tient en haleine (déjà bien chargée pour Dédé) au point qu'ils n'aient pas remarqué mon entrée.

_ Et bien Messieurs, qu'est-ce qui vous passionne tant que ça de si bon matin ?

C'est Didite qui me répond en me servant mon grand crème.

_ Oh ben là, tu vas pouvoir jouer avec eux ! Ils donnent leurs pronostics pour le remaniement de lundi !

Je souris, pas surpris, et ma curiosité en est d'autant plus attisée. Simplex daigne enfin me prêter attention et, à défaut de me saluer, me prend directement à partie :

_ Salut mon pote ! Hey, tu sais pas c'qu'il m'dit le Dédé ? me demande t-il en laissant échapper un rire aussi naturel que le menton des Bogdanov. Ben le Dédé il me dit qu'il verrait bien Borloo à Matignon! Qu'il se reconnaît parfaitement en lui.

Vu la couche qu'il se tient le Dédé, je veux bien le croire...

_Ah bon Dédé ? Tu souhaiterais voir Borloo Premier Ministre ? Je suis curieux d'entendre tes arguments.

Et entre deux gargouillis (que je ne transcrirai pas dans un souci de lisibilité), l'ivrogne me répond.

_ Borloo y va faire bouger les choses lui ! C't un mec qu'a du cœur ! C't un homme du peuple. L'a des couilles et s'ra pas à la botte de Sarko.

Borloo homme du peuple, cette idée me fait légèrement frémir quand on connait le passif d'avocat d'affaires du « zozo », notamment le rôle majeur qu'il a tenu dans la fulgurante réussite de Bernard Tapie dans les années 80. Mais après tout, Tapie n'est-il pas un homme de Gauche ? Je m'apprête à répondre à Dédé que son champion a quand même été au cœur du système occulte qui aboutira au scandale du Crédit lyonnais, quand Simplex me coupe la chique et rétorque :

_ Mais dis moi Dédé, tu peux me rappeler quel portefeuille occupe ton cher Borloo ? N'est-il pas Ministre de l'Écologie, de l'Énergie et du Développement durable ?

Dédé et moi acquiesçons. Simplex reprend :

_ Et tu l'as entendu s'exprimer toi, le Ministre de l'Énergie, au moment des problèmes de pénurie de carburants ?

Dédé préfère boire une bonne goulée plutôt que devoir répondre. Ce qui n'est pas pour déplaire à Simplex qui affiche son air satisfait de vainqueur. La capitulation de son interlocuteur le pousse à enfoncer le clou.

_ Non, il n'a rien dit ton Borloo ! Il s'est gentiment terré dans son bureau en attendant que les choses se passent ! Et qui est allé au charbon ? C'est Fillon !

Je pouffe. Simplex, surpris, me demande ce qui m'amuse tant.

_ Non c'est juste que... Aller au charbon quand il n'y a plus d'essence, n'est-ce pas un peu rétrograde ?

Ma remarque provoque un soupir d'exaspération chez mon interlocuteur qui me reprend.

_Sois sérieux une minute Eltib ! On voit ce mal-endimanché de Borloo à Matignon, on vante ses aspirations sociales quand il est incapable d'intervenir une seule fois sur l'un des conflits sociaux les plus importants de la Vème République ? C'est ça qui est risible !

Je ne peux pas le contredire. Il n'en faut pas plus à Simplex pour se ragaillardir.

_Non non et non ! Pour ce remaniement, il faut garder Fillon !

_Alors pourquoi appeler cela remaniement ?

_Parce qu'on va introduire quelques nouvelles têtes, faire des changements. Bon, personnellement, j'aurais bien vu Monsieur Besson Premier Ministre. Mais le Président lui a dit qu'il était le seul à pouvoir mener à bien la mission qu'il lui a confiée.

_Ah ça, il a dû goûter au compliment. Il est vrai qu'il faut faire preuve d'une souplesse déontologique digne des plus grands contorsionnistes de chez Sébastien pour accepter le ministère de de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire...

_C'est facile d'ironiser ! Toi et tes amis gauchistes n'êtes bons qu'à ça ! s'emporte Simplex. Mais quand il s'agit de proposer des idées, il n'y a plus personne ! Ce remaniement va être essentiel pour la fin du mandat de Nicolas Sarkozy.

Oui, essentiel pour mener sa campagne présidentielle, on n'en doute pas... Je garde pour moi ma pensée et laisse mon ami poursuivre sa démonstration.

_On va voir de nouvelles têtes. Un nouveau souffle.

_Donne-nous des exemples !

_Claude Guéant.

_Il n'est pas déjà aux Affaires étrangères ?

_Jean François Copé.

_Ministre d'état à la Noblesse et aux Privilèges ?

_Alain Juppé.

_Ah ! Enfin un vrai nouveau ! C'est un p'tit jeune ? Il fait quoi ?

Simplex m'ignore et continue

_Frédéric Lefebvre.

_Ah oui, ça ne m'étonnerait pas ! Ça fait un moment qu'il n'a pas dit de connerie, donc qu'il se tait. C'est qu'il doit ambitionner quelque chose. Par contre il faudra bien le planquer celui-là et lui confectionner un maroquin sur mesure. Il serait parfait en Secrétaire d'état aux handicaps de la parole. Pour peu que la mère Bachelot demeure, on aurait deux bras cassés à la Santé.

