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Billet de blog 21 janvier 2025

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VIe République : Manifeste du modèle fédéral

Après avoir été le fossoyeur de la IIIe puis de la IVe République, le régime des partis est en train d’avoir raison de la Ve. Une refonte institutionnelle s’impose. Sur quel principe directeur et quelle organisation générale ?

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Article paru le 17/1/2025 sur Front populaire sous le titre La Ve République est-elle à bout de souffle ?


Comme toute crise qui se respecte, la phase de chaos actuellement traversée par le pays constitue une formidable opportunité. De régénération et de refonte institutionnelles.

Réinvestir les individus et les territoires dans leur pouvoir

Les institutions de la Ve République ont été conçues par un homme hors du commun, qui a émergé dans des circonstances hors du commun. Mais sans cet homme à leur tête, ces institutions dérivent dans les travers égotiques du régime des partis.

Par quoi remplacer ce régime ? Par un réinvestissement des individus et des territoires dans leur pouvoir. Soit par un passage d’une gouvernance pyramidale et centralisée à une gouvernance horizontale et fédérale, connectée aux territoires. Voici quelques propositions.

Une seule élection : les territoriales. Cette élection unique au suffrage universel sera accompagnée d’un réinvestissement des collectivités avec une redistribution des compétences entre l’État et celles-ci, selon le principe de subsidiarité. A savoir, ne seront plus confiées à l’État que les tâches qu’il est à même de mieux réaliser que la collectivité territoriale, type défense nationale, relations internationales…

Une représentation nationale unique issue des élus territoriaux et de représentants de la société civile. La question du cumul de mandats élu local/parlementaire ne se posera plus, car la fonction de représentation à l’assemblée sera incluse dans le mandat territorial, à charge pour l’élu de s’organiser et de déléguer en conséquence. Et cette fonction ne fera pas l’objet d’un salaire supplémentaire, tout juste d’un défraiement.

Une autre partie du parlement sera composée de représentants de la société civile (organisations professionnelles, associations…), lesdits partenaires sociaux. De fait, ces derniers doivent toujours être consultés avant toute nouvelle loi importante. Comment se fait-il qu’ils ne siègent pas ? En fait, ils siègent, au sein du Conseil économique social environnemental (CESE), troisième assemblée constitutionnelle, dont la vocation était précisément d'être une instance de représentation socio-professionnelle. Mais le fait est que cette assemblée est marginalisée dans le processus législatif et son rôle consultatif demeure symbolique. Il convient d'insérer cette composante économique et sociale au cœur de la représentation nationale. Ce qui n'arrange pas les purs politiques des partis, qui préfèrent leur entre-soi et conserver le maximum de postes à leur endroit.
Par ailleurs, un minimum de 10 ans d’expérience professionnelle sera désormais requis pour pouvoir être député. Fini ces députés âgés d’une vingtaine d’années, maîtrisant les codes et le langage, mais dénués d’expérience professionnelle.

Cette organisation fournira ainsi une représentation nationale légitimée par un véritable ancrage dans les territoires et dans la société, dans le peuple. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. La centralisation jacobine a été pensée et voulue par une oligarchie parisienne qui, sous couvert d’une « République une et indivisible », l’a imposée par la force, voire dans le sang, dans une bonne partie du pays. Et non sans perte culturelle, comme s'agissant des identités et des langues régionales. Cette élite dominante s’accroche depuis à cette position privilégiée d’exercice de la puissance sur le reste du pays. Pourtant, l’organisation fédérale des États-Unis, de l’Allemagne ou de la Suisse a-t-elle empêché ces républiques d’être « une et indivisible » ?

Cette nouvelle représentation nationale élira le gouvernement pour 4 ou 5 ans. Le nombre de portefeuilles sera clairement défini (une quinzaine). Fini les créations factices de secrétariats d’État et les gouvernements de complaisance à plus de 30 ministres. S'agissant du ministère de la Justice, il sera remplacé par une institution judiciaire intégralement indépendante.

