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Billet de blog 23 octobre 2025

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Marwan Barghouti n'est pas une baguette magique

La libération de Marwan Barghouti est évoquée avec insistance comme une des clés du règlement du conflit. Mais la ligne politique qu'incarne le « Mandela palestinien », est aux antipodes des renoncements qu'Européens, Américains et Etats Arabes exigent des Palestiniens.

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La question de la libération de Marwan Barghouti semble inscrite à l'ordre du jour international. Dans un entretien du 15 octobre, publié par le Time, le 22 octobre, Donald Trump a admis que c'est « la question du jour » et qu'il allait prendre une décision. On mesure au passage le pouvoir d'un Président des États-Unis sur ce dossier et, par contraste, la responsabilité des prédécesseurs de Trump dans le naufrage de ces dernières décennies.

Combler le vide du leadership palestinien

Le nom de Marwan Barghouti revient avec insistance pour remplacer Mahmoud Abbas démonétisé aux yeux des Palestiniens après avoir été l'agent docile de la coopération sécuritaire avec Israël et transformé l'Autorité palestinienne en régime autoritaire, policier, impuissant face à Israël et corrompu par les rentes de situation dont bénéficient ses apparatchiks.

L'absence d'un leadership crédible pour représenter les Palestiniens dans le processus de règlement en cours est effectivement un handicap. Pour appuyer sa ligne, Emmanuel Macron avait produit, en juin dernier, une lettre « d’espoir, de courage, de clarté » adressée par Mahmoud Abbas qui se conformait aux attentes françaises : il se disait favorable à ce que le Hamas « dépose ses armes » et « ne dirige plus Gaza », et que le futur État palestinien devra être démilitarisé. L'ambassadeur d'Israël en France avait beau jeu de douter de la valeur des engagements d'un leader palestinien sans légitimité. 

Le Vice-président de l'OLP qu'il a désigné le 26 avril dernier, pressenti comme son successeur, Hussein Al-Cheikh, n'a guère plus de crédit à l'intérieur. Vétéran du Fatah, passé durant dix ans par les geôles israéliennes, il a surtout été depuis 2007, la cheville ouvrière de la coopération avec Israël. Il hériterait ainsi, avec la fonction, de l'impopularité de Mahmoud Abbas. Ce qui n'en fait pas le candidat idéal pour rassembler les factions palestiniennes et entraîner derrière lui l'opinion palestinienne.

Marwan Barghouti, lui, remporterait sans difficulté une élection présidentielle s'il pouvait être candidat. Il apparaît dès lors comme l'homme de la situation. Il a été partisan d'un compromis et un protagoniste loyal du processus de paix, puis l'organisateur du retour à la résistance populaire de la deuxième Intifada en 2000, quand il est paru évident que les Israéliens le sabotaient et poursuivaient la colonisation. Accusé par Israël d'avoir commandité des attentats, il a été arrêté en 2002 et condamné à cinq peines de réclusion à perpétuité.

L'homme de la fidélité

Il est devenu un symbole dans l'opinion palestinienne et baptisé le « Mandela palestinien ». Si la question de sa libération est évoquée même par Donald Trump, c'est qu'il pourrait jouer un rôle dans une résolution durable du conflit, en unifiant derrière lui, les diverses factions palestiniennes et l'opinion palestinienne.

Il est certain que si les Israéliens avaient sincèrement cherché une solution, ils l’auraient libéré depuis longtemps pour entamer un processus de négociation sérieux. Mais qu'attend-on de lui exactement aujourd'hui ? Sa libération est-elle la baguette magique pour aboutir à « la paix » ?

Malheureusement, non seulement les Israéliens ne l'ont pas libéré, mais ils se sont employés à le briser. Torturé, battu à des multiples reprises, placé en isolement, humilié par Ben Gvir devant les caméras. Au-delà du symbole, quel homme sortirait de cet enfer ?

Mais surtout, espérer qu'il mette son crédit au service du schéma institutionnel que dessine l'articulation de la Déclaration de New York et du Plan Trump pour Gaza, c'est ignorer la ligne politique qu'il incarne.

Son crédit et sa capacité à fédérer les factions palestiniennes, y compris le Hamas, c'est précisément parce qu'il incarne la fidélité aux objectifs initiaux du mouvement national palestinien. En captivité, avec un groupe de détenus de diverses obédiences politiques, il est à l'origine de ce qui est appelé le document d'entente nationale, dit le "document des prisonniers", le 27 juin 2006.

Même si la situation a changé depuis, ce document de référence resterait certainement sa boussole. Cela vaut donc la peine de rappeler ses grandes lignes : 

  • l’imprescriptibilité de nos droits nationaux
  • le refus de reconnaître toute légitimité à l'occupation
  • l’opposition à toute solution unilatérale
  • l'édification d'un État souverain sur l'ensemble des territoires occupés depuis 1967
  • La garantie du droit au retour
  • libérer des otages et des prisonniers sans exception
  • le droit du peuple palestinien à résister par tous les moyens à l'occupation
  • l'intégration de tous les mouvements et de toutes les factions dans l'OLP
  • le refus du mur de séparation, de la judaïsation de Jérusalem, des colonies, de la confiscation de la vallée du Jourdain
  • l'application des décisions de la Cour internationale de Justice sur l'illégalité du Mur et de la colonisation
  • L'application de la résolution 194 du Conseil de sécurité des Nations sur le droit au retour et à l'indemnisation des réfugiés [condition mise par les Nations unies en 1949 à l'admission de l’État d'Israël comme membre de l'ONU].

