Dès l’amont, ce mouvement s’est construit par le numérique : hashtags comme #10Septembre ou #BloquonsTout, groupes Telegram, vidéos virales sur TikTok et Facebook ont donné une existence médiatique et collective à une contestation avant même que ne défilent les premiers cortèges.. Cet ordre inversé traduit le changement d’époque et montre que les mobilisations se forgent d’abord dans l’espace algorithmique, qui amplifie hiérarchise la colère en fonction de sa viralité plutôt que de sa profondeur sociale.

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Ce modèle tranche avec l’expérience des Gilets jaunes. Le gilet fluorescent avait cristallisé une fracture sociale et territoriale ancienne, visible sur les ronds-points et dans les périphéries oubliées.
C’était un mouvement inédit, porté par un symbole tangible, immédiatement identifiable. Le 10 septembre, au contraire, n’a ni objet fédérateur ni enracinement territorial. Il repose sur une construction numérique, fragile, mouvante, dont la cohésion dépend de codes viraux et d’algorithmes plus que d’une base populaire organisée. Là où les Gilets jaunes incarnaient une colère enracinée, le 10 septembre reflète une colère fluidifiée et recomposée par le numérique.
Les services de renseignement territorial en sont conscients, le risque sécuritaire ne réside pas uniquement dans la taille des cortèges, mais dans l’opacité structurelle du mouvement.
La contestation du 10 septembre échappe aux logiques classiques d’encadrement et de prévision, ce qui rend son anticipation presque impossible. Les profils mobilisés sont éclatés, souvent liés aux mouvances d’extrême gauche, avec des relais numériques qui favorisent la radicalité et qui peuvent, par glissements successifs, transformer la colère sociale en violences urbaines.
Ce caractère instable attire d’autant plus l’attention qu’il constitue une opportunité pour les stratégies d’ingérence étrangère. Les campagnes informationnelles hostiles, venues de Russie ou d’autres acteurs, savent exploiter ces failles, elles recyclent les hashtags, accentuent artificiellement la visibilité des colères et alimentent la défiance vis-à-vis des institutions. Dans un contexte géopolitique marqué par l’Ukraine, Gaza ou les tensions sino-américaines, la rue numérique française peut devenir une caisse de résonance pour des conflits extérieurs, fragilisant la cohésion nationale.
Les médias, en relayant le 10 septembre plus d’un mois avant son avènement, ont également contribué à amplifier le phénomène. Les chaînes d’information en continu et la presse écrite, en parlant sans cesse de cette date, ont donné une visibilité disproportionnée à une mobilisation dont la réalité dans la rue reste encore incertaine.
Là encore, c’est le paradoxe de la contestation hybride : l’événement existe d’abord comme objet médiatique et numérique, avant d’exister comme fait social concret.
Le 10 septembre diffère donc profondément des Gilets jaunes. Ce n’est pas un mouvement surgissant du territoire, mais un phénomène informationnel, porté par des codes numériques et susceptible d’être déstabilisé ou récupéré de l’extérieur.
Sa dangerosité n’est pas dans son ancrage social, mais dans son imprévisibilité, sa plasticité et sa vulnérabilité aux manipulations informationnelles.
En ce sens, le 10 septembre est un révélateur stratégique. Révélateur d’une rue désormais numérique, où les hashtags remplacent les banderoles. Révélateur d’une contestation qui peut être instrumentalisée, par des mouvances radicales ou par des puissances étrangères, dans une logique de guerre hybride. Révélateur des limites des outils classiques de gestion de crise, incapables de suivre le tempo accéléré des réseaux sociaux et de l’information en continu.
Le 10 septembre sera peut-être une mobilisation de faible ampleur dans les rues. Mais il est déjà une étape dans la transformation des contestations françaises : celles-ci ne se mesurent plus seulement en nombre de manifestants, mais en intensité informationnelle, en capacité de viralité, en potentiel d’instrumentalisation.
C’est à ce titre qu’il mérite d’être observé avec la plus grande attention.
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