Il y a comme un malentendu, mais ô combien révélateur, au sujet de la réforme territoriale proposée par François Hollande. Celui-ci, pour des raisons discutables d'économies budgétaires et surtout pour répondre aux injonctions de ses partenaires européens, veut un regroupement des régions et la disparition progressive des départements, simplifiant ainsi un peu plus la carte territoriale de la France qui n'était pourtant pas spécialement plus compliquée que dans d'autres pays. A cette occasion, les réactions d'indignation se sont multipliées, reprochant au projet des regroupements sans logique, contraires aux identités régionales (comme si elles existaient...) et bousculant les coutumes incestrales nées des anciennes provinces du Moyen-âge.
C'est probablement le moment de rappeler que la France, dans sa tradition jacobine issue de la Révolution, est un Etat unitaire. Ce qui ne l'empêche pas d'être décentralisée pour accomplir un certain nombre de fonctions qui seront toujours mieux réalisées localement que par le pouvoir central. Jusqu'à présent, l'organisation décentralisée reposait sur deux structures : la commune et le département. Aujourd'hui, grâce aux progrès des communications et des moyens de transport, il n'est pas illogique de tendre vers une organisation décentralisée reposant sur deux autres structures : l'intercommunalité et la région.
Je pense que cette réforme est inspirée par une vision administrative des choses ; or, beaucoup voudraient qu'elle soit inspirée plutôt par une vision identitaire et culturelle. François Hollande, sagement, s'est bien gardé de ressuciter d'anciennes provinces, bien identifiées culturellement et historiquement, et a préféré faire collaborer des régions qui ont tout à gagner à se regrouper sur certains projets. La nouvelle région regroupant le Centre, le Limousin et Poitou-Charentes paraît incongrue. Certes, d'autres combinaisons étaient possibles. Mais, qui sait que les universités d'Orléans, de Tours, de Poitiers, de La Rochelle et de Limoges ont décidé, ces jours derniers, de se retrouver pour travailler ensemble ? Il n'est pas impossible que cette nouvelle organisation décentralisée apporte des progrès en termes de services publics aux citoyens.
Dans cette même logique, il aurait même été envisageable de regrouper la Bretagne et les Pays de la Loire, ainsi que le Nord-Pas-de-Calais avec la Picardie-Champagne-Ardenne. Mais des raisons politiques ont semble-t-il refroidi les ardeurs réformatrices du Gouvernement.
Ne portons donc pas de jugements hâtifs sur cette nouvelle carte. L'objectif n'étant pas de recréer les anciennes provinces qui, pour certaines, ne tarderaient pas à manifester quelque volonté autonomiste, voire indépendantiste, ni de créer un état fédéral très éloigné de notre tradition politique.
Exigeons plutôt une organisation décentralisée lisible et efficace (la fin de la clause de compétence générale est en cela une bonne chose) ; des intercommunalités avec des représentants élus au suffrage universel direct, reprenant les compétences des communes et des départements (celles de proximité comme l'action sociale) ; des régions aux compétences élargies (elles peuvent reprendre la gestion des routes et des collèges par exemple) et aux ressources, notamment fiscales, assurées.
Cette réforme ne doit pas avoir d'autres objectifs. Les problèmes identitaires sont mal venus. L'on comprend bien la logique qui sous-tend les argumentations de certains : face à la mondialisation et à l'Europe de Bruxelles, il est tentant de se replier sur soi-même et de s'éloigner de cet Etat impuissant et nuisible aux revendications locales. Ce serait un mauvais calcul. Si l'on veut changer le monde et l'Europe, il est nécessaire de s'appuyer sur des Etats-nations équilibrés et, paradoxalement, prêts à abandonner leurs pouvoirs à des échelons inférieurs, comme les régions, ou supérieurs, comme l'Europe, afin que les bonnes décisions soient prises toujours au niveau le plus efficace (c'est-à-dire pas constamment au niveau de l'Etat).
La France est structurellement unitaire et doit le rester si elle ne veut pas disparaître et laisser d'autres, en Europe, décider à notre place quel doit être notre avenir.
"Diviser pour mieux régner" : voilà le risque. Voilà d'ailleurs comment a procédé l'Etat en France avec ses provinces pour mieux les domestiquer. A présent qu'il y a un échelon supérieur au-dessus de l'Etat, il est plus que probable que l'Europe procédera de la même manière avec nos super-régions. Celles-ci, fortes et automomes, ne seront cependant jamais assez puissantes face à l'ordre libéral européen que nous subissons depuis de nombreuses années. A l'heure de voter cette réforme territoriale, c'est une devise qu'il faut garder dans un coin de sa tête.