Concernant le président, la désignation par le gouvernement paraît la plus cohérente. Cela semble remettre en question l’héritage gaullien du suffrage universel direct. Mais d’abord, redisons-le, combien y a-t-il d’hommes politiques d’étoffe gaullienne ? Un par millénaire ? La personnalisation du pouvoir fonctionne avec un moine-soldat de cette envergure, de ce niveau d’intégrité et de discipline. Mais autrement, les dérives égotiques prennent le dessus.

Ensuite, l’élection via l’Assemblée n’empêche pas au primus inter pares d’être élu. De Gaulle a été élu président du gouvernement en 1945 et de la République en 1958 par l’Assemblée (élargie en 1945). Et dans l’organisation proposée, il est fort probable que le président élu par le gouvernement soit la tête de liste gagnante de l’élection territoriale. Soit un suffrage universel quasi direct.

Enfin, si la gratitude de la nation au grand homme sera éternelle, l’envers de la médaille n’est pas des moindres : la croyance instituée pour ne pas dire institutionnalisée en l’homme providentiel. Funeste croyance qui désinvestit les individus de leur pouvoir et de leur responsabilité, et entretient « la servitude volontaire ».

Or, "la régionalisation" et "la fin du centralisme", une démocratie "participative" ancrée dans les territoires et la société, étaient précisément la conclusion à laquelle de Gaulle était parvenu au soir de son mandat et de sa vie, et qu’il a proposée aux Français en 1969. Donc ce mode de nomination du président ne trahirait pas l’héritage gaullien, mais même, l’honorerait.

Curieusement, parmi l’abondance des dits héritiers du général, aucun n’a jamais mis son mandat dans la balance pour faire aboutir cette vision. La création des régions en 1972, certes, reprenait la proposition du référendum, mais sans la suppression de la dimension législative du Sénat (fusionnant avec le CESE pour un rôle seulement consultatif).
L’âge et l’usure du pouvoir, mais probablement aussi le bon fonctionnement du régime présidentiel avec lui à sa tête, ne permirent pas à de Gaulle de recueillir alors l’adhésion nécessaire. Mais la vision était là.

Et aujourd’hui, d’une part, le régime présidentiel a sombré, d’autre part, l’aspiration aux modes de gouvernance horizontale (sociocratie…) a considérablement progressé. Et ouvre ainsi l’espace à la mise en œuvre de « la participation ». L’homme providentiel au XXIe siècle, c’est le groupe, c’est le collectif ; c’est chacun et c’est chacune. Le réinvestissement des individus dans leur pouvoir correspond en fait au passage à un nouveau degré anthropologique du vivre-ensemble, qui est à l’ordre du jour. Qui n’est autre que la poursuite de la réintégration du « divin » en soi.

Cette nouvelle organisation (dont le régime suisse, par exemple, présente une forme) permettra de mettre un terme (enfin !) au cirque de toutes ces élections coûteuses (hormis celle de Gaulle en 1965 qui ne fit pas campagne — un autre monde), ainsi que de ces remaniements et gesticulation ministérielles incessantes et stériles, perte de temps et d’argent inimaginables et inadmissibles.

Fini également les ministres ou chefs de parti à peine ou même pas trentenaires, dénués d’expérience (purs produits des partis). À la place : des ministres techniques à la légitimité fondée sur l’expérience professionnelle, et accusant un minimum de 10 ans d’expérience dans un ministère (ou son domaine direct) pour pouvoir y être ministre. Il ne sera plus question de « faire carrière dans la politique ». Les personnels politiques auront d’abord et avant tout un métier, et l’action politique sera quelque chose qu’ils feront en plus, comme un service.

Une réorganisation territoriale ?

