Que faisiez vous il y a exactement 3 ans, le 16 janvier 2006 à 4h49 ? Etait-ce une nuit tranquille ou agitée ? Vous dormiez, probablement, mais peut-être pas. Peut-être que vous preniez votre service, que vous révisiez un examen, que vous finalisiez un projet alors que l'aube approchait. Peut-être que vous accouchiez. Peut-être qu'un livre trompait votre insommnie.
C'est un début de billet un brin mélancolique, mais n'excluons de devoir un jour bien se souvenir de cette date, et de quelques autres qui figurent dans un austère tableau, dans un austère article de la revue Science. C'est un article publié « advance on print » par le site de la revue : un signe de son importance supposée. Et pourtant, de quoi cela parle-t-il ? Trois fois rien, on serait tenté de dire : on a mesuré avec précision un dégazage.
Au détail près que ce gaz mesuré est du méthane.
Et que la mesure a été faite sur Mars.
Certains d'entre vous me voient déjà venir. Du méthane sur Mars, et c'est toute la traque d'une vie extraterrestre reprend. En effet, sur Terre, 90% du méthane atmosphérique est d'origine biologique. Les chercheurs font de cette observation la première phrase de leur article. Certes la suite n'est que prudence, mais quand on lit entre les lignes, on sent qu'il se passe quelque chose... Ce n'est pas la première fois, précisons-le, que ce gaz est détecté sur la planète rouge. Déjà, en 2004, des mesures préliminaires avaient été publiées, mais si l'on en croit l'article de présentation qui accompagne le papier du jour, elles avaient été controversées pour des raisons techniques. Les observations satellites n'avaient pas une précision convaincante, et les observations depuis des télescopes terrestres souffraient de parasitage par du méthane atmosphérique bien de chez nous. Ce sont ces problèmes qui, patiemment ont été résolus. Et donnent aux mesures publiées aujourd'hui une fiabilité accrue.
Mais cela n'est pas tout. On observe des variations saisonnières, entre les mesures d'hiver et les mesures de printemps. Plus encore, on observe des discontinuités : clairement, l'émission de gaz provient de trois sources distinctes et ponctuelles. La puissance de l'émission gazeuse est de l'ordre de celle que l'on peut trouver au débouché d'une source d'hydrocarbure terrestre (d'origine biologique...). Tout ceci fait bigrement penser à un phénomène de niche, soumis aux aléas climatiques. Ce serait compatible avec de la vie bactérienne sous la surface.
Mais il faut garder son sang-froid ! Compatible ne veut pas dire, loin de là, que les auteurs ont une certitude. Il faut rappeler que le méthane peut être produit sur Terre, via des processus géochimiques qui ne mobilisent pas d'êtres vivants. Il faut rappeler que la variation saisonnière observée peut, elle aussi, s'expliquer sans faire appel à la vie. Et puis si l'on s'autorise à imaginer que des bactéries ont produit ça, elles peuvent être vivantes ou aussi bien avoir disparu depuis fort longtemps. Le méthane ne serait que leur trace. Mais ce serait déjà une immense découverte.
Il faut rappeler tout cela, mais comment vous dire, on sent qu'on avance vers la découverte de la vie ailleurs que sur Terre. On sent que finalement, l'hypothèse la plus simple est de plus en plus que des microorganismes puissent exister sous la surface martienne. Je concède que je m'emballe un peu mais depuis le temps que je lis des choses sur le sujet, sur la présence d'eau, puis la présence d'eau liquide, puis maintenant la présence saisonnière de méthane, je me dis que quand même, cela commence à s'accumuler...Même si c'est trop tôt pour annoncer que Mars est ou a été vivante.
So what, après tout ? C'est simple : on tire ce fil et c'est la pelote qui vient. S'il y a de la vie bactérienne là-bas, cela répond à une question très spéculative : l'apparition de la vie est elle un incroyable concours de circonstances ou la résultante banale de quelques conditions facilement réunies (à la grande réserve près qu'un planète aurait pu ensemencer l'autre via des météorites...et ne pas nous permettre de trancher !) ? S'il y a de la vie là-bas, et qu'elle relargue du méthane, c'est alors qu'elle ressemble à la notre ? Sera-t-elle à base d'ADN et de protéines ? Ou de quelque chose d'approchant ?
Il est trop tôt pour aller plus loin, évidemment. Mais je ronge mon frein : ça fait des années qu'il est trop tôt ! On n'a pas le « smoking gun » mais disons simplement qu'on est peut être jamais allé aussi loin dans le classique « faisceau d'arguments convergents »... Et que si l'avenir confirme cette intuition, il faudra se souvenir symboliquement de ces dates où les mesures ont été faites, avant une longue analyse qui donne les résultats du jour. Oui, il faudrait se souvenir du 16 janvier 2006, à 4h49...
Crédits photo : NASA, via la revue Science