Fabriquer la vie : voilà un fantasme de biologiste au XXIe siècle. Le vivant, sur Terre, est partout. Sous forme bactérienne, on le trouve dans les environnements les plus extrêmes. Cependant, tout nous indique que toutes les formes vivantes ont une seule et même origine, une cellule commune, il y a quasiment 4 milliards d'années.
D'où le savoureux paradoxe : si la vie est inventive, luxuriante, diverse, pourquoi n'est elle apparue qu'une fois de manière pérenne ? Pourquoi pas de deuxième souche, un deuxième démarrage, dont les descendants cohabiteraient avec le premier ? Pas de réponse définitive à cette question, mais en tout cas, un programme de recherche en or pour les biologistes du XXIème siècle : créer cette deuxième souche !
Dans ce projet fou se mêlent des questionnements passionnants de biologie fondamentale ( comment définir du vivant « minimal » ? comment fonctionnerait-il alors ? Etc), des questions d'ego, des implications industrielles et médicales assez larges et parfois inquiétantes ( les organismes les plus simples pouvant être aussi les plus dangereux).
On en est encore loin mais périodiquement, des annonces spectaculaires se font jour, telle cette publication en Janvier, par l'équipe de Craig Venter, un des -très- médiatiques (mais talentueux) pionniers du séquençage du génome, de la synthèse artificielle complète d'un génome entier de bactérie. Cela ne veut absolument pas dire qu'on a recréé de la vie : une cellule est infiniment loin de se résoudre à un génome ! Mais c'est un pas...
En Biologie Synthétique, puisque c'est sous ce nom bizarre que sont rassemblés ces recherches, on peut avoir plusieurs approches.
-Chercher à comparer les organismes portant des génomes très simples et voir les gènes qu'ils ont en commun, en faisant l'hypothèse qu'ils sont indispensables car très conservés ( avec derrière la tête, l'idée de constituer un génome de synthèse avec ce lot de gènes, de l'insérer dans une bactérie)
-D'autres équipes cherchent à simuler ces phénomènes sur ordinateur.
-D'autres enfin travaillent directement à synthétiser des petits systèmes moléculaires qui pourraient s'autoreproduire et évoluer, et accéder ainsi, sous réserve de consensus, à la qualification de « vivants ».
C'est une approche un peu parallèle que l'équipe de David Kong, du MIT ( Etats-Unis)a récemment présenté (cliquez et cherchez « David Kong » dans cette -longue- page de résumés ) . Au coeur de leur approche, un processus fondamental : la synthèse de protéines.
Comment ça marche ? Pour faire simple, l'ADN « sert » à fabriquer une molécule assez proche mais plus mobile et réactive, l'ARN qui à son tour,« sert » à fabriquer des protéines ( je mets des guillemets car c'est horriblement finaliste et réducteur de dire ça, mais je fais simple !). C'est donc un processus en 2 étapes; dont chacune nécessite des enzymes dédiées. Réussir à mimer ce processus, c'est vraiment un des défis fondamentaux de la biologie synthétique.
Ce que l'équipe de Kong a fait c'est, de nano-assembler ces éléments sur une petite « puce » qui prend en charge ce processus bi-étape : des gènes y sont assemblés, transcrits en ARN, puis traduit en protéines, et ces dernières sont extraites, et tout ça à la demande. Le tour de force technique est précisement d'avoir rassemblé ces deux étapes, et de le faire sur un nano dispositif...L'idée, en miniaturisant les choses ainsi, est d'associer plein de « puces », d'obtenir une batterie de gènes qui fonctionnent, et donc et de recréer une « cellule artificielle », ou au moins un de ses processus essentiels.
Pour ne rien gâcher, cette équipe semble être très dynamique car ils ont publié seulement l'année dernière leur maitrise technique de la première étape. La maitrise du processus couplé est donc ensuite allée très vite !
Tout ceci est très séduisant mais repose néanmoins sur une idée un peu simpliste. Dans une cellule, les gènes ne fonctionnent en effet pas les uns à côté des autres, mais en réseau : l'activité de l'un joue sur une autre, parfois en l'inhibant, parfois en l'activant.
C'est par exemple cela qui fait qu'un OGM est souvent long à fabriquer, car en rajoutant un gène dans un maïs, on perturbe aussi fondamentalement tout le réseau de gènes préexistant. Autre limite, l'équipe de Kong se concentre sur l'aspect « usine a fabrication de protéine » de la cellule, mais ne nous dit rien sur la multiplication des cellules, l'évolution par mutation sur l'ADN, leur réponse à l'environnement extérieur, bref, tout c equi fait qu'une cellule vit « vraiment ». Ici, on a des petits robots bien réglés, et c'est une prouesse magistrale, mais ce n'est vraiment pas suffisant pour parler de vie !
Cette manip de l'équipe de D. Kong doit donc être saluée comme un travail technologique important, mais en se gardant de tout excès ( comme souvent) : il y a encore loin d'ici à la maitrise effective d'une vraie cellule artificielle ! Ouf ?