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Billet de blog 24 mars 2008

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"Pire"-reviewing ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je ne peux que vous inciter à lire l'excellent papier sur Rue89 qui traite d'un cas de créationnisme qui a réussi a passer les mailles du filet d'une revue scientifique à comité de lecture. Cette histoire qui m'avait complètement échappé est en effet passionnante à au moins deux titres : elle permet de reparler un peu du système de « relecture par des pairs », un des fondements de l'évaluation scientifique des articles et de leur validation, et puis bien sûr, elle est l'occasion d'en remettre une couche sur les dangers du créationnisme.

Cette dernière question, on en reparlera souvent. C'est un problème que je suis avec attention (d'habitude !), et qui est complexe. Il y a différentes formes de créationnismes, certaines sont tellement caricaturales ( prétendre que le monde a été créé en 7 jours, de nos jours, franchement...) qu'elles creusent le lit de leur propre crédibilité. D'autres plus subtiles, type « intelligent design », plus récentes, sont plus perverses en ce sens qu'elles se parent de certains attraits fallacieux de la scientificité. Du coup, ce sont les plus dangereuses...Promis, on en reparlera ici, plus en détail, j'ai d'édifiants exemples à vous présenter.

En l'occurence, le créationnisme qui a inspiré un paragraphe de l'article incriminé n'était pas très subtil. C'est plutôt le processus qui a conduit à sa publication qui est problématique. Comme on avait a peine commencé à en débattre ici il y a quelques jours dans les commentaires de premier billet, cette controverse risque malheureusement de conforter chacun dans ses opinions sur le peer-reviewing (la relecture par des pairs).

Rappel : quand vous voulez publier les résultats de votre recherche (ce qui équivaut à les valider), vous les soumettez, sous forme d'article, à la revue de votre choix, revue dite à comité de lecture. Votre papier est alors soumis à des chercheurs de votre champ disciplinaire qui acceptent, refusent, ou demandent des précisions avant publication. C'est ce qu'on appelle le peer-reviewing (PR).

Ce système pose cependant des problèmes. Entre autres : il repose sur la bonne foi de l'auteur ( rien ne lui interdit un petit truandage de données s'il le fait subtilement), il peut poser des conflits d'intérêts si le relecteur est un concurrent. Autre type de problème, rien n'empêche de créer une revue à comité de lecture qui sous une façade scientifique, est le cheval de troie d'une idéologie religieuse. C'est malheureusement le cas pour la mouvance créationnisme, et sa revue Answers Research Journal. Mais surtout, les relecteurs ne sont pas des surhommes, et laissent parfois passer des inepties sans nom. C'est d'ailleurs pour cela qu'un article est souvent vérifié indépendamment par deux ou trois relecteurs. Quand deux relecteurs laissent passer les divagations du papier incriminé, c'est vrai que cela pose un problème de crédibilité à la revue, pourtant réputée dans ce cas d'école. Donc feu sur le système de PR ? Minute papillon. Un peu facile.

En effet, ce qui s'est ici passé, c'est que le web a joué le rôle d'un Relecteur Collectif, un métarelecteur décentralisé, et a passé à la broyeuse les assertions consternantes du papier, puisqu'en outre, il y avait plagiat... Bien que tout ceci se soit fait dans l'improvisation, la googlisation, l'artisanat, cela a été fait, dénoncé, et le papier a du être retracté. Loin de mettre en cause le PR, cette histoire démontre à mon sens qu'on a besoin d'un PR réformé, renforcé, modernisé, mais qu'on ne peut pas s'en passer. Cela impose de réfléchir à de nouvelles formes , et même d'un formalisme adéquat qui évite de transformer la littérature scientifique en « règlement de comptes à OK Google », attaques ad hominem etc. Mais il semble que la ressource technique soit là, à savoir que l'Internet soit structuré comme ( Lacan, si tu nous entends...) un grand comité de lecture potentiel, et que le principe du PR ait de beaux jours devant lui. Le papier de Rue89 a d'ailleurs exactement la même conclusion « churchillienne » que ce que je disais dans un commentaire ici il y a quelques jours. Cela ne nous donne pas raison, mais est une indication. Si vous avez des confirmations ou des contre exemples, je suis preneur, pour faire avancer le débat !

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