Le Times de Londres donnait récemment une information surprenante : des plans sont en cours pour implanter une «arche de Noé», un conservatoire de vie terrestre... sur la Lune ! Objectif : mettre la vie à l'abri d'une catastrophe comme un impact majeur avec une météorite ou un holocauste nucléaire, rien de moins. De l'influence d'Hollywood sur les programmes de recherche...
L'affaire est un peu compliquée. Dans un premier temps, ce «caisson» serait une base de donnée informatique, capable d'envoyer sur Terre par ondes radio des informations aussi diverses que des séquences de génome ( l'ADN que nous possédons dans chacune de nos cellules) de différentes espèces vivantes et... des techniques pour fondre les métaux, à destination de survivants de l'apocalypse, qui recevraient tout cela en plusieurs langues, grace à des récepteurs répartis sur la surface de la Terre. Les survivants seraient donc, à en croire les concepteurs de ce projet, un mélange d'homme préhistoriques pré-âge de fer, de chercheurs doués en clonage, et de routiers sympas amateurs de CiBi.
L'histoire ne s'arrête pas là puisque à terme, l'arche comporterait des élements de vie type bactérie, embryons animaux, graines de plantes, voire des plantes entières (on parle même de tulipes) qui pousseraient, excusez du peu, sous atmosphère contrôlée. Et pour faire bonne figure, on incluerait même des objets archéologiques témoignages de nos civilisations. Joie des clans mad-maxiens terrestres à l'idée de savoir que des bouquets de tulipes les attendent sur la Lune. Euphorie des cosmonautes découvrant des têtards cryogénisés. Et si Indiana Jones rentre par erreur dans la fusée, tel les Dupondt d'Objectif Lune, il ne sera pas payé à rien faire et pourra ouvrir là-haut un département d'antiquités.
Plaisanterie mise à part, tout est surprenant et révélateur dans cette annonce, faite par Bernard Foing, le directeur exécutif de l'International Lunar Exploration Working Group (ILEWG), et discutée le mois dernier en France, à Strasbourg, dans le cadre du très sérieux symposium "Space Solutions to Earth's Global Challenges" de l'International Space University (ISU) – Si des participants à ce symposium passent par ici...
Surprenante cette vision d'une vie sous cloche, qui rejoint les annonces récentes d'une réserve mondiale de graines, fortifiée, dans l'Arctique, en prévision du sempiternel « Doomsday » («l'Apocalypse») ; surprenantes, les approximations sur une humanité devenue pré- ou post-technologique ; surprenant, l'inventaire à la Prévert des objets embarqués ; surprenant, le flou entretenu sur l'utilité et l'utilisation possible de ces reliques, et leur rapatriement possible sur Terre ; édifiant, le politiquement correct du volet « archéologique » ; surprenant, mais d'une certaine manière classique, l'insistance portée sur l'ADN, comme si celui-ci, seul, permettait de reconstituer des individus(on abordera souvent ici cette dernière question, une obsession personnelle !).
Cette annonce, certes exploratoire, me fait surtout l'impression d'être un immense réservoir à fantasmes, et à ce titre, est un grand classique de la communication des Agences Spatiales. Pour lever les fonds importants que leurs recherches nécessitent, elles recourent souvent à ce genre de spéculations, d'incitations au rêve, même si cela prend parfois des allures de grand n'importe quoi. Il ne s'agit pas ici de leur adresser de bons et de mauvais points, mais de relever qu'en pratiquant un mélange des genres douteux entre projections fantaisistes et programme de recherche à long terme, elles jouent peut-être un jeu dangereux qui peut y compris les décrédibiliser. Notons au passage que Bernard Foing est à la tête du projet SMART-1 d'exploration lunaire, prévue en 2015, et incluant un robot roulant, ou rover, dont on sait qu'ils font le succès médiatique des campagnes d'exploration planétaires (souvenez vous les images épatantes des rovers Spirit et Opportunity, sur Mars).
Mais puisqu'il y a beaucoup d'imaginaire cinématographique dans cette histoire, reconnaissons que ce projet a au moins un mérite incontestable : on sait enfin à quoi va pouvoir servir le monolithe noir du 2001 de Kubrick !