La perspective d’une puissante assemblée « territoriale » suscite la question de l’efficience de l’organisation et du découpage territoriaux. En 1789, la suppression des provinces et leur remplacement par des départements redécoupés homogènes et renommés a procédé de plusieurs facteurs, notamment : la volonté de rompre avec l'Ancien Régime, de saper la puissance de certaines provinces pas nécessairement acquises au pouvoir central et à l'unité nationale, le culte de l'égalité sous-tendu par un rationalisme idéologique ( de taille homogène des départements, possibilité de se rendre au chef-lieu en une journée de cheval...). Cette création des départements a porté préjudice à des identités et des dynamiques territoriales importantes. Le rationalisme de la Révolution a généré une perte d’ancrage organique et d'enracinement historique. Le souci de l'unité nationale a très vite été récupéré par la volonté de puissance jacobine. Et le critère de proximité du chef-lieu, certes légitime, appelle à être pondéré avec l’identité géographique, historique et culturelle. 

La question du nom, notamment, est essentielle en matière identitaire. Certes, certaines identités et réalités historiques sont revenues avec l’apparition des régions en 1972 puis avec la réforme de 2014 - il faut réaliser que la Bretagne, la Normandie ou l'Alsace avaient disparu du champ administratif et institutionnel jusqu'en 1972 ! Mais quid du Dauphiné et du Berry, ou encore de l’Anjou, de la Touraine ou du Maine, pays d’Angers, de Tour et du Mans ? En outre, des régions de taille réduite et à l’identité forte comme l’Alsace, la Corse ou la Savoie, sont-elles en mesure de se passer de départements ? Ou de devenir un seul département intégré dans une région ? Ainsi, l’organisation territoriale appelle à être réexaminée, par un processus de consultations et de référendum locaux. Cet examen sera aussi l'occasion de passer au crible les doubles emplois entre départements et régions. Dans l’intervalle, des dualismes et doublons peuvent d’ores et déjà être supprimés.

Fin des dualismes et des doublons

— De l’exécutif : Président de la République/Premier ministre. Inutile, inefficace, et coûteux.
N’est-ce pas le président qui préside le conseil des ministres ? Dont acte.
Le doublon actuel ne profite qu’à une petite clique parisienne, dont il nourrit l’entre-soi.
— Du législatif : avec une seule assemblée représentative (CESE inclus), à la légitimité ancrée dans les territoires et la société. Pour mémoire, la représentation allemande est monocamérale, quant à l'Assemblée américaine, elle comporte 435 représentants et le Sénat 100 pour 335 millions d'habitants. En France : 577 + 348 = 925 représentants (sans même prendre en compte les 175 représentants du CESE). Cherchez l'erreur.
— De l’administration : préfectures/collectivités territoriales.
— De la gendarmerie et de la police nationales par un regroupement au sein d'une même entité, leur mission principale étant identique (le maintien de l'ordre). Conservation bien sûr des spécificités locales mais mutualisation de tout ce qui peut l'être (services administratifs, logistiques...).

Ce catalogue est à vrai dire sidérant. « Toute maison divisée court à la ruine ». Comment en est-on arrivé là ? Quels facteurs autres que la centralisation, activée par l'hubris et la volonté de puissance d'une petite clique parisienne, ont engendré cette gabegie ?

Un texte unique et clair : la Charte de la République

1ère partie : Charte des droits et des lois fondamentales.
Un texte unique fusionnant, clarifiant et restructurant l’actuel bloc de constitutionnalité : Constitution, Déclaration des droits humains, Préambule de la Constitution de 1946, Charte de l’environnement. Et délivrant les principes juridiques essentiels autour desquels s’articule le droit commun.

2nde partie : Charte des valeurs.
Un texte qui donne une vision de la société et de la civilisation, et qui répond notamment à la question centrale des sociétés humaines : la « gestion de l’infini », la gestion de l’énergie infinie ou hubris qui habite l’être humain. De la réponse à cette question dépend la pérennité de toute organisation et de tout développement.

Tous les empires ont échoué pour n’être pas parvenus à répondre à cette question. Ce qui revient à identifier un but renouvelable à l’infini pour tout le monde. Ainsi que les conditions d’un bonheur individuel et collectif durable.

La question doit être posée et réfléchie ensemble. Sans cette dimension anthropologique, quelque efficientes puissent être les institutions, elles sont progressivement réinvesties par les luttes d’ego, le rapport de force et la loi du plus fort.

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