L'Autorité palestinienne a certes continué à se réclamer de ces principes, mais de manière tellement incantatoire qu'elle y a perdu son crédit.

Un projet aux antipodes des attentes palestiniennes

C'est se bercer d'illusion que de croire que Marwan Barghouti  pourrait mettre de côté la ligne politique réaffirmée par ce document pour avaliser une « solution à deux Etats » que cherche à promouvoir l'initiative franco-saoudienne, énoncée dans la déclaration de New York et approuvée par l'Assemblée générale des Nations unies, mais scellerait « l'abandon du Droit international » : un État démilitarisé, avec une souveraineté diminuée, sur un territoire amputé de l'emprise des colonies israéliennes et du réseau routier qui les relie au territoire israélien, où les expressions politiques seraient limitées, qui serait soumis aux orientations économiques de ses bailleurs, qui évacue la question des réfugiés dans une formule vague. Le texte condamne toute forme de résistance, n'évoque à aucun moment les avis et résolutions des Nations unies, non appliquées concernant le mur, l'occupation...

Quant au plan Trump, il constitue en réalité un plan d'administration coloniale de la bande de Gaza sous la supervision d'un « Conseil de paix » qui revient au mandat sur la Palestine confié par la Société des Nations en 1922. La Force de stabilisation internationale déployée dans la zone évacuée par l'armée israélienne, sous-traiterait en réalité, pour le compte d'Israël, la démilitarisation du Hamas, sous supervision américaine. Même constituée de troupes arabes et musulmanes, elle ne serait pas autre chose qu'une force d'occupation aux yeux des Palestiniens. Les zones dites sécurisées, d'où Israël se retirerait progressivement, passerait sous le contrôle d'autorités et de forces, totalement inféodées aux israéliens et  deviendraient le terrain d'opérations foncières lucratives. 

Ce monstre institutionnel est aux antipodes de la ligne poursuivie par le mouvement national palestinien, qu'incarne Marwan Barghouti. C'est se méprendre sur ce qu'il représente que de croire qu'il accepterait de cautionner ce projet et les renoncements européens et arabes. Le nom de Marwan Barghouti  ne sera pas une baguette magique pour transformer en or, cet alliage douteux.

Leçons sud-africaines

C'est aussi aussi vider de son contenu le symbôle que constitue Nelson Mandela. Certes, il est parvenu à réunir (difficilement) les forces anti-apartheid et la nation sud-africaine pour dépasser les conflits et les traumatismes. Mais s'il a pu réussir, c'est que tout ne reposait pas sur sa personne.

Pour qu'il y ait un Mandela, il faut qu'il y ait un De Klerk, prêt à s'engager sincèrement dans un processus de transformation du système politique. Ce dernier n'a pas cherché à maintenir certains aspects de la ségrégation, certains privilèges dans le nouveau régime. 

Il existait une volonté collective de s'amender (à part dans une frange de la société). La pression internationale, le boycott, ont joué un rôle essentiel dans cette conversion et l'acceptation d'un nouveau système. 

Un Mandela n'est rien sans un De Klerk, sans une volonté collective de s'amender. Barghouti libéré, il serait face à une société israélienne plus raciste que jamais, des messianistes persuadés de tenir leur victoire, et qui, sans une pression maximale et la certitude de l'impossibilité de réaliser leur délire, n'ont aucune raison de concéder quoi que ce soit.

Pour que Marwan Barghouti puisse répondre aux espoirs qu'on place en lui, il faudrait non seulement réviser sérieusement le schéma proposé, mais aussi qu'il existe un leader israélien capable de s'engager sincèrement (et non comme Rabin, qui ne concevait l'Etat palestinien que comme un sous-traitant de la sécurité d'Israël, et n'a rien fait de substantiel pour arrêter la colonisation) pour créer les conditions d'un Etat palestinien, démanteler l'ensemble des dispositifs discriminatoires qui constituent l'apartheid israélien. Et donc commencerait par reconnaître qu'il existe.

Il faudrait que les parrains du processus de paix, souscrivent à la vision palestinienne de l'histoire, adoptent sens réserve le bienfondé de leurs droits, révisent leur propre rôle dans la tragédie palestinienne et revoient leurs relations avec l'Etat d'Israël. Et n'envisagent pas la création d'un Etat palestinien que comme une manière « d'isoler le Hamas », ou de garantir la sécurité des israéliens.

Sans ces conditions, Barghouti ne pourrait pas grand-chose, sans pouvoir trancher pour lui, je devine qu'il renoncerait probablement à jouer le rôle qu'on rêve de lui assigner : amener les Palestiniens à acquiescer à leur domination. 

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