- Jusqu'au 17e siècle, la Chine n'éprouve aucun intérêt pour Taïwan, qui n'a rien à voir ethniquement et linguistiquement avec la Chine. Taïwan appartient à l'ensemble austronésien et la Chine la considère comme "une île peuplée de barbares".
- Au 17e siècle, les Portugais découvrent l'île, qu’ils nomment formosa, "magnifique". Puis les Espagnols la colonisent et ce sont eux qui y font venir les premiers Chinois ! pour y développer la culture en rizières.
- Vers le milieu du 17e siècle, l’empereur de la dynastie Ming, défait par les Qing, se réfugie à Taïwan. Il y prend le pouvoir politique, non pour s'y installer mais pour y faire une base en vue de reconquérir la Chine. Il en ressort une première captation du pouvoir politique à Taïwan par la Chine.
- Soucieux de supprimer toute velléité et possibilité de reconquête par les Ming, les Qing décident alors d’envahir Taïwan. Ils s’emparent de l'île en 1683. Deuxième acte de captation du pouvoir politique par la Chine. Mais c'est donc uniquement le règlement d'une affaire de politique intérieure qui amène les Chinois à Taïwan.
- Remarque sur la dynastie Qing : c’est une dynastie belliqueuse et impérialiste. Outre Taïwan, les Qing vont conquérir la Mandchourie, la Mongolie, le Tibet, puis le Turkestan oriental (en 1758). Région alors peuplée principalement de Dzoungars, les Qing exterminent ces derniers, commettant un génocide de près de 1 million de personnes, femmes et enfants inclus, soit un massacre extrême compte tenu de la démographie de l'époque. La nouvelle province incorporée à l'Empire est baptisée Xinjiang "nouvelle frontière".
Le penchant totalitaire et l'incapacité à accepter l'altérité par la Chine s’enracine donc notamment sous la dynastie Qing. Désormais, "La religion de la Chine, c'est la Chine".
- La domination politique chinoise sur Taïwan dure jusqu'en 1895. L'île est alors conquise par le Japon et demeure sous domination nippone jusqu'en 1945.
- Taïwan n'a donc été dominée politiquement par la Chine que quelques 200 ans !
Et ethniquement et culturellement, Taïwan était restée très majoritairement austronésienne.
- En 1945, c'est Tchang Kaï-chek et le Kuomintang, vaincus par les communistes, qui se réfugient à leur tour à Taïwan. L'île repasse sous la coupe chinoise. 3e acte.
C'est donc à nouveau une affaire intérieure chinoise qui ramène les Chinois à Taïwan.
- Nouvelle étape dans la sinisation de l’île : le Kuomintang va imposer le mandarin comme langue officielle.
- C'est aussi à ce moment que Mao commence à faire une affaire personnelle et chinoise de Taïwan, jusque-là méprisée par les dirigeants chinois. En effet, Mao cherche à créer un grand récit national pour venger "le siècle de l'humiliation 1845-1945". Et mythologiser l'appartenance de Taïwan à la Chine, où se sont de surcroît réfugiés les ennemis d'hier, va s'imposer comme nouveau gimmick de politique étrangère et d'identité nationale.
Ainsi, la mise en perspective historique met en lumière deux points clés :
1) L'intérêt réel de la Chine pour Taïwan n'est que très récent (fin de la deuxième guerre mondiale).
2) La mythologisation chinoise de Taïwan - "Taïwan est chinoise et l'a toujours été" - est un non-sens historique,
- Or, cette mythologisation chinoise va s'exacerber ces 20 dernières années en raison de l'effondrement du paradigme marxiste-communiste : en effet, ce paradigme qui soudait jusque-là la société chinoise, est désormais battu en brèche par l'explosion économique, du nombre de milliardaires (2e pays après les USA) et des inégalités.
D'où la nécessité pour le PC chinois de remplacer ce paradigme par une autre idée fixe : soit la mythologisation identitaire chinoise, la prise de revanche sur "le siècle de l'humiliation" et la démonstration au monde de la grandeur de la Chine, et conquérir Taïwan apparaît comme un fer de lance idéal de ce récit.
- Enfin, à cette motivation s'ajoute, dans une moindre mesure, l'opportunité de faire main basse sur un joyau économique et sur les fameux semi-conducteurs, dont la Chine, comme un grand nombre de pays, est dépendante.
Donc c’est bien une logique de domination, de prédation et la pensée totalitaire chinoise, caractérisée par une incapacité à accepter l’altérité, qui motivent sa focalisation sur Taïwan. Et non un quelconque fondement culturel et historique, inexistant en l’occurrence.