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Billet de blog 26 août 2025

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Diabolisation de La France Insoumise, saison 5

L'essentiel de la couverture médiatique n'a retenu des AMFiS que le refus d'accréditation du co-auteur de La Meute et hissé l'étendard de la liberté de la presse outragée. Une attention trop insistante pour être honnête.

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Instructive expérience que de prendre part à un événement, en l'occurrence les AMFiS (l'université de La France insoumise) et d'en voir ensuite les échos médiatiques. 

Alors que nous sommes en plein débat sur un « massacre » budgétaire, à quelques semaines d'une mobilisation sociale d'ampleur, alors qu'Israël affame Gaza, déroule son plan de nettoyage ethnique, annexe la Cisjordanie, que la mobilisation autour des forces politiques de gauche butte sur des questionnements stratégiques essentiels (comment dépasser l'opposition factice entre luttes "culturelles" et luttes sociales ? comment sortir l'écologie de son ghetto électoral urbain ?), autant de sujets qui étaient au cœur des dizaines de conférences tenues durant trois jours, auxquelles ont assisté 5000 personnes (autant que l'an dernier soit-dit en passant), l'essentiel de la couverture médiatique n'a retenu que le refus d'accréditer Olivier Pérou, journaliste du Monde, mais surtout co-auteur de La Meute.

Une enquête à charge

Et voilà qu'après « LFI pro-Poutine », « LFI antisémite », « LFI secte », « LFI contre les juges », s'est ouverte la saison « LFI contre les journalistes » (ou les médias, la classe médiatique, selon les articles). 

La Meute était une enquête à charge, outrancière, le titre même est insultant, le qualification de « secte », de membres subjugués par un gourou où qui parleraient de tout sauf de politiques est digne de la presse stalinienne à ses pires heures, ou d'extrême droite. Les contre-vérités, l'absence de vérification contradictoire, les attaques à la vie privée sont contraires aux fondements de la déontologie de la profession. Ce n'est pas une enquête journalistique, c'est un pamphlet. (D'autres partis pourraient faire, j'en suis sûr, l'objet de révélations largement aussi croustillantes, et Les Rapaces, de Camille Vigogne Le Coat sur la gestion de la ville de Fréjus par le RN, force politique montante aux portes du pouvoir, est loin d'avoir fait l'objet du même battage).

Qui a peur de LFI ? 

C'est évidemment un travail en service commandé dont l'intention est claire : casser LFI. Au profit de qui ? Qui a peur de LFI ? 

LFI a réussi en quelques années à remobiliser un électorat dont l'éloignement de la politique et l'abstention électorale sont indispensables aux forces politiques qui représentent ce que Bruno Amable appelle « le bloc bourgeois » qui veulent imposer une conversion de la société au néo-libéralisme à marche forcée tout en étant minoritaires.

Leur salut politique est d'être la seule alternative à l'extrême droite et de dégoûter suffisamment les électeurs potentiels de la gauche pour qu'ils s'abstiennent, ou de les diviser suffisamment pour qu'ils ne puissent pas peser dans l'équation et n'avoir d'autre choix que de voter pour « le moindre mal » (qui en réalité n'a fait que l'amplifier d'élection en élection).

LFI a réussi là où toutes les autres formations de gauche ont échoué depuis trente ans, articuler les luttes de terrain, la représentation institutionnelle et le travail théorique critique, tout en renouant avec le succès électoral. Une force qui ne gêne pas qu'à droite.

Même à gauche, la collection de formations qui accumulent depuis des années les déconfitures électorales, remises à flot par la NUPES puis le NFP, et qui voudraient à présent s'affranchir d'un Mélenchon et d'une France Insoumise, trop encombrants et parfois discutables, espère profiter de l'aubaine pour réhausser leur audience. 

Il y a donc une convergence d'intérêts pour diaboliser LFI, l'isoler et l'exclure de l'arc républicain (jusqu'à ce qu'on en ait besoin pour battre le RN au deuxième tour).