Dédé, qui a eu le temps de se siffler deux ballons, revient tant bien que mal dans la discussion !

_Mais ya rien d'nouveau là-d'dans ! Avec Borloo, c'est un vrai virage social qu'on nous propose, un véritable projet de société.

Moue sceptique. Dédé rabâche... Le silence s'instaure. Mes deux compères seraient-ils déjà à court d'arguments ? J'en profite alors pour poser la question qui me brûle les lèvres depuis que je me suis immiscé dans la conversation.

_Dîtes Messieurs, un remaniement se justifie pour donner un nouveau souffle, une nouvelle orientation à la politique gouvernementale. Vu que c'est Sarkozy qui gouverne depuis trois ans, est ce si important de savoir qui va atterrir à Matignon ? Est-ce que ça va fondamentalement changer quelque chose ? Le Président vient de faire passer avec force et violence la réforme des retraites et on va nous faire croire à un virage social ? Vous avez finalement ce que vous demandez ! De la télé-réalité. On vous sert ce spectacle déplorable d'hommes d'état capables de se compromettre pour obtenir les faveurs du monarque, guettant le moindre signe de bienveillance de sa part. Et lui, sur son trône, se marre. Il provoque, met en scène sa mascarade. Ce remaniement, ce sont ses Plaisirs de l'île enchantée, il occupe sa Cour, divertit ses sujets. Et pendant ce temps là, exit la réforme des retraites, les affaires Bettencourt, Karachi... Le peuple est conditionné à cela ; merci TF1, M6 et leurs petites sœurs. Ce remaniement, Messieurs, c'est du vent, une illusion, des jeux pour le peuple. Il a été annoncé dés le printemps parce que Sarko savait que sa réforme ferait un tollé. Tout était minuté. Pourquoi cet empressement à promulguer la loi ? Parce que hop ! C'est fini, on passe à autre chose ! Matignon Story ! Qui aura la place ? Le fond, on s'en fout ! La forme ? Entretuez-vous mais surtout, faites-nous plaisir ! « Sarko, ceux qui vont mourir pour toi te saluent ». Voilà le spectacle qu'on nous offre. Et évidemment, on en redemande.

Bon, je me suis un peu emporté... Au départ je ne devais poser qu'une question. Les réactions de Dédé et Simplex ne se font pas attendre. Le premier éructe quand le second part d'un petit rire sardonique.

_Mon pauvre Eltib, je te reconnais bien dans ce discours. Tu as appris la leçon de tes maîtres socialistes. Mais qu'est ce qu'ils ont à nous proposer eux, comme spectacle ?

Je soupire.

_Primaires, candidature, mesquineries, entourloupes, affrontements et débat d'idées réduit à la portion congrue. Ils nous servent la même soupe...

Je m'avoue presque vaincu sur le coup quand je reçois un soutien que je n'attendais plus. L'ultime sursaut de Dédé avant de sombrer dans des abîmes éthyliques, peut-être hors contexte, un brin agressif mais oh combien salutaire !

_Laisse tomber Simplex, Eltib, ce mec manque d'élégance !

Réplique qui a pour effet immédiat de faire réagir mon ami !

_ Fais-moi rire Dédé ! T'es bien placé pour parler d'élégance ! Tu as beau être tiré à quatre épingles et soigner ton brushing, tu n'en restes pas moins un vulgaire ivrogne !

_Oh mais M'sieur d'vient agressif ! J'croyais avoir affaire à un Snoopy ! Mais tu es un vrai Pitbull !

Le ton monte encore d'un cran...

_Arrête de me faire passer pour un con espèce de zozo !

_Gare à toi Simplex ! Si tu m'cherches, tu vas m'trouver !

J'essaie tant bien que mal de calmer le jeu.

_S'il vous plait les gars, reprenez-vous... On croirait des...

Mais déjà Dédé a fait volte face et titube tant bien que mal vers la sortie du troquet, lançant un laconique « Va te faire foutre Simplex » suivi d'un menaçant mais impersonnel « A partir de lundi, ils vont voir ce qu'ils vont voir ».

_ … premier ministrables, conclus-je pour moi-même.

_Hein ? me demande Simplex sur le ton de l'agacement.

_Rien rien... Je parlais pour moi.

Mon ami semble s'être irrité de cet échange viril. Heureusement, la radio annonce une nouvelle qui saura émouvoir toute bonne ménagère qui se respecte : Jean-Luc Delarue va mieux ! Il va partir en tournée en camping-car pour dénoncer les méfaits de la drogue ! Quelle admirable repentance, quel courage et quelle œuvre de philanthropie la plus noble... Je me permets de compléter l'info, pour remonter le moral de Simplex qui semble touché par la nouvelle.

_Génial hein ? Il sera accompagné de Véronique Courjault qui s'attachera à démontrer à quel point les produits frais sont préférables aux surgelés.

_Oh ! C'est vrai ?!

Je soupire.

Il n'est pas encore midi.

Je suis déjà épuisé.

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