"À la fois chronologique et thématique, le propos retrace les différents moments de la réception critique et artistique de l’oeuvre de Picasso, les étapes de la formation du mythe associé à son nom. Aux grandes phases stylistiques, à certaines oeuvres emblématiques de Pablo Picasso, telles que Les Demoiselles d’Avignon et Guernica, répondent les oeuvres contemporaines de David Hockney, Jasper Johns, Roy Lichtenstein, Martin Kippenberger, Andy Warhol, Jean-Michel Basquiat ou encore Jeff Koons."
C'est justement là que le bât blesse: la réception critique et artistique est totalement absente de l'exposition, et révélant ainsi sa véritable nature: une tentative de légitimation de l'art contemporain.
Car la réception artistique de Picasso, son influence explicite, visible, repérable sur l'histoire des formes, sur les artistes et leur oeuvre, je veux dire les artistes contemporains de Picasso, dès le cubisme - sont totalement absents ici. Quid de l'influence cubiste propre à Picasso? De ses éventuels disciples, ou artistes très marqués par lui: Masson, Edouard Pignon, Pollock pour n'en citer que quelques-un. L'histoire de la diffusion de l'influence cubiste propre à Picasso serait plus longue encore, mais le style picassien suffirait déjà.
Alors que cherche-t-on si le travail historique n'est même pas effectué contrairement aux buts affichés de l'exposition, sinon en limitant son influence à la fin de sa vie?
À nous dire très clairement que la voie de la création artistique se poursuit, que les artistes pop et les peintres d'aujourd'hui ne déméritent pas, la coupure duchampienne n'existe pas, elle est même escamotée, comme le dadaïsme et le surréalisme pourtant à l'origine du pop.
Ainsi les tableaux de Picasso sont à chaque fois regroupés sur un mur, cadre contre cadre, et en effet dès le début le lien pourtant distandu avec Erro, peut se faire, Erro s'étant fait connaître pas ses accumulations d'images repeintes, que ce soient des comics ou des images de pub: ici ce sont des Picasso alignés, comme la soup cambell de la présentation juste avant. Erro n'a aucun propos plastique.
C'est quand même extraordinaire de nous montrer l'un des plus grands créateurs de formes, l'auteur d'un des plus grands styles du XXème siècle en compagnie exactement du contraire, des artistes qui se sont ingéniés à parodier, à jouer sur les codes, à faire des effets de matières.
On en vient à se demander si ce genre d'exposition légitimante, ne témoignerait pas au fond d'une sorte d'inquiétude quant au bien-fondé de l'ordre artistique contemporain.
Autre chose, une autre démonstration semble avoir été faite: lorsque Guernica est évoqué à travers un documentaire : ce dont il est facile de se persuader, c'est que le nom de "Guernica" est arrivé très tôt à désigner la peinture et non plus le crime de guerre. Voilà qui fait historiquement question. Pourquoi? parce que l'oeuvre de Picasso n'a strictement rien à voir avec un musée des horreurs, les cadavres des jeunes victimes du bombardement de la ville suffisent à le faire voir. Or l'art contemporain s'est très tôt spécialisé dans le trash, le crad, le grand guignol à l'américaine, développant une des branches du surréalisme. Picasso n'a justement rien à voir avec ça. Il a tout à voir avec le beau. L'harmonie plastique chez lui se maintient de bout en bout et c'est même une caractéristique du grand art. Non que nous nous soyons habitués à sa beauté dite convulsive: la violence des formes exprimées, montrées, se fait toujours d'une manière picturale, formelle et plastique:il invente des formes et elles sont toujours équilibrées, dans leur puissance même. Alors on cite Picasso : "l'art ne peut être qu'érotique". C'est une citation datant d'une époque où la censure sévissait encore, où la cause de l'érotique avait partie liée avec la cause picturale. Du reste je m'attendais à voir les chairs et les sexes de la période d'Avignon or le "tableau" des petits Picasso accumulés ne montrent rien de ces scènes érotiques. Un lien pornographique, certes non pictural, aurait pu être établi. Avec David Hockney, l'absence de grands formats de Picasso, un comble, facilite les choses, la petite reproduction photographique d'un nu couché de Picasso conservé à Beaubourg, nous laisse imaginer quel démenti aurait réprésenté ce nu à côté des imageries de David Hockney. Alors il y a ses polaroïds: serait-ce du cubisme? et polyfocal? Evidemment si on définit le cubisme comme cela au lieu d'en faire un style géométriste intégral favorisant la structure, les arêtes, les plans, on peut faire encore de nombreuses analogies de ce type. L'art égyptien est un géométrisme que l'on pourait dire minimaliste, si le minimalisme justement n'était pas le nom donné à l'art conceptuel de la géométrie qui s'acharne à répéter les formes les plus simples sans registre plastique, privilégiant l'exécution impersonnelle, et la conception sur l'effectuation. Mais vous avez les styles picturaux les plus géométrisants qui soient avec Uccello et Piero della Francesca. Et plus près de nous, bien sûr, Mondrian et Malévitch.