Saison 5 : « LFI contre les journalistes »

La Meute a bénéficié d'une promotion médiatique rarement vue pour un livre politique. La même presse s'est donc emparée avec gourmandise de ce micro-événement, un journaliste pas accrédité (un autre de la même rédaction l'aurait été sans problème) pour relancer une nouvelle saison de diabolisation : avec cette fois pour thème « LFI est contre les journalistes ».

Ce n'est pas la critique de LFI, dont il est légitime de discuter les positionnements, les pratiques ou la stratégie, que a volonté de nuire qui inspire l'ouvrage qui est en cause.

Etait-il judicieux de lui refuser pour autant l'accès en tant que journaliste ? Au vu de ce qui précède, sur le principe, cela se discute. Comme journaliste, je ne suis pas très à l'aise avec la pratique, mais si j'avais fait un tel travail, je n'aurais pas forcément le culot de me pointer. Tactiquement, en tout cas, c'était évidemment une erreur. Son pouvoir de nuisance, s'il avait couvert les AMFiS, aurait fait moins de dégâts que la campagne déclenchée par son refus d'accréditation. A moins qu'il n'ait trouvé dans le déroulement de l'événement matière à alimenter la diabolisation. 

Effet, donc, de « la circulation circulaire de l'information », tous les éditorialistes, tous les articles sur les AMFiS entonnaient en chœur le couplet sur « l'atteinte à la liberté de la presse » ! Même L'Huma ! Et Plenel (pardon Médiapart) de faire le parallèle avec l'extrême droite ! Pas un article qui ne mentionne ce fameux refus d'accréditation (toute proportion gardée, c'est un peu le « condamnez-vous le 7 octobre ? » posée à toute voix en faveur des Palestiniens), même la passionnante interview de Julien Talpin, sociologue et coordinateur de l'ouvrage Nouveau peuple, nouvelle gauche) n'échappe pas à ce hors sujet. On admirera la capacité de hiérarchiser l'importance des sujets.

Il fallait aller voir le site Reporterre pour lire une recension portant réellement sur le contenu de l'événement. Reporterre qui, au passage, avait fait les frais d'un refus d'accréditation de la part de la campagne présidentielle d'Emmanuel Macron en 2022 sans susciter autant d'émoi.

La légitime critique des médias

LFI  « contre les journalistes » donc. On ne peut être de plus mauvaise foi. Ce n'est pas « les médias », et encore moins « les journalistes » qui sont attaqués. D'autres journalistes pourtant peu complaisants, ont été admis et ont pu travailler sans entrave.

Ce qui est en cause c'est le biais évident, documenté avec ténacité par Acrimed , de certains titres, stations ou chaînes dont les interêts sont oganiquement liés à ce « bloc bourgeois ». Le lancement du candidat Macron, le mépris des Gilets jaunes, la dédiabolisation du RN, le silence sur le génocide à Gaza et la reprise du narratif israélien, la place hégémonique accordée aux économistes « orthodoxes », les interviews en forme de procès de toute voix dissidente... et dans la même veine, la promotion de La Meute et la diabolisation de LFI, tout cela justifie amplement la critique. La ramener à une « hostilité aux médias » est une défense piteuse, mais classique.

Malheureusement il faut s'habituer à ces détournements d'attention.

Ce j'ai vu aux AMFiS vaut infiniment mieux que cette attaque mesquine. Des réflexions en prise avec une époque difficile, des cadres solides dans leur tête qui maitrisent leur sujet, capables de réflexions stratégiques de haut vol, des militants de longue date qui trouvent enfin un cadre politique dans lequel ils se reconnaissent, après avoir été longtemps orphelins de représentation. Ce qui est devant nous, c'est la nécessité de reconquérir l'hégémonie des idées et d'ouvrir d'autres perspectives que la brutalité capitaliste et raciste aujourd'hui conquérante. 

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