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Billet de blog 6 avril 2014

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Il faut achever l'Europe

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

A l'occasion de la sortie du dernier livre de Frédéric Lordon, "La Malfaçon" (Edition Les Liens Qui Libèrent), et à quelques semaines des élections européennes, il apparaît urgent de parler d'Europe mais d'une façon que l'on n'ose plus imaginer tant les craintes de paraître, au mieux, un affreux gauchiste, au pire, un dangereux xénophobe, semblent légitimes dans l'ambiance hystérisée de la politque française actuelle.

Frédéric Lordon réussit à surmonter ces préventions, partagées du reste par la droite et la gauche, et nous propose même des solutions pour achever cette Europe qui n'en finit pas d'agoniser et nous incite à croire à une autre Europe qui redeviendrait (ou deviendrait) enfin un espace politique démocratique qui respecterait les souverainetés nationales, enfin réhabilitées.

Oui, nations et démocratie peuvent être l'avenir de l'Europe, car force est de constater que l'intrégration européenne telle qu'elle se déroule, avec des règles économiques et budgétaires de plus en plus contraignantes, ne respecte aucune des règles démocratiques qu'elle se targue pourtant de mettre constamment en avant à travers les traités européens. Les nations, seules dépositaires de la souveraineté, ont de moins en moins la parole et sont contraintes de respecter des dispositions économiques et financières sans limitation de durée et sans possibilité d'y revenir s'il apparaissait que les circonstances impliqueraient pourtant un changement de politique économique par rapport à ce qui est gravé dans le marbre des traités européens. Car là est le drame. La politique économique, budgétaire, monétaire, tout le contenu d'un débat censément démocratique et vital pour le destin d'une nation, est déjà fixé. Il n'y a plus rien à discuter. Quel est l'intérêt de voter me direz-vous ? Il n'y en a plus beaucoup, à part celui de montrer son attachement à la démocratie. Près de la moitié des électeurs ne s'en donnent même plus la peine.

Comment espérer un changement de l'Europe par les institutions européennes actuelles ? Il n'y a en l'occurrence aucune chance pour que cela advienne. La monnaie unique a été bâtie pour complaire à l'Allemagne et selon les paradigmes économiques allemands. Il n'y a rien d'étonnant à cela puisque l'Allemagne est l'économie la plus puissante du continent. La France désirait tant la monnaie unique qu'elle a logiquement cédé à toutes les demandes allemandes sans se rendre compte que cela ne lui conviendrait pas. Car l'Allemagne n'a pas d'autres projets économiques qu'une monnaie stable et forte, des comptes extérieurs excédentaires, des comptes budgétaires équilibrés, une banque centrale indépendante et des Etats dispendieux et impécunieux sanctionnés par les marchés financiers. Tout se déroule comme le désire l'Allemagne qui n'a aucune envie de changer une Europe qui est faite pour elle.

Les autres ? C'est "marche ou crève". Nous en arrivons à un moment où nous pouvons effectivement crever, surtout lorsque des électeurs de plus en plus nombreux décident de marcher aux urnes pour voter extrème-droite, c'est-à-dire contre ce qu'ils considèrent comme antinational. Avant que les anti-européens n'arrivent véritablement au pouvoir, il serait peut-être temps de reconstruire une autre Europe qui fasse fi de ses idéologies et qui réagissent aux problématiques du moment (emploi, fiscalité, environnement, industrie...).

Les Etats-Unis d'Europe ne sont pas pour tout de suite. Pourquoi alors persister à vouloir une monnaie unique qui ne convient qu'à un seul, l'Allemagne ? La solution la plus adaptée consisterait à créer une "monnaie commune" (et non plus unique) servant de base à toutes les monnaies nationales. Celles-ci, ajustées périodiquement les unes aux autres par décision politique, permettraient de rendre possibles à nouveau des politiques économiques nationales différenciées et adaptables selon la conjoncture économique. On aurait ainsi l'avantage de la stabilité monétaire (les monnaies nationales ne participant pas  au marché des changes, seul l'Euro, monnaie commune, pouvant être échangé contre les monnaies étrangères) et la possibilité de procéder à d'éventuelles dévaluations sur décision politique des Etats membres, ce qui n'était plus possible avec l'Euro monnaie unique.

Frédéric Lordon explore aussi la possibilité pour les pays européens de faire défaut sur tout ou partie de leur dette. Une seule condition pour rendre la chose faisable : mettre fin à la toute puissance des marchés financiers. Pour cela, la BCE et les banques centrales nationales devront être autorisées à créer de manière illimitée de la monnaie afn de fnancer les Etats. Si la solution n'est pas à utiliser trop souvent, il apparaît tout de même qu'aujourd'hui la déflation est un danger plus imminent que l'inflation. Dans ce nouveau cadre, il va de soi que l'activité bancaire, débarrassée de son activité spéculative sur les monnaies, devra être reprise en main par l'Etat qui n'aura aucun mal à prendre le contrôle d'établissements financiers fragilisés par leurs pertes suite au défaut sur la dette française (entre autres dettes).

Si cette nouvelle politique monétaire (et donc budgétaire) ne réglera pas tous les problèmes, elle aura l'immense mérite de remettre de la politique en Europe, c'est-à-dire de rendre possibles des choix différents, de laisser s'exprimer les peuples européens qui pourront, en toute souveraineté, adapter les décisions politiques en fonction des circonstances et des enjeux du moment.

L'on voit déjà qu'il s'agit d'une autre Europe, très éloignée de celle des traités actuels. Bien sûr, pour qu'elle advienne, il faudra faire exploser l'Union Européenne telle qu'elle existe, et cela en programmant le départ de certains Etats, comme la France, l'Italie et l'Espagne. Mais, il ne faut pas simplement quitter l'Europe, il faut déjà imaginer une autre Europe. Il ne s'agit pas d'une aventure hasardeuse mais d'une prise de conscience de la part d'Etats souverains désireux de s'organiser dans l'intérêt de leur peuple. L'Allemagne, placée dans la même situation, ne réagirait pas différemment. N'écoutons pas ceux qui disent que cela n'est pas possible, qu'il n'y a pas d'alternatives à  l'Europe actuelle. On a toujours le choix. C'est le moment de choisir. Nous vivons une époque de transition qui nous mênera peut-être, il faut l'espérer, à une nouvelle Europe, celle des Etats souverains, et plus celle des marchés financiers et de ses affidés.

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