Le Palais de Tokyo
"En 2002, il s’agissait d’ouvrir un lieu pour les artistes dits émergents. Qu’en est-il maintenant ?
Jean de Loisy poursuit: "Au début du XXe siècle vivaient en même temps Picabia, Duchamp, Renoir, Degas et Monet, des gens qui ont inventé ensemble une époque. Je veux montrer des constellations de cet ordre. Moi qui suis pour la non-séparation sur 40 000 ans, je ne vois pas pourquoi je le ferais sur 70 ans. Je refuse de voir les fragments d’un ciel. Il n’y a aucune raison de séparer les jeunes des vieux, et il n’y aura aucun lieu spécifique. En revanche, la passion pour l’émergent, pour l’artiste inconnu est intacte. On va réaliser une vingtaine d’expositions par an de très jeunes artistes inconnus."
Au vrai, la question des générations cache mal celle de la rupture dadaïste, car Duchamp est aussi le contemporain de Picasso, Matisse et Mondrian. la démarche de notre Jean de Loisy fait partie de l'immense entreprise de travestissement historique visant à confondre la peinture pure et l'anti-art, la plastique et l'art d'installation.
Le "processus" plutôt que "l'objet", ou "l'objet" plutôt que l'oeuvre peinte ou sculptée, voilà un échantillon des notions assurant le recouvrement théorique, un maquillage conceptuel de la rupture duchampienne qui a triomphé au point de constituer l'alpha et l'oméga de l'approche artistique contemporaine. Le "processus" est une idée qui établit l'équivalence "plastique" entre la performance et le tableau. Kaprow autrefois l'avait bien compris avec son sophisme de l'environnement qu'il a développé en se servant de la manière de peindre bien connue de Pollock. Celui-ci en peignant à même le sol et en dansant au-dessus des toiles avec ses dripping prolongerait l'art jusqu'à ses atours et ses à-côtés: l'art d'environnement était né ainsi que la performance ou le happening -la déduction du happening à partir de la peinture semblait faite. Depuis, tous ces duchampiens d'Etat à la tête des musées et des expositions dans le monde entier poursuivent en réalité la même opération, ils s'appliquent indéfiniment à brouiller les frontières entre l'art conceptuel et la peinture de nature purement plastique.
Picasso et Duchamp même combat.
Nous sommes au contraire pour une ligne de partage fondamentale.
INTERVIEW | 10 avril 2012
«Je veux donner accès à l’œuvre en train de se faire»
Par Sylvain Bourmeau
Jean de Loisy, président du Palais de Tokyo, explique ses ambitions pour le lieu.
"Critique et commissaire d’exposition d’envergure internationale - notamment pour «la Beauté» en 2000 à Avignon, Anish Kapoor au Grand-Palais l’an dernier, et «les Maîtres du désordre» qui démarre aujourd’hui au Quai-Branly-, Jean de Loisy est président du Palais de Tokyo. Il dévoile les grands axes de sa politique."
"Les maîtres du désordre", exposition thématique sur l'art chamanique, permet grâce à la formule de l'exposition thématique, de glisser en contrebande certains maîtres du désordre institutionnel en art: Annette Messager, Thomas Hirschhorn, ou des peintres sans propos, Jean-Luc Verna, surréalisant à loisir, mélangeant les genres, sacrifiant à la loi du mélange des genres qui se pratique toujours ici, en capturant l'immense création plastique de ces arts premiers qui ont la réputation d'être assez éloignée du formalisme, ou dont l'intention ne serait guère animée par la forme pure. Ce qui est contestable: les sculpteurs dogons les plus talentueux étaient très recherchés, par exemple. "L'informe", le "primitif", est indispensable au détournement surréaliste et anti-plastique de l'art africain et océanien. L'art conceptuel a un besoin vital de primitivisme et de corporéité spectaculaire. Redécouper la plastique dans les arts non occidentaux comme l'ont fait les cubistes et les fauvistes, avant tout le monde, est l'opération inverse, une position exactement contraire à l'entreprise de confusion. Le Pop pour les arts non occidentaux d'aujourd'hui, achèvera d'anéantir la création plastique africaine ou océanienne, celle des Inuits ou des américains précolombiens. Le Pop chinois, indien, arabe, ou africain est un dadaïsme folklorique, une contribution au dadaocapitalisme international, zéro plastique.
"Enrichir l'écosystème de l'art"
LE MONDE | 23.02.2012 à 13h36 •
Propos recueillis par Emmanuelle Lequeux
"Comment allez-vous marquer votre différence ?