Il y a un tableau de Richard Prince synthétisant avec finesse et invention des fragments de nus photographiés et des dessins à la Picasso, illustrant le véritable style "postmoderne" gâché lors de son apparition. Mais ce tableau ne tient pas ses promesses, le reste de la production de Richard Prince concernait la photographie des petites pépées. Il aurait dû aussi peindre à la manière de Degas, les bustes simplement photographiés de son montage qui m'a semblé assez réussi sur le moment, les liens auraient été encore meilleurs. Le registre picassien est trop durement associé dans ces nus féminins, les subtilités d'intégration manquent.
Alors il y a ces portraits que les peintres ont réalisé de Picasso. Ce n'est pas un signe d'appartenance ou de lien à la grande stylistique de Picasso. J'en veux pour preuve l'autoportrait de Picasso de la période bleue, qui ouvre l'exposition, ou plutôt qui suit les vidéos des artistes, avouant à qui mieux mieux leur (fausse) dette à l'égard de Picasso, on aime Gehry et Agnès Varda, mais enfin. Le petit autoportrait bleu de Picasso date d'une période pré-picassienne, sous l'influence d'un Lautrec par exemple. La bouille de Picasso ne tient pas lieu de picassisme.
Musée des horreurs contemporaines:
L'album d'hommages à Picasso dirigé par Hamilton, était déjà un enterrement en ce qu'il comprenait un très grand nombre d'artistes pop ou apparentés, Picasso n'aurait pas aimé, il est mort avant. Edouard Pignon et Masson les seuls ici à pouvoir prétendre avoir un lien avec le maître espagnol, figurent dans l'album du fondateur du pop art, mais noyés dans cet étalage sur le mur.
Un allemand, une relation de Gerhart Richter à ses débuts, fait aussi des photo-peintures, là un portrait de Picasso, une photo parfaitement imitée en peinture, qui trompe tout le monde.
On instrumentalise Jean-Luc Godard, dont je suis un inconditionnel, la peinture de Picasso comme celle d'autres peintres n'existent que sous forme d'affiche ici ou là dans les décors de ses films. Jean-Luc Godard du reste est convoqué mais ne témoigne pas de ses rapports avec Picasso, il n'est pas dans l'installation vidéo qui accueille le public. Ni Orson Welles!
On invente la catégorie de "cubo-surréalisme", décidément il importe absolument d'arrimer le surréalisme à la peinture de Picasso, on sait ce qu'il en est. Picasso n'a jamais été surréaliste. Les formes rondes, les blocs polis rassemblés en agrégats de ces figures féminines en ces années-là, ne dépare jamais de son grand registre formel, toujours absolument plastique. Alors qu'il n'y a aucun registre plastique propre au surréalisme: qu'on se le dise une fois pour toute, comme le pensait Duchamp: il n'y a pas de peinture surréaliste. Une imagerie seulement.
On enrôle -on a déjà enrôlé aussi le dernier Picasso dans la Bad Painting, ce faux retour de la peinture. Là encore quel contraste entre ces Picasso d'une grande fraicheur et ce qu'il y a autour. Ses chef d'oeuvres font le vide autour d'eux.
"Rineke Dijkstra
Photographe néerlandaise née en 1959, Rineke Dijkstra travaille dans une veine documentaire qui renouvelle
le genre du portrait. Subtile et percutante, son œuvre prend la forme de photographies grand format ou
de vidéos au pouvoir hypnotique, qui captent les fragilités liées aux métamorphoses du corps (adolescents
sur la plage) ou aux épreuves d’une expérience intense (femmes après un accouchement, matadors après
la corrida). Caractérisées par une grande frontalité et un certain dépouillement, ses images sont autant
de mises à nu de leurs modèles. Résonnant avec l’expérience singulière du spectateur, elles font surgir,
paradoxalement, une universalité monumentale et vibrante."
Elle renouvelle le genre du portrait: même Montaigne (peinture de soi) et Rousseau (peinture offerte à Dieu), n'ont eu l'ambition de renouveler l'art du portrait... pictural. Car il s'agit de cela, de l'oubli de la peinture comme création de formes, cette perpétuation de la forme est une autre définition de l'art contemporain. Le style photographique inventé avant le procédé technique par Holbein, ne fut pas non plus une réinvention du portait.
Adel Abdessemed enfin réagit à sa façon, il a tout compris: il nous fait un choc et une convulsion, en écho à Guernica, Who’s afraid of the big bad Wolf ? une tartine d'animaux naturalisés, empilés, très bien cet art des bonnes causes quant on n'a rien à dire. Suite du lexique: art des bonnes causes = art contemporain.
Et dire que le nom de l'expo provient de Picasso lui-même: "Vous continuerez longtemps à peindre ? – Oui, parce que pour moi, c'est une manie." Ici on a voulu faire de Picasso une marotte de l'art contemporain. C'est une vraie manie cette façon d'embrigader les grandes références picturales dans ce qui leur sont le plus étranger. On va finir par croire que Je n'est plus un autre avec ces gens-là.