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Billet de blog 3 mai 2025

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« Les Linceuls » - de la fiction

Le dernier beau film de Cronenberg, « Les Linceuls », traite de la fiction. Le film est un linceul enveloppé dans un linceul, enveloppé dans un linceul etc. Tout s’emporte dans les linceuls, jusqu’au titre même.

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 Le dernier beau film de Cronenberg, Les Linceuls, traite de la fiction. Le film est un linceul enveloppé dans un linceul, enveloppé dans un linceul etc. Tout s’emporte dans les linceuls, jusqu’au titre même.

Illustration 1

À ce titre, l’histoire narrée fonctionne comme un leurre. La dimension biographique – Cassel/Karsh qui joue Cronenberg qui joue Musk qui joue la mort ou le Christ – fonctionne comme un leurre. L’intrigue est un chemin qui ne mène nulle part.

Il n’y a rien derrière les linceuls, et c’est le thème du film, si l’idée de thème avait encore un sens ici. Tout tourne en effet autour du vide, de couches  de linceuls qui produisent l’effet de profondeur : celle de l’existence comme celle des stèles numériques dont on se demande si elles abritent quelque chose (mais il est interdit d’aller y voir « en vrai », et Karsh en vient à revêtir lui-même le linceul pour se voir en « chair et en os », mais toujours par écran interposé).

D’où les spéculations infinies au lieu du vide, creusant son abîme, et les théories du complot qui s’imbriquent les unes dans les autres sans dénouement final. C’est de la fiction.

 Que reste-t-il de la fiction ? Rien, sinon ces linceuls. Les linceuls sont ce « rien ». Et c’est la fiction : l’espacement entre un dire et un dit, entre une scène et ce qui y apparaît. Cet espace n’est rien, il existe comme rien. C’est un effet de mise en scène. Il est tentant d’écraser la fiction, d’autant plus tentant que ce désir d’écrasement est un produit de la fiction ; un produit de la fiction qui fait de la fiction un produit, une marchandise qui tourne bien.

Ce à quoi Cronenberg résiste en jouant à embobiner, à s’embobiner, à nous embobiner dans ces linceuls. Il tourne autrement, se paye notre tête et la sienne par la même occasion. La bobine justement, qui se déroule, et s’enroule, c’est ce qui reste : la fiction, c’est-à-dire rien, rien qui ne soit vraiment, rien qu’on ne puisse attraper, saisir, toucher du doigt. Et qui, pour cette raison même, peut-être, excite la violence, sous-tend l’histoire de la violence, peut-être.  Les linceuls donc, qui font écran.

 Quelques mots de Sarah Kofman :

« Même angoisse de mort au moment de la publication de la Traumdeutung parce que, pour la première fois, il mettait à nu cette chose horrible à voir, qui ne saurait être regardée en face, le sexe de la mère, horrible parce que trop désirable ; ce qui le contraint, sous peine d’avoir à se crever les yeux, à recouvrir ce sexe d’un voile épais, c’est-à-dire à spéculer, à élaborer des pseudo-solutions, des fictions qui font écran à ce qui ne saurait être observé et qui transforment la femme en une énigme à jamais insoluble »

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