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Billet de blog 13 décembre 2014

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Zemmour versus Mélenchon : le vrai clivage gauche / droite ?

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Vendredi soir 12 décembre, RTL retransmettait le débat animé entre Jean-Luc Mélenchon et Eric Zemmour. Si la forme a été parfois houleuse, le fond du débat fut de bonne tenue entre deux débatteurs cultivés et charpentés idéologiquement. Il nous a permis de bien comprendre l'actuelle remise en cause du contenu du clivage traditionnel gauche / droite de la vie politique française. Car s'il y a toujours une droite et une gauche, elles ne sont pas là où on le croit.

Pour schématiser, il semble que le paysage politique français peut être décrit ainsi :

- le social-libéralisme : il va du centre-gauche au centre-droit (Hollande, Valls, Juppé et Bayrou) ; il est composé de ceux qu'on peut à présent appeler les conservateurs d'aujourd'hui, adeptes de la gestion rigoureuse des comptes publics, de l'ordolibéralisme européen et du modèle allemand ; ils proclament que le modèle français fondé sur l'Etat-providence est à défendre mais à la condition de l'adapter. L'Europe et la défense de l'Euro sont les moyens d'adapter la France aux défis du monde moderne.

- la droite-extrème : c'est une bonne partie de l'UMP qui soutient Nicolas Sarkozy. Certains sont même tentés par un rapprochement avec le FN. C'est un courant qui oscille entre le conservatisme et la réaction contre la société française actuelle. La France d'aujourd'hui est en train de se renier et elle est menacée de disparaître sous les coups de la mondialisation et de l'immigration incontrôlée. Il faut revenir à un modèle national et familial idéalisé afin de sauver et de retrouver la France éternelle. Paradoxalement, ce courant ne propose pas la sortie de la France de l'Union Européenne. Trop peur de l'aventure probablement.

- la gauche radicale : c'est le Front de Gauche, la gauche du PS (les Frondeurs) et une large partie d'Europe Ecologie les Verts (bel exemple d'unité de façade avec l'émission Des Paroles et des Actes du 4 décembre rassemblant Mélenchon, Duflot et Hamon). C'est la gauche traditionnellement réformiste qui a cessé d'être productiviste pour être écologiste. Sans réponses face à la désindustrialisation, elle se concentre sur les énergies renouvelables ; n'a peur ni de la dépense publique, ni des impôts qu'elle augmente toujours moins qu'elle n'accroît les dépenses ; du coup, elle repousse toujours à plus tard le désendettement. Elle réhabilite l'utilité de l'impôt et les services publics, mais elle perd des électeurs qui veulent les services publics sans les impôts. Elle a redécouvert le mot de nation, n'a pas peur de l'immigration et veut que l'Europe devienne française. Elle veut la VIème République car elle n'arrive pas à accéder au pouvoir sous la Vème.

- les extrèmes : l'extrème-gauche de Besancenot est nulle part sauf sur les plateaux de télévision ; l'extrème-droite de Marine Le Pen est partout à la fois : elle est aussi à gauche que Mélenchon et aussi à droite que Sarkozy. Elle maîtrise à la perfection la triangulation. Personne n'a fait mieux depuis De Gaulle. Sauf qu'elle sent le soufre et qu'elle ne rassemble que les aigris et ceux qui ont peur de tout, à commencer par tout ce qui est étranger à la France (immigrés, Islam, Europe, etc). Sa propension à ne s'allier à personne l'empêchera toujours d'accéder au pouvoir (sous la Vème République en tout cas). Ses idées en revanche peuvent y parvenir plus facilement.

Zemmour, l'homme qu'on aime détester, oscille entre Le Pen et Sarkozy. Face à Mélenchon, les sujets abordés furent la laïcité, l'Islam, l'immigration et l'Euro. Pour résumer, ils n'ont parlé que d'identité nationale. Et justement : si la seule question qui intéressait aujourd'hui les Français n'était pas de savoir qui ils sont ? Vote après vote, sondage après sondage, les Français semblent vouloir dire que répondre à cette question identitaire aujourd'hui est la clé de la solution à tous nos problèmes. Ce que des générations de politiques ont refusé de faire, Zemmour et Mélenchon l'ont tenté en esquissant un début de réponse, chacun avec leur vision du monde, de ce que doit être la France en 2014.

Pour Zemmour, sortir de l'Europe est la solution ; pour Mélenchon, transformer l'Europe en une grande France en est une autre. On n'a jamais été aussi proche d'une défiance généralisée de la classe politique contre l'UE. Ce qui semble cependant avoir été perdu de vue par les deux débatteurs c'est que ni l'une ni l'autre des solutions proposées n'apparaissent comme réalistes : une France isolée n'est pas viable, tandis qu'une Europe française est inimaginable pour les 27 autres membres de l'UE. L'Europe est à la fois le problème et la solution. Pour qu'elle soit la solution et plus un problème, il faut qu'elle change profondément. Mais pour cela, il faudrait des dirigeants politiques et des intellectuels qui réfléchissent au destin de l'Europe indépendamment des nations, dans le souci de l'intérêt général européen. Zemmour et Mélenchon ne sauront manifestement pas de ceux-là.

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