Jean de Loisy: Ce Palais n'est pas destiné à une seule génération, nous avons une responsabilité vis-à-vis de tous les artistes. Il faut se rappeler que Renoir et Degas étaient contemporains de Malevitch et Duchamp. Dans le ciel que nous avons la responsabilité d'observer, nous devons être attentifs à l'éclat de toutes les planètes. De vénérables artistes comme Julio Le Parc ou Hans-Walter Müller côtoieront ainsi des tout jeunes comme Benoît Pipe, Maxime Rossi ou Cécile Beau."
Pas un peintre.
"Contemporain" est devenue une notion temporelle qui rassemble les éléments foncièrement hétérogènes en provenance du passé, comme la peinture moderne et le dadaïsme. Derrida ne se méfiait-il pas du contemporeanus, du cum tempus, écrire ne consiste-il pas à n'être surtout pas contemporain? "On n'écrit qu'au moment de fausser compagnie au contemporain", dixit Derrida, a fortiori en peinture. Monet est-il le contemporain de Picasso et Degas celui de Duchamp? Rien de plus confus. Il n'y a pas de constellation s'il n'y a pas un registre plastique, un style d'époque pour rassembler les artistes.
Jean de Loisy a lu Derrida: il aime la contagion. D'où peut-être l'exposition des poisons que l'on trouve dans la palette du Radeau de la Méduse, arsenic, cyanure, mercure etc. La contagion par l'art est la preuve qu'on aime l'art dit Loisy sur BFM le 12/04/12
Lorsque Jean de Loisy parle d'exposer 50% d'artistes français au Palais de Tokyo il faut comprendre des artistes travaillant en France. D'où l'albanaise vidéaste représentant la France à la Biennale de Venise en 2013, après un chinois en 1999. Pourquoi pas, mais... Oublions la cocarde, de grâce!
Loisy aime la porosité entre les arts et renvoie aux années 1950 lorsque Trisha Brown et Rauschenberg travaillaient ensemble, il espère retrouver cet esprit ... Il est vrai que la pénétration de l'art contemporain dans les arts du spectacle avait disparu ainsi que le mélange des arts...
"Le public va découvrir plusieurs oeuvres créées pour le bâtiment et destinées à y rester pendant un an environ. Christian Marclay, plasticien américano-suisse qui a obtenu le Lion d'or de la Biennale de Venise en 2011, a imaginé des "vitraux" pour les fenêtres du restaurant proche de l'entrée. Elle sont couvertes d'onomatopées de bandes dessinées. C'est "le son de la vie qui revient" au Palais de Tokyo après plusieurs mois de fermeture, explique M. de Loisy.
Le visiteur rencontre ensuite une oeuvre de Maria Loboda, d'origine polonaise, dont les pigments sont composés de poisons distillés (arsenic, cyanure, mercure...). "J'ai besoin que l'on sente le caractère venimeux de l'art", déclare M. de Loisy. "L'art transforme, sauve ou détruit".
Une spectaculaire sculpture du Belge Peter Buggenhout "The Blind leading the Blind" (L'aveugle guidant l'aveugle) est suspendue au-dessus de l'escalier. "C'est la stupeur. Il faut rentrer dans l'oeuvre en acceptant l'obscur", souligne M. de Loisy, qui a été commissaire de nombreuses expositions et notamment de la Monumenta d'Anish Kapoor au Grand Palais en 2011."
Au Palais de Tokyo en cette année 2014, les expositions thématiques vont bon train, symptôme de l'absence de style en art, et les théoriciens s'exposent, mélangeant les arts et les pensées, Didi-Huberman déclinant son Aby Warburg, Thomas Hirschhorn installant la banlieue interactive dans le musée, et faisant se rencontrer les artistes, le public et 200 intellectuels invités, on ne sait lesquels d'aileurs, lui le portraitiste de Deleuze au moyen de sacs poubelles, en banlieue, ancien lauréat du prix Marcel Duchamp, ce prix existe, vous le savez, ce n'est pas une blague.
Un de nos portraits de Derrida figurait sur le site en construction de l'Adiaf, en 2002, Association pour la défense internationale de l'art français, association de collectionneurs, il s'agisait de créer un musée virtuel sur le thème: "la peinture a-t-elle un avenir?" Le site fut laissé en friche pendant 2 ans, peu d'artistes, on supprime les Beaux-arts de Paris de notre biographie, etc. Le musée virtuel fut donc sinistré par ses concepteurs. Il faut savoir que L'Adiaf est à l'origine de ce prix Marcel Duchamp qu'elle décerne depuis deux décennies.
Les révolutionnaires du désordre organisé ou les maîtres de la confusion sont donc au pouvoir.
Il faut "plastiquer les musées d'arts plastiques", écrivait Derrida. "Il faut faire sauter tous les musées d'arts plastiques", disait-il plus précisément au Moma. Les musées duchampiens. Les musées d'art conceptuel. Quelques peintures suffiront, la peinture: un anti-readymade.
Septembre 2014